Marine Le Pen et Jordan Bardella ont perdu un scrutin que les sondages jugeaient imperdable. C’est un fait. En une semaine après le premier tour du 30 juin, le Rassemblement national (RN) n’a pas réussi à capitaliser sur ses 33% des voix, même s’il demeure le premier parti de France. Avec 142 députés (pour 88 sortants), alors qu’il lorgnait vers la majorité absolue de 289, le RN augmente significativement le nombre d’élus de son groupe parlementaire, mais il doit se contenter de la troisième place, derrière le Nouveau Front Populaire (NFP) et la coalition «Ensemble» pro-Macron.
Un échec? Pire que cela, une mauvaise lecture des réalités politiques et une débâcle entre les deux tours, en termes de campagne.
La première erreur du Rassemblement national aura été de sous-estimer la possibilité d’un «barrage républicain». Le RN, évidemment, n’avait pas les moyens de s’y opposer. Ce sont ses adversaires qui ont su trouver la parade. Mais deux éléments ont joué en défaveur du parti national-populiste: son casting au niveau des candidats bien placés dans leurs circonscriptions, et ses propositions de l’entre-deux-tours.
A plusieurs reprises, des images défavorables aux candidats RN, voire des vidéos problématiques, ont circulé, démontrant l’existence de propos racistes et de comportements inacceptables de la part de potentiels élus républicains. Le RN, une fois encore, a buté sur son problème chronique de ressources humaines. Autre élément déterminant: l’incapacité du RN à proposer quoi que ce soit à la droite traditionnelle, au-delà d’Éric Ciotti et de ses alliés. Le RN a fait la même erreur qu’Emmanuel Macron. Il a cru que la droite allait exploser, tout comme le président a misé sur l’explosion de la gauche. Échec dans les deux cas.
Mesures symboliques
La seconde erreur aura été, paradoxalement, de reculer sur toutes ses mesures symboliques. Telle est la rançon du pragmatisme et de la normalisation voulue par Marine Le Pen. Le Rassemblement national a reculé sur sa proposition d’abroger la réforme des retraites, mais aussi sur plusieurs mesures en faveur du pouvoir d’achat. Cela ne l’a pas empêché de mobiliser fortement son électorat au second tour, mais il a en revanche échoué à recruter dans d’autres catégories de la population. Le parti a, par cette reculade, surtout apporté la preuve de son inconstance et d’une incompétence, reproche qui lui est traditionnellement adressé par ses détracteurs.
Troisième faute en termes de marketing politique: avoir laissé Jordan Bardella prendre toute la lumière. Le jeune leader du RN, âgé de 28 ans, sans diplôme universitaire, n’a pas démontré sa capacité à occuper un poste aussi crucial que celui de Premier ministre.
Personne n’est venu à son secours dans l’entre-deux-tours. Aucune personnalité de marque ne lui a apporté son soutien. Même Marine Le Pen, soucieuse de ménager sa prochaine candidature à la présidentielle, a semblé demeurer à distance. Or la France compte déjà un jeune Premier ministre, aujourd’hui démissionnaire: Gabriel Attal. L’argument de la jeunesse ne tient plus. Il a manqué à Jordan Bardella cette preuve d’expérience que Giorgia Meloni, en Italie, pouvait apporter par son parcours ministériel avant sa campagne victorieuse de septembre 2023.
Un gâchis pas encore définitif
Le gâchis est-il définitif? Non. En politique, les cartes peuvent être vite rebattues. La dynamique électorale reste d’ailleurs très forte pour le RN. Lequel va bénéficier, grâce à la forte augmentation de son nombre de députés, une manne financière de subventions publiques qui lui permettra d’avoir davantage de salariés, et de former encore plus de cadres.
Emmanuel Macron peut toutefois se targuer d’avoir à nouveau gagné face à Marine Le Pen: sa campagne électorale en forme de sprint a laissé le RN dans ses starting-blocks électoraux. Le plafond de verre qui l’empêche d’accéder au pouvoir résiste toujours. Le succès du «barrage républicain» a prouvé qu’il faut bien plus qu’une poussée électorale pour le fissurer, puis le faire craquer.