Il suffit de scruter la carte électorale française, et d’éplucher les prévisions des instituts de sondage pour constater que le Nouveau Front Populaire (NFP) a très peu de chances de devancer, dimanche 7 juillet, le Rassemblement national nettement vainqueur. La bataille qui s’annonce, au-delà des appels à résister à l’extrême droite, sera donc avant tout celle de l’avenir de la gauche, dans un pays qui vient de confirmer son basculement à droite.
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Cette gauche doit-elle regarder vers le centre, et la social-démocratie, pour retrouver ses marques et espérer demain l’emporter de nouveau? Ou doit-elle continuer de se radicaliser, voire jouer un troisième tour dans la rue en mobilisant ses troupes, en particulier la jeunesse, contre un futur gouvernement national-populiste?
Cette question est un peu prématurée. En position de l’emporter dans une semaine dans 150 à 180 circonscriptions, les candidats du NFP toujours en lice vont bien sûr d’abord se battre pour convaincre les électeurs, en espérant que le «barrage républicain» contre le Rassemblement national jouera en leur faveur. Des personnalités comme l’ancien président François Hollande, ou le député sortant François Ruffin, ne pourront travailler – peut-être – à la recomposition de leur camp politique que s’ils sortent vainqueurs dans leurs circonscriptions. Ce qui suppose, de la part d’Emmanuel Macron et de son Premier ministre Gabriel Attal, tous deux jadis compagnons de route du parti socialiste, de ne rien faire pour empêcher leur possible victoire. L'on sait en revanche que la droite traditionnelle, tétanisée par le RN, ne donnera, elle, pas de consigne de vote pour lui barrer la route.
Une gauche crédible
La réflexion sur l'avenir de la gauche, à laquelle près de 30% des Français ont accordé leur confiance par leur cote, ne doit pourtant pas attendre. Seule une gauche forte, intellectuellement solide, crédible sur le plan économique et ancrée dans le dialogue social, peut s’opposer à la mainmise du Rassemblement national sur le pays. La droite française, avec au mieux une cinquantaine de députés, se retrouve étranglée. La coalition macroniste «Ensemble», qui pourrait passer de 250 députés à moins d’une centaine, est vouée à s’effacer lorsque le locataire de l’Elysée quittera son poste. Qui, alors, pour tenir tête aux fausses promesses sociales du RN? Qui pour défendre encore l’intégration européenne de la France? Qui pour faire barrage aux alliances entre nationaux populistes à l’échelle du continent, grâce à son propre réseau d’alliance au niveau européen?
Cette gauche française se retrouve, elle aussi, le dos au mur après ce round électoral marqué par une participation record de 65,8%. Elle peut choisir, fidèle à sa tradition révolutionnaire, la stratégie d’une confrontation directe, dans la rue et dans les quartiers, dans l’espoir de forcer son destin, quitte à nouer des alliances problématiques avec des groupuscules islamistes résolus à infiltrer la République. Ou elle peut au contraire choisir de reconstituer ses forces par la confrontation politique, en misant sur sa crédibilité et sur l’inévitable soif d’alternance future, comme l’ont fait après le Brexit les travaillistes britanniques, en passe de revenir au pouvoir lors des législatives du 4 juillet.
Polarisation du débat
La polarisation du débat autour de Jean-Luc Mélenchon est trompeuse. L’important, c'est que la gauche française, comme le parti socialiste le fait en Suisse sur les questions européennes, fasse entendre une voix forte, mais audible. Et qu’elle apporte des réponses autres que des incantations, sur des sujets comme le délabrement des services publics, l’avenir de la protection sociale, les impératifs écologiques ou l’équilibre entre nécessités fiscales et besoins de compétitivité.
Cette bataille politique décidée par Emmanuel Macron peut lui permettre d’entamer une contre-offensive durable. Le Rassemblement national ne sera pas combattu avec succès à coups de harangues antisémites, de manifestations violentes, d’occupation des campus, ou d’opérations commandos de défense des sans-papiers. L’outrance est le rayon naturel du RN. Espérer lui faire mordre la poussière sur ce terrain, surtout s’il parvient au pouvoir, n’aboutira qu’à une impasse. La gauche française doit, dans cet entre-deux-tours à hauts risques, se montrer exemplaire.