Emmanuel Macron a perdu ce pays qu’il prétendait moderniser, réformer et transformer en effaçant le clivage droite-gauche. Tel est le constat implacable du premier tour des élections législatives anticipées qui vient de s’achever par une nette victoire du Rassemblement national (RN) et de ses alliés.
Le «bloc central» sur lequel le président français espérait pouvoir s’appuyer jusqu’à la fin de son mandat en mai 2027, appartient au passé. Cela ne veut pas dire qu’une coalition anti-RN ne peut pas voir le jour entre les deux tours. Mais dans tous les cas de figure, le chef de l’État n’en sera ni le chef, ni l’inspirateur, ni le metteur en scène politique. Le voici condamné, sous une forme ou sous une autre, à une cohabitation très compliquée, compte tenu du désaveu populaire et sans appel qu’il vient de subir dans les urnes.
Ce moment historique est d’abord, il faut le redire, un grand moment démocratique. Sur ce point – le seul qui lui donne raison – Emmanuel Macron a vu juste en soulignant, dans son bref communiqué à l’AFP, «l’importance du vote» de ce dimanche. Il est désormais clair qu’une grande partie des 49,5 millions d’électeurs français est prête à confier les rênes du pays au Rassemblement national. Le chiffre issu des urnes est d'environ 34% des suffrages pour le RN. Ce qui, compte tenu du système majoritaire par circonscription, permet à ce parti d’anticiper entre 230 et 280 sièges. La «ligne rouge» est donc franchie dans les têtes comme dans les urnes. Même s’il devait, in fine, ne pas pouvoir gouverner faute d’obtenir la majorité absolue que réclament Jordan Bardella et Marine Le Pen, le Rassemblement national est programmé pour exercer un jour le pouvoir exécutif. Il n’est plus un parti protestataire. Il est devenu, de facto, un parti de gouvernement. Et c’est une révolution.
Manque de cohésion
La seconde leçon de ce scrutin voulu et décidé par Emmanuel Macron est que la France pourrait bien finir écartelée le dimanche 7 juillet. Elle ne l’est pas encore. Si l’on additionne les projections de sièges pour le Nouveau Front populaire, le bloc central et la droite traditionnelle, la possibilité d’un ultime barrage au RN est possible. Celui-ci pourrait plafonner, dimanche prochain, autour de 250 sièges (contre 88 dans l’Assemblée sortante) ce qui le placerait, ironie du sort électoral, dans la même position que la majorité relative macroniste élue en juin 2022.
La réalité est toutefois qu’une telle alliance n’a, au soir de ce premier tour, aucune cohésion à offrir. Le rassemblement «clairement démocrate et républicain» souhaité par Emmanuel Macron ce soir apparaîtra de toute façon artificiel et de circonstance, tant les programmes et les ambitions des uns et des autres sont éloignées. Le premier à l’avoir compris, sans surprise vu ses qualités de stratège, est Jean-Luc Mélenchon. En s’exprimant très vite, alors que ses alliés ont sans cesse cherché à l’éliminer du jeu, le fondateur de La France Insoumise (LFI) a insisté sur une évidence: la macronie est finie. L'unique destin encore possible de cette mouvance crée par l'élection surprise de Macron en 2017 est, aux yeux de Mélenchon, celui de béquille d’une gauche revigorée, mais encore très loin d’une possible majorité avec au mieux 165 sièges selon les projections.
Pas une surprise
Cette France écartelée n’est pas une surprise. Deux forces politiques, loin l’une de l’autre en termes de puissance de feu électorale, se font aujourd’hui face. La première, installée en tête du peloton de droite, est le Rassemblement national, dont on voit mal comment il ne pourrait pas absorber ce qui reste de l’ex-droite gaulliste. La seconde, contestée par ses alliés, mais forte par son implantation et sa capacité à mobiliser dans la rue, est la gauche radicale. Il est possible que la France Insoumise se retrouve, le 7 juillet, avec environ 75 députés, comme dans l’actuelle législature. Il est aussi possible que le parti socialiste renaisse (un peu) de ses cendres avec une trentaine d’élus.
Sauf que le rapport de force ne changera pas. Le centre de gravité n’est pas au centre-gauche. Il est du côté de l’extrême-gauche, forte de ses bastions populaires dans les banlieues. Droite nationale populiste contre gauche radicale: ces deux France sont trop résolues à en découdre pour ne pas passer à l’acte. Et c’est très inquiétant.
L’ultime leçon de cette campagne express de 21 jours pour les élections législatives est celle que la France donne au monde. D’abord à ses voisins, dont la Suisse et ses partenaires de l’Union européenne. Ensuite à la communauté internationale. La seconde économie de la zone euro n’est plus à l’abri d’une crise majeure. Cela ne veut pas dire que l’arrivée possible du RN au pouvoir entraînerait aussitôt un krach financier et boursier. Cela veut dire qu’aucune combinaison politique au sommet du pays n’est aujourd’hui susceptible d’engendrer une confiance durable.
Acrobatie politique
Même si le chef de l’État parvenait, par une acrobatie politique rendue possible par le second tour, à écarter le RN du pouvoir, la solution trouvée sera fragile, et le risque de troubles sociaux sera majeur jusqu’en 2027. Un gouvernement de techniciens, quelquefois évoqué, ne ferait que retarder l’échéance. Une coalition en forme d’union nationale, de la gauche radicale au centre, butera aussitôt sur les désaccords fondamentaux entre ses composantes. L’équation française ne peut, dans ces conditions, accoucher que de mauvaises solutions pour le pays et pour l’Europe.
Emmanuel Macron en a évidemment conscience. Il a promis à ses compatriotes de rester à son poste jusqu’en 2027. Il peut éventuellement compter sur le respect constitutionnel promis par le Rassemblement national. Mais qui peut croire que le RN, en route pour s’arroger la totalité du pouvoir, acceptera de partager vraiment les rênes du pays avec un président qui ne peut plus se représenter? La confrontation est programmée. Alors que le continent européen est bousculé, la France vient de s’installer démocratiquement, mais de façon durable, dans une période de turbulences et d’incertitudes peu propice à son redressement.