La France sort plus que jamais fracturée du second tour des élections législatives. Mais elle penche nettement à gauche, et elle a décidé de faire barrage à l’extrême droite. Le Rassemblement national, arrivé largement en tête au premier tour, le 30 juin, se retrouve devancé par le Nouveau Front Populaire (NFP), l’union de la gauche qui arriverait en tête avec près de 180 sièges sur les 577 de l’assemblée. Le RN pourrait terminer de son côté avec 145 sièges, presque le double de son groupe actuel, mais très loin des 289 députés indispensables pour obtenir la majorité absolue.
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Mélenchon contre Macron
Le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, premier à intervenir après la cloture des bureaux de vote, a aussitôt exigé qu’Emmanuel Macron choisisse un dirigeant du NFP pour diriger le gouvernement à la place du jeune Premier ministre Gabriel Attal, dont il a exigé la démission immédiate. Ce dernier, réélu dans sa circonscription des Hauts-de-Seine et très présidentiel dans le ton comme dans le style, a d'ailleurs annoncé vers 21h40 qu'il remettra dès ce lundi sa démission au chef de l'Etat, après avoir «refusé de subir une dissolution qu'il n'a pas choisie».
Le président français a perdu le pari de cette dissolution surprise, décidée le 9 juin au soir de la défaite de son camp aux élections européennes. Les électeurs n'ont pas renforcé le bloc central qui comptait 250 députés dans la précédente assemblée. La coalition «Ensemble» comptera entre 150 et 160 élus. La casse est limitée, mais elle est réelle. Plusieurs ministres ont échoué se faire réélire. Preuve de la complication attendue, Emmanuel Macron n'a pas pris la parole. Il pourrait rester discret ces prochains jours, puisqu'il s'envole dès le 9 juillet pour le sommet du 75e anniversaire de l'OTAN, l'alliance atlantique, à Washington.
Le parti national populiste de Marine Le Pen et Jordan Bardella est, lui, clairement défait. Le jeune leader du RN, programmé à 28 ans pour accéder au poste de Premier ministre, subit une défaite personnelle et voit s'éloigner le pouvoir. Avec 160 à 170 députés et 33% des voix au premier tour (environ 10 millions de suffrages), le RN réalise toutefois une percée historique qui confirme son statut de premier parti politique du pays. Le «barrage républicain» qui a conduit tous les autres partis à retirer leurs candidats contre ceux du RN a fonctionné. Mais la colère qui a conduit cette formation à ce niveau va demeurer vive.
La participation électorale massive qui approche les 67%, un record depuis 1981 et la victoire présidentielle de François Mitterrand, démontre en effet l’efficacité incontestable du «barrage républicain», cette alliance anti-RN qui a réuni toutes les autres formations politiques et qui a conduit à des centaines de désistements, pour éviter des «triangulaires» dans les circonscriptions où le RN était arrivé en tête le 30 juin. Sans surprise, Jordan Bardella a aussitôt dénoncé «le parti unique qui va de l’extrême gauche aux partisans d’Emmanuel Macron». Et d’accuser le président d’avoir, par cette dissolution anticipée, privé le pays de l’alternance selon lui indispensable.
Clarifications
Emmanuel Macron sort rudement sanctionné des urnes. Les clarifications qu’il réclamait ont eu lieu, mais pas en sa faveur. Les Français ont refusé de voir le Rassemblement national gouverner. Mais ils ont surtout muselé le chef de l’Etat dont le second mandat s’achève en mai 2027, et qui ne peut pas se représenter. En théorie, le locataire de l’Élysée devrait, ironie de la vie politique, choisir un candidat de son camp d’origine, la gauche, pour diriger le gouvernement. Il attendra «que les choses se structurent à l'assemblée» avant d'agir a confié son entourage. «La France est ingouvernable» a statué l'ancien premier ministre Edouard Philippe, appelant à un accord «pour stabiliser le pays».
Motions de censure
Cette gauche unie électoralement sous le label «Nouveau Front populaire» (NFP) est-elle en mesure de gouverner ? La réponse unanime de ses dirigeants a été oui ce dimanche soir, bien qu'elle ne dispose pas d'une majorité relative solide. Difficile, en effet, de gouverner seul, sans alliés, avec environ 200 députés, compte tenu des risques permanents de motion de censure de la part des autres partis, s'ils se coalisent. Il faudra donc trouver un accord, sans doute avec le centre macroniste. Mais comment l'obtenir alors que Jean-Luc Mélenchon a d'emblée plaidé pour l'application du programme du NFP, parmi lequel figure l'abrogation du report à 64 ans de l'âge de la retraite, réforme emblématique du second quinquennat Macron?
Emmanuel Macron, justement. Celui-ci avait, en 2017, réussi la prouesse de se faire élire président en misant sur l’alliance du centre gauche et du centre droit, mais après avoir trahi l’homme qu’il avait servi comme conseiller: le président socialiste François Hollande. Or voilà que tout s’est renversé. Hollande, qui se représentait devant les électeurs, a été élu député socialiste de Corrèze. Il pourrait même, disent certains, être choisi par son successeur pour parvenir à former une coalition dans le cadre d'une majorité alternative à l'assemblée, ce qu'il a par avance démenti. Son intervention au soir du second tour n'était en tout cas pas celle d'un député ordinaire.
Guerre civile écartée
Le danger de la guerre civile avait été évoqué avant le second tour de scrutin. La peur était réelle à trois semaines de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris. Difficile, en revanche, d’imaginer une grande coalition «à l’allemande» dans un pays où chacun, sauf le Rassemblement national, continue de réclamer la victoire. La perspective d'un gouvernement technique, ou d'un cabinet d'experts, devient possible. La possibilité pour Emmanuel Macron de jouer la montre jusqu'à la fin des Jeux Olympiques, début septembre, est aussi sur la table. Le président pourrait en effet confier le pays à un gouvernement intérimaire chargé de gérer les «affaires courantes», au moins pendant le déroulement des JO. L'assemblée élue ce dimanche ouvrira sa nouvelle législature le 18 juillet. Elle ne peut pas être dissoute pendant un an.
Majorité relative
Emmanuel Macron a appelé à la prudence. Mais comment ce président pourrait-il accepter que le Nouveau Front populaire, arrivé au pouvoir avec une majorité relative, abroge certaines de ses réformes les plus symboliques comme celle repoussant l’âge de la retraite à 64 ans? Comment imaginer que Macron, l’ami des dirigeants d’entreprise, accepte une politique de hausse des salaires comme le préconise le programme du NFP ?
L’extrême droite ne gouvernera pas en France. De nombreux dirigeants européens, qui s’inquiétaient de voir Jordan Bardella devenir Premier ministre, sont soulagés. La satisfaction du Chancelier allemand Olaf Scholz est évidente. Mais rien n’est clair. La sidération demeure.
La France est écartelée en trois blocs. Tous ceux qui redoutent le poids de la gauche radicale brandissent leur inquiétude, alors que la liesse populaire était au rendez-vous pour saluer le «camp de la victoire». Emmanuel Macron a échoué à recomposer la vie politique française. Il est, à trois ans de la fin de son mandat, encore plus isolé dans son palais présidentiel.