Le premier est président de la République jusqu’en mai 2027. Et il a promis à plusieurs reprises de rester à son poste, quoi qu’il advienne, comme le lui permet la Constitution française. Le second est Premier ministre depuis le 13 décembre, avec pour mission de former un gouvernement capable de tenir, en l’absence de majorité à l’Assemblée nationale. Bienvenue dans le face-à-face entre Emmanuel Macron, qui a fêté ses 47 ans samedi 21 décembre, et François Bayrou, 73 ans, l’homme qui lui permit, en 2017, de se faire élire à la tête de l’État en renonçant à se porter lui-même candidat.
Ces deux-là, sur le papier, sont les meilleurs alliés du monde. Mais dans les faits, leur alliance pourrait bien rapidement montrer ses limites, surtout si François Bayrou, maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) et vétéran de la politique française, parvient à déjouer les pièges qui ont coûté son poste à son prédécesseur, Michel Barnier.
Barnier, l’échec
Ce dernier a en effet été renversé par une majorité absolue de députés (312 sur 577) le 4 décembre, ce qui n’était pas arrivé en France depuis 1962! Résultat: Barnier le montagnard alpin, originaire de Savoie, restera dans les annales comme le Premier ministre français le plus éphémère, resté moins de quatre mois au pouvoir! Place, pour lui succéder, à un autre élu descendu des montagnes, pyrénéennes cette fois: le Béarnais Bayrou.
Bayrou, le démocrate chrétien
Bayrou-Macron: leur parcours et leurs vies sont aux antipodes. Le premier est un centriste pur jus, issu de la démocratie chrétienne, enraciné dans son territoire du sud-ouest, fils de paysan et éleveur de chevaux. Le second est un déraciné, propulsé à la tête du pays par l’élection présidentielle surprise de 2017 sur une promesse de disruption qui a fait long feu.
Leur point commun: les deux ont toujours cru en leur destin hors norme. Et tous les deux n’hésitent pas à faire rimer ce destin avec «divin» en fréquentant les églises, les cathédrales et les rois de France. Macron a pris en main le chantier désormais terminé de Notre-Dame de Paris. Bayrou a écrit une biographie à succès du roi Henri IV, protestant béarnais converti au catholicisme et assassiné en 1610.
Marine Le Pen, l’attente
Les deux hommes ont en plus la même adversaire: Marine Le Pen. La cheffe du Rassemblement national (droite nationale populiste), cheffe du plus important groupe de députés à l’Assemblée, peut faire à tout moment tomber le gouvernement si elle allie ses voix avec la gauche, comme elle l’a fait le 4 décembre.
Or Le Pen attend. Elle sait que François Bayrou entrera dans le dur lorsqu’il devra défendre, devant le Parlement, le projet de loi de finances rectificatif pour 2025, alors que pour le moment, les dépenses et les recettes sont régies par une loi spéciale approuvée ces derniers jours. Marine Le Pen voit aussi que sa cote de popularité reste au plus haut. Au moment où celle du président est au plus bas (76% des Français le jugent «mauvais président»), et celle du Premier ministre peine à décoller (66% des personnes interrogées sont mécontentes de son choix). Preuve du doute qui règne dans l’opinion publique.
Au final? Une question simple: à quel moment les destins de Macron et de Bayrou vont-ils diverger, ou entrer en collision? On pourra en avoir un premier aperçu dès ce lundi, si le nouveau gouvernement est nommé avant Noël, comme promis. Plus il y aura en son sein de personnalités proches du Premier ministre, et éloignées du président, plus le chef du gouvernement aura marqué des points.
Quelles priorités gouvernementales?
Autre signe: les priorités que François Bayrou affichera dans son discours de politique générale qu’il prononcera début janvier. S’il décide de rouvrir le dossier de la réforme des retraites entrée en vigueur en 2023, emblématique pour Emmanuel Macron, un premier pas sera franchi. S’il introduit le mode de scrutin proportionnel, peu favorable au camp présidentiel, en net recul lors des dernières législatives des 30 juin et 7 juillet organisées après la dissolution de l’Assemblée, l’héritage macroniste deviendra encore plus difficile à défendre dans les urnes.
Beaucoup d’observateurs voient dans la phase politique actuelle en France un juste retour des choses. François Bayrou a contribué à «faire» Macron. C’est peut-être à lui que reviendra le choix de le «défaire», surtout s’il envisage – ce qui serait logique – de se présenter à la présidentielle de mai 2027 pour succéder à l’actuel locataire de l’Élysée.
L’ombre à l’Élysée
Et Emmanuel Macron? Est-ce parce qu’il redoute de voir sa fin de mandat présidentiel lui échapper qu’il a, jusqu’au bout, résisté à la nomination de François Bayrou à la tête du gouvernement? La réponse viendra vite. Si Bayrou tient, s’il n’est pas renversé, et s’il prend la lumière… le palais de l’Élysée se retrouvera vite dans l'ombre.