Premier ministre français
François Bayrou, l'éternel recours républicain obtient le rôle de sa vie

Le leader centriste François Bayrou accède à la tête du gouvernement français dans des conditions presque impossibles. Lui qui s'est toujours vu en éternel recours va enfin pouvoir jouer ce rôle.
Publié: 13.12.2024 à 13:34 heures
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Dernière mise à jour: 13.12.2024 à 14:54 heures
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François Bayrou est l'un des parrains politiques d'Emmanuel Macron dont il avait facilité l'élection en 2017
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Il s’est toujours présenté comme le recours. Comme l’homme qui peut sauver la République contre les partis, mais aussi contre les populismes de droite ou de gauche. François Bayrou, 73 ans, vient d’obtenir le rôle politique de sa vie.

En le nommant Premier ministre à l’issue d’un suspense qui a vu beaucoup de commentateurs annoncer, à tort, une fâcherie entre le président français et le leader centriste, le communiqué du palais de l’Élysée est tombé. Bayrou succède au Premier ministre démissionnaire Michel Barnier avec pour objectif, ni plus ni moins, de réaliser l’impossible pour sauver le second mandat d’Emmanuel Macron.

Pourquoi François Bayrou, politicien vétéran dont le tout-Paris connaît le caractère ombrageux, redoute les colères et dénonce souvent l’arrogance? D’abord et avant tout parce que le Chef de l’État français, qui a le pouvoir de nommer le Premier ministre de son choix selon la Constitution, n’avait plus d’autres solutions.

En pleine crise politique

La France est en pleine crise politique. Le conservateur Michel Barnier, 73 ans aussi, a échoué à constituer un gouvernement soutenu par une majorité de députés dans l’Assemblée nationale fracturée en trois blocs depuis les législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet. Il faut impérativement parvenir à convaincre les partis «de gouvernement» – de la droite traditionnelle à la gauche sociale-démocrate – de ne plus voter de motion de censure. En clair: faute de disposer d’une majorité de députés, le premier ministre doit réussir à conclure un pacte de non-agression, seul moyen de tenir et de permettre au pays d’éviter le blocage.

François Bayrou n’est pas encore assuré d’y parvenir. L’homme est détesté par une bonne partie de la droite, sa famille politique d’origine. Il est haï par l’ancien président Nicolas Sarkozy, qu’il refusa de soutenir en 2012 contre le socialiste François Hollande, allant même jusqu’à voter pour ce dernier au second tour. Bayrou a, en fait, toujours rêvé d’incarner la troisième voie entre la gauche et la droite, stratégie reprise avec succès par Emmanuel Macron.

Troisième à la présidentielle de 2007

En 2007, le centriste finit en troisième place au premier tour de la présidentielle avec 18% des suffrages. Depuis lors, il s’est toujours présenté comme un recours. Avec comme credo la décentralisation, l’orthodoxie en matière budgétaire et le soutien aux valeurs conservatrices de droite qui sont celles de ses racines dans le Béarn, le pays du roi Henri IV (qui imposa la paix entre protestants et catholiques) sur lequel il a écrit une biographie à succès.

François Bayrou s'est présenté à la présidentielle 2007.
Photo: KEYSTONE

Bayrou est celui dont Macron, paradoxalement, peut craindre le plus. Il ne fait pas de doute que le nouveau Premier ministre lorgne encore vers le palais présidentiel de l’Élysée. S’il réussit à stabiliser le pays dans cette phase très compliquée, beaucoup le voient déjà candidat à la présidentielle de 2027. Ce serait alors la fin d’un cycle entamé par son ralliement, en 2017, à Emmanuel Macron.

Le parrain de Macron

Bayrou a permis l’élection de l’actuel président. Il l’a ensuite accompagné tout au long de son mandat dans diverses fonctions non gouvernementales – après un bref passage au ministère de la Justice – car il faisait face parallèlement aux poursuites judiciaires dans une affaire de détournement de fonds publics, via l’utilisation d’assistants du Parlement européen à des tâches nationales. Le 5 février 2024, sa relaxe l’a libéré (même si le parquet a fait appel). Et depuis, son nom circulait de plus belle.

Pourquoi le Chef de l’État peut redouter Bayrou? Parce que celui-ci va s’atteler à deux objectifs assurés de faire de l’ombre au président.

Bayrou a été l'un des premiers à croire en Macron et a été un soutien indéfectible.
Photo: KEYSTONE

Faire oublier le président

Le premier est de faire oublier Macron, purement et simplement. Bayrou doit en priorité négocier avec les partis susceptibles de le soutenir, ou de ne pas le forcer à démissionner. Or il devra pour y parvenir faire de l’anti Macron: consulter, négocier, éviter les prises de décision verticales. L’un de ses premiers dossiers, avec l’adoption d’un budget pour 2025, sera sous doute l’introduction du scrutin proportionnel qu’il réclame de longue date à la place de l’actuel scrutin majoritaire.

Le deuxième objectif de François Bayrou est de réconcilier les Français avec l’exercice du pouvoir politique. Il doit, s’il veut en plus contrer les forces politiques radicales (Rassemblement national à droite, La France Insoumise à gauche) trouver des solutions concrètes et démontrer que le gouvernement peut encore fonctionner, sans verser dans le national-populisme du RN ou le populisme révolutionnaire de Jean-Luc Mélenchon. François Bayrou, proeuropéen convaincu, pourrait bien choisir de consulter les électeurs par référendum sur des sujets de société. Il devrait aussi tenir aux Français un langage de vérité. Mais il sera immanquablement associé au bilan d’Emmanuel Macron. Comment, dès lors, apparaître novateur?

Force tranquille

Pour ce rôle politique de recours auquel il aspirait tant, François Bayrou a un atout: celui d’avoir souvent été l’homme qui dit non. Comme le Général de Gaulle, le Béarnais, maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) depuis 2014, a su patienter et tenir tête à tous ceux qui lui demandaient de se soumettre. On le dit orgueilleux? Il l’est. On le dit têtu? Il l’est. Mais il est aussi une figure connue, proche du terroir (il aime les chevaux, qu’il élève dans sa propriété béarnaise) et de la France réelle. Un chrétien convaincu aussi, mais un ardent partisan de l’école publique, lui qui fut ministre de l’Éducation nationale entre 1993 et 1997.

Sa force principale? Avoir réussi à inscrire son action dans l’histoire. Ne pas apparaître comme un produit de communication politique. Être à la fois un intellectuel (il est agrégé de lettres) et un homme de terrain. François Mitterrand avait autrefois utilisé avec succès le slogan «La Force tranquille». François Bayrou, en 2024, va sans doute l’adopter à la tête d’un gouvernement fragile et le dos au mur.

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