Les mots claquent. Ils désignent, chacun, une facette de la vie publique et politique de François Bayrou, 73 ans, le nouveau Premier ministre français. Traître. Insupportable. Sauveur. Fossoyeur. Voici ce que l’on entend, dans la classe politique parisienne, à propos de celui qui va désormais, conformément à la Constitution française, «conduire la politique de la nation». Vrai ou faux? Blick vous apporte les réponses.
Le «traître» Bayrou
Celui qui emploie le plus souvent ce qualificatif se nomme Nicolas Sarkozy. L’ancien président français (2007-2012), chantre d’une droite axée sur les valeurs de sécurité, n’a jamais pardonné à François Bayrou ses deux «trahisons». On résume.
En 2007, alors qu’il vient de réaliser une belle performance à la présidentielle (arrivé en 3e position au premier tour avec 18% des voix), le leader centriste hésite à recevoir la candidate socialiste Ségolène Royal et à nouer avec elle un pacte de gouvernement. N’empêche: le mal est fait, la droite est blessée même si «Sarko» gagne ensuite haut la main.
Bis repetita en 2012: cette fois, François Bayrou ne totalise que 11% des voix. Mais il persiste et signe: pas question de soutenir le sortant Sarkozy. A titre personnel, Bayrou annonce qu’il votera au second tour pour le socialiste François Hollande. Toute une partie de la droite française ne lui a toujours pas pardonné.
Insupportable Bayrou
Le Béarnais, maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) depuis 2014, est une forte tête. Son Mouvement démocrate est, en théorie, l’héritier de l’UDF crée par l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing dans les années 70. Dans les faits, ce parti a toujours été une machine qui tourne autour de Bayrou, et lui sert de plateforme électorale.
A chacune de ses candidatures présidentielles (2002, 2007, 2012), François Bayrou a adopté la même posture: celle du donneur de leçons qui comprend la France, dénonce les combines des partis et s’alarme de l’endettement du pays. Problème: dans sa propre formation, les arrangements avec la loi sont nombreux.
La preuve? Le procès du Modem, en 2023, pour détournement de fonds publics suite à l’emploi, en France, d’assistants parlementaires européens. Bayrou a été relaxé faute de preuves. Mais le parquet a fait appel. Ce qui le place, comme Premier ministre, dans une position délicate avec la justice.
Bayrou le sauveur
C’est la posture favorite de l’intéressé. Sauveur de la République. Sauveur de la démocratie (il a donné en 2017 son parrainage à Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national, pour lui permettre de se présenter). Sauveur de la France, tout simplement.
Ses combats? Le scrutin proportionnel, la décentralisation, la transparence. «Plus aucun citoyen ne croit qu’il peut aujourd’hui changer concrètement sa vie, sa propre vie, par son bulletin de vote», assène-t-il dans on livre «Pensez le changement.» Avec, ensuite, une affirmation: «Il n’y a qu’une seule question politique: comment voulez-vous élever vos enfants?»
Homme de lettres, François Bayrou est aussi historien. Il aime le temps long. Et côté politique, il a bel et bien sauvé Macron. Le 22 février 2017, en pleine campagne présidentielle, le centriste se désiste pour l’ex-jeune ministre qui prône le «ni droite ni gauche». Ceci explique évidemment le ton très rugueux de la conversation entre les deux hommes ce vendredi matin au palais de l’Élysée. Bayrou a résisté à Macron. Il lui aurait même, dit-on, forcé la main pour être nommé premier ministre.
Le fossoyeur Bayrou
Le fossoyeur, c’est celui qui creuse votre tombe. Or sur ce plan, François Bayrou, admirateur du pacifiste Lanza del Vasto et du philosophe protestant Jacques Ellul, en connaît un rayon. Il a récupéré l’UDF de Giscard, puis il l’a enterré. Il a plusieurs fois été contesté au sein du Modem, ce parti entièrement dévolu à sa personne. Et il est peut-être aujourd’hui, lui le représentant du «vieux monde» politique, en train d’enterrer le nouveau monde d’un certain Emmanuel Macron.
Exemple: sa volonté de réhabiliter les partenaires sociaux et le Parlement, méprisés par Macron. Autre exemple: son désir de s’appuyer sur les élus locaux, avec lesquels Emmanuel Macron n’a jamais réussi à établir un lien solide. Le fossoyeur Bayrou, s’il parvient à constituer un gouvernement de coalition assez large dans une France politiquement fracturée, deviendra-t-il un bâtisseur?