«Procès historique», «tournant majeur», «révolution»... le procès des viols en série de Mazan en France a provoqué une onde de choc sociétale dans ce pays dont l'impact, dans la durée, sur la lutte contre les violences faites aux femmes reste toutefois incertain.
Dans ce procès hors norme, Dominique Pelicot est accusé d'avoir drogué son épouse, Gisèle Pelicot, et d'avoir recruté des dizaines d'inconnus sur internet pour la violer de juillet 2011 à octobre 2020, au domicile du couple à Mazan (sud de la France).
Que restera-t-il des plus de trois mois d'audience, des unes de la presse nationale et internationale, des manifestations et des portraits de la victime tapissés sur les murs de Lille (nord), Paris ou New York une fois le verdict prononcé?
«Changer le regard sur le viol»
Dans les rangs des associations féministes et des parties civiles, l'espoir est grand de voir ce procès à fort retentissement médiatique faire évoluer les mentalités sur les viols, tentatives de viols et agressions sexuelles déclarés chaque année par plus de 200'000 femmes en France.
Il faut que ce procès permette de «changer l'idée ancrée dans un imaginaire masculin que le corps de la femme est un objet de conquête», a martelé lors de sa plaidoirie Me Stéphane Babonneau, l'un des avocats de Gisèle Pelicot. «Il est temps qu'on change le regard sur le viol», a déclaré à la barre Gisèle Pelicot.
L'espoir d'une «révolution»
Porte-voix du mouvement #Metoo dans le cinéma français, l'actrice Judith Godrèche a émis l'espoir d'une «révolution». Plusieurs membres du gouvernement français ont pour leur part estimé qu'il y aurait «un avant et un après Mazan».
«En refusant le huis clos, Gisèle Pelicot a permis à la société française de progresser, de voir ce qu'était le viol conjugal, la soumission chimique et de montrer que le viol concernait Mr et Mme tout le monde», déclare Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes.
«Ces images de Gisèle Pelicot entrant chaque jour dans le tribunal la tête haute et les mis en cause entrant le dos courbé, avec le visage dissimulé, ont également montré que la honte avait changé de camp», ajoute-t-elle.
Gisèle Halimi, une pionnière?
Rien à voir avec le procès historique d'Aix-en-Provence (sud) de 1978, abonde Agnès Fichot, alors jeune avocate auprès de Me Gisèle Halimi qui défendait deux jeunes touristes belges violées par trois hommes près de Marseille. A l'époque, les deux victimes et leurs conseils avaient dû subir les insultes et les huées des accusés et de leurs soutiens venus en nombre, rappelle-t-elle.
«Le procès de Mazan est un véritable éveil, sinon réveil, des consciences sur le regard des hommes sur les femmes, et surtout la manière dont les femmes exigent que les hommes aient un regard différent sur elles», dit Me Agnès Fichot.
Un avis partagé par l'avocate spécialiste des violences faites aux femmes, Anne Bouillon. «Ce procès nous a tous profondément marqués et constituera un repère qu'on pourra remobiliser, en tous cas, dans les prétoires», observe Me Bouillon, «personnellement convaincue qu'on ne reviendra pas dans l'avant-Mazan».
Réponse politique exigée
Il a permis «de confirmer qu'il n'y a pas de profil type de violeur et que la plupart des violeurs sont des hommes ordinaires qui commettent le viol par opportunité.» Un «miroir grossissant» sur ce qu'est le viol, mais après? Craignant que le soufflé ne retombe, des voix s'élèvent déjà en France pour qu'une réponse politique ou législative soit apportée.
Le procès d'Aix avait débouché deux ans plus tard sur une loi définissant pour la première fois de façon précise le viol. En Espagne, l'affaire de «la Manada» (La Meute), un viol collectif commis en 2016, a conduit le pays à renforcer sa législation contre le viol en y intégrant la notion de consentement.
Un débat similaire a émergé en France et a gagné en vigueur avec le procès Mazan, même si la question est loin de faire l'unanimité.
«Les hommes doivent s'en mêler!»
«Ce n'est pas tellement le sujet, le sujet est plus du côté des violences conjugales, de la récidive, de l'importance de l'éducation à la sexualité», estime Anne-Cécile Mailfert, déplorant l'offensive conservatrice en cours en France contre cet enseignement obligatoire depuis 2001.
Agnès Fichot met en garde: si le procès Mazan a eu «un écho inimaginable», tous les «problèmes ne sont pas pour autant résolus». «Les hommes doivent s'en mêler absolument, il y en a qui s'en mêlent mais, soyons réalistes, il y en a encore beaucoup trop sur le bord de la route», dit-elle.
Comme en 1978, il s'agit désormais de «se mettre au travail» et d'accompagner ce débat, ajoute l'avocate. «Et surtout ne pas oublier. Avoir la mémoire du combat mené par ces femmes, que ce soit Aix ou Mazan, pour que le regard de l'homme change.»