On en parle depuis des mois. Plus exactement, depuis les élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, qui ont accouché d’une Assemblée nationale sans coalition majoritaire. Le chaos politique français, symbolisé par la motion de censure qui a renversé le 5 décembre le gouvernement de Michel Barnier, est-il là pour durer jusqu’à la prochaine élection présidentielle de mai 2027? Où est-il possible d’entrevoir une accalmie, grâce à la nomination du nouveau Premier ministre François Bayrou?
La réponse à cette question dépendra largement du résultat des consultations que le nouveau chef de gouvernement, politicien centriste expérimenté de 73 ans, va entreprendre dès ce week-end avec les partis politiques représentés à l’Assemblée. En France, le chef du gouvernement n’a pas l’obligation d’obtenir, avant d’entrer en fonction, un vote de confiance d’une majorité de députés. Il peut le solliciter pour montrer sa force. Mais s’il l’évite, parce que trop fragile, il peut se contenter d’une déclaration de politique générale prononcée en même temps devant les deux chambres du Parlement.
Les consultations que va entamer François Bayrou sont de trois ordres
Avec la droite traditionnelle et le camp présidentiel (dont son parti, le Mouvement démocrate ou Modem), qui soutenaient le gouvernement Barnier, le nouveau Premier ministre va chercher à proroger la situation actuelle. Il a impérativement besoin de leurs 220 députés (sur 574 sièges actuellement pourvus). Symbole: le premier entretien accordé par Bayrou l’a été, vendredi soir, au ministre sortant de l’Intérieur Bruno Retailleau, tenant d’un durcissement de la politique migratoire et d’une plus grande fermeté contre le narcotrafic. Restera-t-il à son poste? C’est un dilemme pour le Premier ministre car pour la gauche et le centre, Retailleau est un peu un épouvantail soupçonné de faire le lit de l’extrême-droite.
Avec les socialistes, les écologistes et les communistes, prêts à discuter mais pas à participer au gouvernement, François Bayrou doit, pour en finir avec le chaos, obtenir des garanties de non-censure. En clair: le nouveau Premier ministre doit offrir quelque chose à cette gauche qui veut maintenant se séparer de La France Insoumise (gauche radicale). Il est peu probable que Bayrou abandonne la réforme des retraites, qu’il approuve sur le fond mais dont il a déploré l’adoption sans vote à l’Assemblée en 2023. Il s'est néanmoins empressé de recevoir une personnalité classée à gauche: le président de la Cour des Comptes Pierre Moscovici, ancien ministre des Finances de François Hollande puis Commissaire européen. Et ce, juste après la dégradation de la note de la France par l’agence de notation Moody’s.
Dette excessive? Non
On voit mal François Bayrou porter un projet de budget dépensier, alors qu’il a toujours alerté contre le danger d’une dette excessive. Que reste-t-il? Sans doute l’engagement à introduire le scrutin proportionnel (favorable a priori aux petits partis). Peut-être la promesse de ne plus passer en force avec l’article 49.3 de la constitution qui permet l’adoption d’une loi sans vote. Et peut-être l’idée d’une grande conférence sociale. Le nouveau Premier ministre connaît bien les sujets sociaux car il a supervisé les travaux du Conseil national de refondation que Macron avait créé après sa réélection présidentielle en avril 2022.
Avec le Rassemblement national (droite nationale populiste) et la France Insoumise (Gauche Radicale), Bayrou doit diviser. Si ces deux partis ne votent pas ensemble une motion de censure, elle ne sera pas adoptée. Son gouvernement, alors, ne tombera pas. On peut donc d’attendre à ce que le Premier ministre instaure entre ces deux formations une sorte de paroi politique étanche. Il ne faut surtout pas les mécontenter ensemble, et au même moment.
Calmer le jeu
Avec Emmanuel Macron et tous les principaux ténors de la vie politique française, Bayrou doit, s’il veut calmer le jeu, se présenter en pacificateur. Il doit faire oublier qu’il pense évidemment à l’élection de 2027, lui qui a été candidat trois fois à la présidentielle (2002,2007, 2012). Son intérêt est de se consacrer d’abord aux discussions budgétaires pour 2025, même si une loi spéciale qui va être débattue semaine prochaine permet de limiter les dégâts de la non-adoption du projet de loi de finances, grâce à la reconduction des dépenses et recettes 2024.
Faire profil bas. Rassurer. Donner la parole au Parlement. Il y a enfin une autre chose que Bayrou devrait obtenir pour calmer le jeu: la promesse d’Emmanuel Macron de ne pas dissoudre à nouveau l’Assemblée avant la fin de son mandat. Le président, en acceptant cela, se priverait toutefois de sa dernière arme politique.