Que se sont-ils vraiment dit, ce vendredi 13 décembre 2024, entre 8h30 et 10h, au palais présidentiel de l'Elysée? Il aura en effet fallu une heure et demie d'entretien, puis un peu plus d'une heure de conciliabule, pour qu'Emmanuel Macron nomme François Bayrou Premier ministre, afin de remplacer Michel Barnier.
Dans tout autre pays habitué aux discussions interminables sur la fabrique des coalitions gouvernementales, une telle matinée serait jugée normale, voire presque expéditive! Mais pas en France, où le Chef de l'Etat peut nommer qui il veut à la tête du gouvernement. On vous la fait courte: il y a bien eu un bug matinal sur les tapis rouges et dans les salons de la présidence de la République française. La raison de ce bug est à peu près connue: Emmanuel Macron ne voulait pas nommer François Bayrou.
Une fois encore, le président quadragénaire espérait profiter d'une brèche, surprendre, et demeurer le «maître des horloges». Qu'importe, d'ailleurs, le nom de celui qu'il envisageait pour l'Hôtel Matignon. La vérité est que ce chef de l'État impulsif, disruptif, audacieux et déroutant, ne supporte pas d'être mis sous pression.
L'éléphant Bayrou
Or, Bayrou le centriste, son allié de 2017, son compagnon de route - passé d'un éphémère ministère de la Justice au Commissariat au plan, puis à la supervision du Conseil national de Refondation chargé d'auditer la France - est un éléphant. Impossible de le caser quelque part sans casser la porcelaine macroniste.
Bayrou a plusieurs fois, depuis 2017, dénoncé les dérapages de Macron et mis en garde contre les risques de collision politique. Il n'a pas aimé la façon dont ce président a d'abord méprisé les «gilets jaunes». Il n'était pas favorable à une réforme à la hussarde du système de retraite (bien qu'il le juge intenable). Il en veut à son «poulain» d'avoir dépensé sans compter, faisant exploser la dette publique, avec la dépendance qui s'ensuit.
De Barnier à Bayrou
Voilà pourquoi Emmanuel Macron redoutait la «solution Bayrou», dont rien ne dit qu'elle sera plus viable et plus durable que la «solution Barnier», dans un pays fracturé où la droite nationale-populiste et la gauche radicale sont en embuscade. François Bayrou incarne, pour ce président sorti de nulle part, sans parti ni attache élective locale, la figure du père qui a peut-être osé lui dire ses quatre vérités et, surtout, lui tenir tête. En clair: Bayrou, célèbre pour avoir mis une légère gifle à un gamin qui tentait de le détrousser, semble avoir engueulé le président. Et il faut s'en féliciter.
Emmanuel Macron a tenté depuis 2017 de changer la France. Il s'est battu pour rendre ce pays plus attractif et plus compétitif sur le plan économique. Il a, un temps, fait office de boîte à idées pour l'avenir de l'Union européenne. Mais il a, à chaque fois, gâché ces avancées par son tempérament, son refus d'écouter, son aveuglement sur les résistances, parfois légitimes, de la société française.
Jupiter et sa planète
En recherchant parmi sa garde rapprochée un Premier ministre qui dépendrait de lui, le président voulait avant tout ne rien lâcher, et se faufiler dans les ruines engendrées par sa décision surprise de dissoudre l'Assemblée nationale.
François Bayrou a, semble-t-il, décidé de le contrecarrer. Quitte à le mettre en demeure de le nommer à la tête du gouvernement. Ce chantage peut désoler tous ceux qui, vu de Suisse, ne supportent plus le présidentialisme tricolore et plaident pour des compromis. Mais il aura peut-être un résultat inattendu: faire enfin comprendre à «Jupiter» que sa planète politique ne tourne plus rond du tout!