Un responsable politique un peu «kamikaze». C’est ainsi que le nouveau Premier ministre français a présenté, à la télévision, celui qui sera désormais en charge de l’Outre-mer dans son gouvernement. A 73 ans, François Bayrou aurait donc, à l’entendre, confié l’un des dossiers les plus explosifs du moment – sur fond de dévastations causées par le cyclone Chido à Mayotte, de contestations sociales en Martinique et de quasi-guerre civile en Nouvelle-Calédonie – à un adepte des attaques suicides, comme les pilotes japonais de la Seconde Guerre mondiale? La comparaison a de quoi faire sourire. Car Manuel Valls, 62 ans, aurait pu être un Helvète calme et placide. Sa mère, Luisa Galfetti, est en effet Tessinoise, et a toujours conservé sa nationalité suisse.
Valls le kamikaze? Pour tous ceux qui scrutent depuis des années la carrière de celui qui fut conseiller de Lionel Jospin, ministre de l’Intérieur, puis Premier ministre (2014-2016) sous la présidence de François Hollande, la référence est éloquente. Car en termes de suicide politique, Manuel Valls a décroché le pompon en cooptant, lorsqu’il était le chef du gouvernement, un nouveau ministre de l’Économie nommé… Emmanuel Macron.
Valls et les «frondeurs» du PS
Nous sommes alors à la fin août 2014. Les «frondeurs» du Parti socialiste reprochent au président socialiste François Hollande de trahir ses promesses sociales. Le ministre de l’Économie Arnaud Montebourg s’en prend directement au Chef de l’État. Tout juste nommé chef du gouvernement, Manuel Valls, connu pour sa rigidité et son goût de l’autorité, accepte la démission de l’intéressé, chantre du nationalisme productif. Qui pour le remplacer? Manuel Valls a un nom: celui d’un des principaux conseillers du président depuis son élection en 2012, le jeune Emmanuel Macron, alors âgé de 37 ans.
Kamikaze? Manuel Valls le vrai-faux Suisse – il n’a jamais demandé sa nationalité helvétique alors qu’il est espagnol, et a été en revanche naturalisé français en 1982 – est surtout suicidaire par ses virages politiques. A la tête du gouvernement français durant l’année noire 2015, celle des attentats islamistes contre Charlie Hebdo et le Bataclan, le Premier ministre entre en lutte avec une partie de la gauche qu’il juge trop accommodante sur la laïcité. Son idole? Clemenceau, le fameux «Tigre» de la Première Guerre mondiale.
Gauche intransigeante
Manuel Valls veut incarner une gauche intransigeante. Lui, l’ancien maire d’Evry (banlieue sud de Paris), connaît les problèmes engendrés par une immigration incontrôlée. Problème: une frange de son camp politique ne veut pas en entendre parler. Dans son département de l’Essonne, Manuel Valls côtoie d’ailleurs celui qui deviendra l’un de ses principaux détracteurs et adversaires: l’actuel homme fort de La France Insoumise (gauche radicale) Jean-Luc Mélenchon, un temps enraciné dans ce sud parisien.
Manuel Valls connaît le Tessin, où il passait toutes ses vacances d’été jusqu’à son adolescence. Mais sa patrie de cœur est davantage la Catalogne, terre de son père artiste peintre. La Suisse? Trop calme pour ce politicien au sang chaud, peu porté vers le compromis. D’où ses décisions parfois irréfléchies, comme celle de se lancer en 2018 dans la course à la mairie de Barcelone, où il échouera de façon retentissante.
Autre preuve de ce tempérament fougueux, sans concession: son soutien déterminé envers Israël dans la guerre contre le Hamas. Là aussi, Manuel Valls s’oppose à la gauche de la gauche, qui continue de défendre les droits des Palestiniens. Mais c’est un autre dossier que François Bayrou vient de lui confier: celui des territoires français d’Outre-mer, où les révoltes grondent et où le manque de moyens financiers est criant.
Qu’en attendre? A coup sûr une réaffirmation de l’autorité républicaine. Au risque d’accroître les tensions avec les populations locales et les mouvances indépendantistes. Seul avantage: Manuel Valls connaît les rouges de l’État. Son efficacité, souvent reconnue, est assez helvétique. L’homme s’implique. Il veut des résultats. Pour sortir les lointains territoires français, cela peut s’avérer utile.
Réputation de rigidité
L’aspect sans doute le moins suisse de Manuel Valls est sa rigidité, son peu de goût du compromis, son manque de savoir-faire pour bâtir des coalitions. En France, les observateurs l’ont souvent comparé à Nicolas Sarkozy ou à un toréador qui agite le chiffon rouge à ses risques et périls.
Pourquoi François Bayrou, centriste qui déteste «Sarko», l’a donc recruté? Sans doute pour sa capacité à prendre des risques, et à gérer des dossiers compliqués. Manuel Valls garde aussi, même s’il est devenu très impopulaire à gauche, des liens avec la nomenklatura socialiste. Le nouveau Premier ministre a, ironie du sort, fait venir à ses côtés un voltigeur pour assurer un rôle de démineur. Les «kamikazes» ne l’oublions pas, étaient des pilotes qui transformaient leurs avions en bombes. Pas très rassurant…