François Bayrou est bien le Premier ministre du «vieux monde». Le nouveau chef du gouvernement français vient en tout cas de le prouver en choisissant de s’entourer «d’anciens» et «d’ex». Les deux noms les plus révélateurs de cette absence de renouvellement, et de réelle surprise, sont ceux de ses prédécesseurs Manuel Valls (2014-2016) et Elisabeth Borne (2022-2023).
Le premier, détesté au sein de l’actuel parti socialiste où il est considéré comme un «traître» et un «perdant», sera en charge de l’Outre-mer, en pleine gestion compliquée de l’après ouragan qui a dévasté l’île de Mayotte, dans l’Océan Indien. La seconde, elle aussi haïe à gauche pour avoir fait adopter la très controversée réforme des retraites en 2023 et multiplié les recours à la procédure sans vote de l’article 49.3, devient ministre de l’Éducation nationale.
Gérald Darmanin, le retour
Ajoutez à cette liste le retour de l’ex-ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, cette fois en tant que ministre de la Justice, plus la réapparition de fidèles d’Emmanuel Macron comme la nouvelle ministre du Budget Amélie de Montchalin, ou la nouvelle ministre de l’Égalité femmes-hommes Aurore Bergé, et l’affaire est entendue. Rien de neuf sous le soleil du leader centriste. A une exception «technique» l’arrivée au ministère des Finances d’un haut fonctionnaire, qui gérait jusque-là l’épargne des Français à la tête de la Caisse des dépôts: Eric Lombard.
Fin de partie, donc, pour ceux qui s’attendaient, comme l’avait promis François Bayrou, à un gouvernement composé de «poids lourds» susceptibles de convaincre le parti socialiste de ne pas voter une future motion de censure. L’équation parlementaire n’a en effet pas changé depuis le vote le 4 décembre, à la majorité absolue de 312 sur 577 députés, d’une telle motion contre le gouvernement de Michel Barnier. Si le PS accepte à nouveau de voter avec les autres partis de gauche, et avec le Rassemblement national, François Bayrou sera condamné à son tour à démissionner. Un premier test aura lieu le 16 janvier, deux jours après le discours de politique générale du premier ministre. La première réunion de ce gouvernement aura lieu le 3 janvier.
D’anciens chefs du PS
Pourquoi cette absence d’ouverture à gauche, hormis le recrutement de personnalités autrefois influentes au PS comme François Rebsamen (ex-maire de Dijon et bref ministre du Travail sous la présidence de François Hollande), ou bien sûr Manuel Valls? La réponse est simple: personne chez les socialistes n’était prêt à franchir le Rubicon. Et en l’absence de marge de manœuvre budgétaire, le Premier ministre ne pouvait rien offrir à la gauche sur le plan social.
Il est très peu probable, en l’état, que la réforme des retraites (qui a porté l’âge de départ à 64 ans au lieu de 62) soit remise en cause. Plus grave pour la gauche: l’arrivée de Gérald Darmanin à la Justice, combinée avec le maintien au ministère de l’Intérieur du très droitier Bruno Retailleau témoigne de la victoire d’une ligne sécuritaire, et anti-immigration. Difficile d’afficher un signal plus «à droite toute» sur le plan sociétal.
Celle qui sort victorieuse (à nouveau) de cette nouvelle crise politique française est Marine Le Pen. La cheffe du Rassemblement national (droite nationale-populiste) a ainsi obtenu la tête de celui que François Bayrou pressentait pour la Justice: le président de la région nord Xavier Bertrand, adversaire politique majeur du RN dans cette partie sinistrée du pays. Fait rare: l’intéressé s’est même fendu d’une lettre pour affirmer que le Premier ministre est revenu sur sa parole afin de contenter l’extrême-droite.
La justice priée d’obéir?
Cela va-t-il lui rapporter? Pas sûr du tout. A moins qu’en nommant Gérald Darmanin à la Justice, François Bayrou cherche à museler les juges qui rendront leur verdict fin mars dans le procès du Rassemblement national pour «détournement de fonds publics» via l’utilisation frauduleuse d’assistants parlementaires européens. Marine Le Pen risque d’être déclarée inéligible avec exécution immédiate de la peine. Un jugement dont dépend la suite de sa carrière politique.
Valls, le maillon faible
Marine Le Pen, donc, demeure en position de force. Et au vu de cette gifle infligée à la gauche modérée, Jean-Luc Mélenchon peut aussi se réjouir. Le leader de la France Insoumise (gauche radicale) a dénoncé la décision de ses ex-alliés socialistes, écologistes et communistes d’accepter le dialogue avec le président Macron. Il a par avance dénoncé leur «traîtrise» faite à la coalition du «Nouveau Front populaire» qui avait de justesse remporté les législatives du 30 juin et 7 juillet. Aujourd’hui, son opposition frontale lui donne raison. Les socialistes peuvent-ils soutenir, ou s’engager à ne pas censurer, un gouvernement dont Manuel Valls est le numéro trois? Qu’ont-ils obtenu? Que peuvent-ils dire à leurs électeurs, attachés à l’union de la gauche?
Dette de 3'300 milliards
Le retour au premier plan de revenants politiques, dont plusieurs fidèles d’Emmanuel Macron, montre que très peu de responsables politiques sont prêts à s’engager aux côtés du président français dans cette dernière partie de son second mandat, qui s’achèvera en mai 2027. Il prouve aussi qu’en l’absence de marge de manœuvre budgétaire, avec une dette publique qui dépasse désormais les 3'300 milliards d’euros, la France tourne en rond. François Bayrou a, on l’a appris, exigé du Chef de l’État d’être nommé Premier ministre. Sa promesse était de desserrer l’étau parlementaire qui a été fatal à Michel Barnier, le chef du gouvernement le plus éphémère de la Ve République. En l’état, l’on voit mal en quoi il est en train d’y parvenir.
Entre l’enclume Le Pen et le marteau Mélenchon, dans un contexte d’impopularité record d’Emmanuel Macron et de blocage institutionnel, François Bayrou a peut-être acheté un répit. Il reste en revanche très loin d’incarner, de manière crédible, la «réconciliation» qu’il a maintes fois promise.