La claque. La gifle. Jusqu’à la dernière minute ce lundi 23 décembre, les dirigeants du parti socialiste ont attendu de savoir de quoi sera fait le gouvernement du nouveau Premier ministre français François Bayrou. Pourquoi la claque? Parce que, pour le moment, la gauche modérée a perdu son pari. Elle ne voulait plus dépendre de la France Insoumise (LFI), le parti de gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon. Elle espérait des ouvertures réelles. Or, elle risque de se retrouver le dos au mur, sans rien à proposer à ses électeurs, si le chef du gouvernement entame comme on peut le penser une nouvelle partition de centre droit, comme son prédécesseur Michel Barnier, renversé par une motion de censure au début décembre.
La gauche française est en fait, en six mois, passée du rêve au cauchemar. Le rêve, la coalition regroupée sous le nom de «Nouveau Front populaire» (composée de LFI, des socialistes, des écologistes et des communistes) y croyait lorsqu’elle est sortie en tête des urnes, avec 191 députés, première force politique du pays à l’issue des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet.
L’inconnue Lucie Castets
A ce moment-là, les forces de gauche poussent ensemble – après moult tergiversations – la candidature de l’inconnue Lucie Castets au poste de Premier ministre. Refus net d’Emmanuel Macron, à qui la Constitution confère le droit de nommer qui il veut pour diriger le gouvernement. On connaît la suite: c’est un homme de droite, Michel Barnier, qui sort finalement du chapeau présidentiel. Mais devant l’impossibilité de faire voter un budget, il est forcé à démissionner par la motion de censure votée par une alliance bizarre des députés de gauche et du Rassemblement national (droite nationale populiste).
Et maintenant le cauchemar. Il a commencé après la chute du gouvernement Barnier. La gauche peut-elle gouverner seule? Non, continue de répondre Emmanuel Macron dont l’objectif reste le même depuis les législatives, provoquées par sa dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin: pousser les socialistes (près de 70 députés) à se séparer de LFI. Si le PS, présenté comme «parti de gouvernement», se désolidarise de ses alliés, alors la motion de censure ne pourra plus recueillir une majorité absolue de députés. La survie d’un gouvernement jusqu’à l’élection présidentielle de mai 2027 devient en théorie possible…
On en est là. Et pour l’heure, l’ex-parti de François Mitterrand et de Lionel Jospin n’a pas de solution à son dilemme. Comment soutenir le gouvernement de François Bayrou dans ces conditions ? Mais alors, pourquoi refuser de le censurer si, par exemple, rien n’est fait sur le plan social ? Et comment ne pas vivre comme un affront la nomination des deux anciens premiers ministres Manuel Valls et Elisabeth Borne ? Valls est détesté au PS dont il tenta en vain d'être le candidat à la présidentielle de 2017. Borne est associée à la réforme trés impopulaire des retraites qu'elle a fait adopter en 2023 à force de recours à l'article 49.3. On sait que le PS voudrait, comme Bayrou, l’introduction de la proportionnelle à la place du scrutin majoritaire. Mais cela ne revient-il pas à privilégier la tactique électorale sur le fond? Le tribun Jean-Luc Mélenchon a son refrain prêt. Pour lui, les socialistes, les écologistes et les communistes sont des «traîtres» qui oublient leur alliance électorale.
Pas de coalition «arc-en-ciel»
La vérité est que la gauche française, qui avait retrouvé son tonus aux législatives en profitant du «front républicain» contre le Rassemblement national, est à nouveau en ruines. Dans le système présidentiel français, seule une gauche unie peut faire élire un candidat à l’Élysée. Se diviser, c’est donc se condamner à jouer les supplétifs dans une éventuelle coalition. Mais avec qui? A l’heure où la droite traditionnelle est objectivement alliée à l’extrême droite sur les questions de sécurité et d’immigration, une grande coalition «arc-en-ciel» paraît juste impossible.
Jean-Luc Mélenchon savoure, lui, son moment. Il sait que les électeurs de gauche veulent l’union. Il a eu raison de ne pas croire aux ouvertures sociales de François Bayrou, coincé par les problèmes budgétaires chroniques de la France et par le refus obstiné d’Emmanuel Marron de revenir sur la réforme des retraites de 2023. Mélenchon est un allié objectif de la cheffe du Rassemblement national de Marine Le Pen. Il a un seul objectif dans son viseur: la présidentielle. Il sait que son mouvement, s’il présente des candidats contre le PS, pourra emporter de nombreuses circonscriptions de gauche (notamment dans les grandes villes), ou bien faire échouer les socialistes.
La traîtrise de 2017
La gauche française modérée a été tuée en 2017 par Emmanuel Macron, ce président qui avait un temps fréquenté le Parti socialiste, avant d’être l’un des principaux collaborateurs de François Hollande (aujourd’hui redevenu député PS de Corrèze). La traîtrise de l’actuel président reste une blessure fatale. S’associer à Macron, d’une manière ou d’une autre, reviendrait à se trahir pour les socialistes. La voici tuée à nouveau par le centriste François Bayrou.
Le réveil de la gauche française sera dur. Et le nouveau chef du gouvernement risque d'en faire très vite les frais.