Une carrière politique peut parfois prendre un virage brutal. Celle de l’ex-Premier ministre socialiste Manuel Valls, 59 ans, vient de buter, dimanche, sur un écueil électoral qui pourrait le conduire illico au cimetière du pouvoir.
Nettement battu au premier tour des législatives dans la 5e circonscription des Français de l’étranger qui regroupe l’Espagne, le Portugal, et les principautés d’Andorre et de Monaco, l’ancien patron du gouvernement français est désormais la risée de la classe politique. Et en particulier de la gauche radicale réunie autour de Jean-Luc Mélenchon, dont le candidat est arrivé en première position. Rallié depuis 2017 à Emmanuel Macron, Manuel Valls incarne la figure du traître puni une seconde fois par les électeurs, après avoir échoué en mai 2019 à conquérir la mairie de Barcelone.
La Suisse, pays d’origine de sa mère
Comment, dans ces conditions, envisager encore une carrière politique? La réponse pourrait peut-être venir de la Suisse, pays d’origine de sa mère tessinoise, Luisangela Galfetti. L’intéressée, âgée de 82 ans et toujours présente aux côtés de son fils lors des grands moments de son ascension vers les sommets de l’exécutif français, a toujours été dans l’ombre de son défunt mari, le peintre Xavier Valls.
Son effacement public est d’ailleurs la raison pour laquelle son fils, familier du Tessin où il venait en vacances durant son adolescence, a sans doute toujours professionnellement préféré la Catalogne aux Alpes. Plus de lumière à attraper, vu la proximité entre la France et l’Espagne et la taille respective des deux pays. Plus de soutiens locaux, compte tenu de l’héritage artistique paternel. Une revanche à prendre aussi sans doute pour «Manuel», longtemps traumatisé par le fait de ne «pas avoir une goutte de sang français», comme il s’en est expliqué dans son autobiographie publiée aux éditions Grasset.
Un socialisme très suisse, mâtiné de libéralisme
Sauf que la Suisse – risquons l’hypothèse – conviendrait bien mieux à sa compétence, à son positionnement et à son tempérament. Manuel Valls aime l’efficacité et il est réputé comme tel. Tant mieux: les Helvètes l’aiment aussi. Son socialisme est mâtiné de libéralisme: tant mieux, le PS suisse lui ressemble d’assez près. Son penchant pour l’ordre fait de lui tout sauf un rebelle. Tant mieux, la révolution ne rime guère avec la Confédération. Ajoutons la donne électorale et l’affaire devient presque alléchante.
Au premier tour des législatives ce dimanche, le candidat macroniste Marc Ferracci, qui reconnaît avec franchise son manque de liens personnels avec la Suisse, a tout de même raflé près de 37% des voix. Bien joué. L’affiche ornée du visage d’Emmanuel Macron a rallié les votants. De quoi faire réfléchir Manuel Valls qui, s’il s’était présenté dans cette sixième circonscription des Français de l’étranger, aurait pu transformer ses racines tessinoises en argument électoral. Et ce, malgré l'hostilité garantie d'une partie du PS helvétique: «Valls tenté par la Suisse pour un baroud d'honneur politique parce que «le PS suisse lui ressemble d’assez près » ? ! Quelle drôle d'idée. Manoeuvres, traîtrises, compromissions. Jamais le PS Suisse
ne voudra de ce véritable homme de droite» réagit aussitôt le conseiller communal Lausannois Louis Dana.
Un CV parfait d’entremetteur
L’histoire ne s’arrête pas qu’aux urnes. L’ancien chef du gouvernement français, à la tête du pays entre 2014 et 2016 sous le quinquennat de François Hollande, a ce qu’il faut pour réussir en Suisse une belle carrière de consultant expatrié. Carnet d’adresses hexagonal plein à ras bord. Lien direct – compliqué il est vrai – avec Emmanuel Macron, ce président qui n’aurait jamais accédé à l’Elysée sans avoir été deux ans le ministre de l’Économie… choisi par ses soins.
Son CV d’entremetteur est donc parfait, nourri par sa connaissance de l'histoire républicaine qui lui valut d'être voici quelques semaines invité à Zurich pour y donner une conférence. Le Conseil fédéral, conduit par son compatriote tessinois Ignazio Cassis, pourrait envisager de l’auditionner. Une bonne connaissance des dossiers européens. Des relais au plus haut niveau chez les militaires vexés du refus helvète d’acquérir le Rafale. Il ne reste à Manuel Valls, très porté sur un pouvoir exécutif fort et centralisé, qu’à apprendre quelques rudiments de démocratie directe et de décentralisation.
La tentation alpine
Alain Juppé, lui aussi ancien Premier ministre français, avouait jadis être prêt à céder à la «tentation de Venise», préférant l’exil de la Sérénissime aux batailles politiques parisiennes sans merci. La tentation alpine de Manuel Valls aurait le mérite de l’éloigner de ses motifs de frustration récents, et de l’armée de détracteurs qui l’ont contraint, dès lundi, à se débrancher du réseau social Twitter pour y éviter un tsunami d’insultes.
Essayez le Tessin, cher Manuel! Regardez du côté de la péninsule italienne plutôt que de persister chez les Ibères, même si votre nouvelle richissime épouse, Susanna Gallardo, entend bien vous garder de ce côté-là du continent européen.
Il faut savoir tourner les pages. La Suisse, longtemps adepte du secret bancaire, aura la discrétion qui vous convient en ces temps de tumulte. Et qui sait: peut-être découvrirez-vous qu’au fond, votre malentendu avec cette France toujours impétueuse et colérique vient de votre fond de caractère helvète. Trop ordonné et trop légitimiste dans une République qui, à travers l’histoire, a toujours accordé la prime au désordre et à la rébellion.