Laurent Wauquiez doit exister. Et si possible sur le même terrain que son adversaire pour la future présidence du parti les Républicains (droite): le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Comment, donc, se débarrasser des immigrés clandestins dangereux, les fameux OQTF (obligation de quitter le territoire français) que Retailleau ne parvient pas à renvoyer en Algérie, l’un des pays les plus concernés?
L’ancien président de la région Rhône-Alpes Auvergne, familier de la Suisse romande qu’il connaît bien, vient dès lors de brandir une idée qui décoiffe: une sorte de «Guantanamo à la française». «Je propose que les étrangers dangereux sous OQTF soient enfermés dans un centre de rétention à Saint-Pierre-et-Miquelon», vient-il de proposer dans un entretien au «JD News», le magazine lié au «Journal du dimanche». De quoi relancer le débat sur un dispositif d’éloignement forcé qui existait en France jusque dans les années cinquante pour les criminels: le bagne de Guyane, à Cayenne et Saint-Laurent-Du-Maroni.
Eloigner les clandestins
Parler de Guantanamo n’est pas qu’une figure de style. La volonté de Laurent Wauquiez n’est pas seulement d’éloigner physiquement ceux que l’on nomme en France les OQTF, à savoir des individus expulsables mais guère expulsés. Entre 7 et 10% seulement de ces personnes, déclarées persona non grata par la justice après avoir commis des délits, sont effectivement renvoyées chaque année dans leur pays d’origine.
Or Saint-Pierre-et-Miquelon, archipel proche des côtes canadiennes, connu surtout pour son industrie de la pêche (Trump vient de lui infliger des droits de douane de 50%), a trois caractéristiques qui rapprochent ce territoire de la base militaire américaine à Cuba utilisée pour y emprisonner les djihadistes considérés comme responsables de l’attentat du 11 septembre 2001.
Si froid, si loin
Caractéristique N° 1: ce territoire morcelé de 242 km2 présente de nombreux îlots inhabités, mais quadrillés par l’armée française qui patrouille dans leurs parages maritimes. De quoi y construire un, ou plusieurs, centres de rétention. Caractéristique N° 2: une maigre population de 6000 habitants, et une latitude nordique de nature à empêcher tout projet de fuite, sauf pour y trouver un iceberg accueillant. Caractéristique N° 3, et c’est là l’essentiel: l’archipel d’Outre-mer n’est ni membre de l’Union européenne, ni de l’espace Schengen.
Mais il reste sous souveraineté française, ce qui permet d’éviter les critiques faites au Royaume-Uni pour avoir conclu un accord d’expulsion avec le Rwanda (aujourd’hui caduc), et celles adressées à l’Italie pour avoir financé un centre de transit et de retour des clandestins sur un ancien aéroport en Albanie.
Le plan Bolloré
«Ils auraient une seule alternative: soit partir à Saint-Pierre-et-Miquelon, soit rentrer chez eux», assène Laurent Wauquiez dans le JD News. Sur CNews, la chaîne de TV du groupe de médias de droite radicale possédé par le milliardaire Vincent Bolloré, l’intéressé a aussi parlé de «l’effet dissuasif» du climat de cet archipel français situé à quelque 4000 kilomètres de la métropole. «Il fait 5 degrés de moyenne pendant l’année, 146 jours de pluie et de neige. Je pense qu’assez rapidement, ça va amener tout le monde à réfléchir.»
Exactement les mêmes arguments que ceux avancés jadis par les défenseurs du bagne. Pour mémoire, les centres de travaux forcés de Nouvelle-Calédonie furent supprimés en 1898 parce que le climat y était trop clément pour les condamnés. L’humidité tropicale de la Guyane promettait d’en finir plus vite avec ces criminels…
Syndrome Guantanamo
L’actuel ministre de l’Outre-mer (et ancien Premier ministre socialiste Manuel Valls) a aussitôt rejeté cette proposition. De toute façon, sa probabilité de réussite est proche de zéro, vue l’opposition attendue de la population locale. L’effet médiatique, lui, a fonctionné à plein: l’échec de Bruno Retailleau, qui n’est pas parvenu à faire accepter à l’Algérie le retour d’une soixantaine d’OQTF, est dans toutes les têtes. Le syndrome Guantanamo, avec ce qu’il véhicule d’images fortes, pourrait bien continuer de faire des ravages à droite.