Alger refuse les rapatriements
«La France n'est pas en position de force face à l'Algérie»

L'Algérie vient de claquer une nouvelle fois la porte face aux demandes françaises. Pas question d'accepter le rapatriement d'une soixantaine d'algériens «dangereux». Une impasse politique pour Paris selon l'expert Michel Pierre.
Publié: 17.03.2025 à 16:05 heures
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Dernière mise à jour: 18.03.2025 à 12:18 heures
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Le ministre français de l'Intérieur Bruno Retailleau exige un accord de l'Algérie pour le rapatriement de ses ressortissants.
Photo: IMAGO/PsnewZ
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Richard WerlyJournaliste Blick

Une nouvelle gifle. Bien plus qu'un «non» diplomatique. En refusant, lundi 17 mars, d'accepter le rapatriement d'une soixantaine de ses ressortissants jugés «dangereux» par la France et expulsés, l'Algérie a franchi un nouveau pas dans la crise avec son ex puissance coloniale.

Michel Pierre est historien. Il a aussi été diplomate, conseiller culturel à l’Ambassade de France à Alger. Auteur d’une «Histoire de l’Algérie des origines à nos jours», cet expert porte un regard très inquiet sur les propos de l’actuel ministre de l’Intérieur français Bruno Retailleau, souvent présenté comme un possible candidat de la droite à la présidentielle de 2027. Ce dernier a réitéré sa menace de démissionner si les ressortissants algériens expulsés de France ne sont pas acceptés par leur pays d’origine, colonisé par la France entre 1830 et 1962. Il propose aussi une riposte via la suppression de visas ou la dénonciation d'accords entre les deux pays. Un clash historique programmé?

Deux sujets sont au cœur de l’affrontement actuel entre Paris et Alger. Le premier est celui des renvois de clandestins ayant commis des délits sur le sol français. Leur rapatriement est aujourd’hui presque impossible, comme l’avait déjà démontré l’expulsion avortée de l’influenceur algérien Doualem qui, lui, bénéficiait d’une carte de séjour légale. Le second est l’accord de 1968 signé par la France et l’Algérie, en vertu duquel les citoyens algériens ont longtemps bénéficié d’avantages. Le tout, alors que le régime algérien continue de détenir l’écrivain Boualem Sansal, désormais accusé «d’intelligence avec des parties étrangères», une inculpation qui vise directement la France.

Michel Pierre, l’Algérie vient à nouveau de refuser le rapatriements de ses ressortissants. Une liste de plusieurs dizaines d’Algériens dangereux et expulsables est brandie par le ministère français de l’Intérieur. Ceci, alors que l’écrivain Boualem Sansal est retenu en otage à Alger. Paris doit rompre pour de bon avec son ancienne colonie?
Oui, Boualem Sansal est retenu en otage. Son interpellation à Alger à la mi-novembre, puis son incarcération, sont un scandale absolu, une provocation imbécile, un symptôme de crise paranoïaque des autorités d’Alger. On sait d’où vient cette affaire: de la reconnaissance par la France de la «marocanité» du Sahara occidental, mais répondre en embastillant l’un des plus grands écrivains franco-algériens contemporains a quelque chose d’ahurissant. Dans cette affaire, Alger se rend coupable du pire.

La surenchère va continuer ?

C'est probable. L'Algérie est aujourd'hui en position de force par défaut dans ce bras de fer. Les ripostes promises par la France, par exemple la suppression de l'exemption de visas pour les passeports diplomatiques algériens, ont trés peu de poids. Au même moment, Alger entretient des relations au beau fixe avec d'autres pays de l'Union européenne comme l'Italie. C'est dire que Paris manque d'atouts.

On comprend néanmoins l’exaspération de la France…
Oui. Alger joue, je le redis, la politique du pire. La politique de délivrance au compte-goutte des laissez-passer consulaires indispensables pour rapatrier les ressortissants algériens sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français n’est pas acceptable. Alors oui, la France a raison d’être exaspérée. Mais à partir de là, on fait quoi? On menace, et puis quoi?

J’entends, pêle-mêle, qu’il faut suspendre la délivrance des visas pour tous les citoyens algériens, geler les envois d’argent vers l’Algérie, dénoncer l’accord de 1968 entre les deux pays, saisir les biens d’oligarques algériens en France, interdire Air Algérie sur le sol français, nationaliser la mosquée de Paris, supprimer des consulats algériens en France et, sans doute, rompre les relations diplomatiques. Pourquoi pas, aussi, préparer un nouveau débarquement français à Sidi Fredj, là où commença la colonisation le 14 décembre 1830? Moi, je dis «halte au feu!». Que la France et l’Algérie le veuillent ou non, leur destin est inextricablement lié.

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Facile à dire pour un expert…
Il faut d’abord différencier les sujets. Encore une fois, Boualem Sansal est pris en otage et sa libération doit être un préalable. Ensuite, regardons les faits et en particulier le fameux accord de 1968 qui lie l’Algérie et la France. C’est un accord entre deux gouvernements. Or, on lui prête des pouvoirs qu’il n’a nullement. J’entends que ce texte facilite l’arrivée massive de citoyens algériens en France. J’entends qu’il est une sorte de grand distributeur de cartes de séjour, une écluse toujours ouverte, une autoroute d’invasion. C’est totalement grotesque!

La réalité de cet accord, c’est quoi?
Son texte d’origine a été préparé sous l’égide du général de Gaulle et de Georges Pompidou qu’on imagine mal laxistes, après l’épreuve que fut la décolonisation douloureuse de l’Algérie. On oublie surtout qu’en 1985, 1994 et 2001, trois avenants à ce texte l’ont peu à peu aligné sur l’accord sur le droit commun du «Code de l’entrée et du séjour des étrangers». Enfin, on oublie que l’instauration en 1986 du visa d’entrée en France pour les étrangers hors CEE et Suisse a complété cet alignement. Ne demeurent plus que quelques dispositions très à la marge pouvant apparaître favorables aux ressortissants algériens.

Pourquoi je précise cela? Parce que la dénonciation unilatérale par la France de cet accord ne changerait rien pour les Algériens. Le délire actuel, c’est de croire que ce texte de 1968 soumet la France à l’Algérie. Stop! Y mettre fin ne constituera nullement un moyen de pression sur le gouvernement algérien.

Que faut-il faire alors? Accepter le chantage d’Alger?
Je pense que l’on peut toujours dialoguer avec Alger et qu’il le faut. C’est difficile. Ce n’est pas populaire. Mais jouer les matamores ne sert strictement à rien. Regardez ce qui se passe en dehors de la France: la diplomatie algérienne, je l'ai dit, a tissé des liens solides avec l’Italie, renoué avec l’Espagne, accru sa relation avec la Turquie et elle nourrit de bonnes relations avec la Chine, la Russie et même les Etats-Unis. L’Algérie n’est pas isolée! La France, ancienne puissance coloniale, n’a pas les moyens de pression qu’elle croit avoir. Sur les rapatriements, peut-être faudrait-il tenter des démarches communes et croisées avec d’autres pays européens ?

Vous oubliez la dimension régionale. L’Algérie fait payer à la France son rapprochement avec le Maroc…
Chacun sait que le Maroc n’envisagera jamais d’être amputé du Sahara occidental. C’est une évidence très difficile à admettre pour le gouvernement algérien, car nous avons là l’affrontement de deux romans nationaux irréconciliables. C’est bien pire qu’une simple histoire de possession territoriale. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est sortir des clichés. Prendre le temps de la diplomatie. Etudier les bons moyens de pression. La France se trompe en croyant que le rapport de force avec l’Algérie est à son avantage. Ce qui m’inquiète le plus, c’est l’inversion des faits. Il ne suffit pas de taper sur la table pour que les Algériens se soumettent, comme c’était le cas autrefois. Il faut accepter de regarder la réalité en face: c’est bien l’Algérie qui est aujourd’hui en position de force.

A lire: «Histoire de l’Algérie des origines à nos jours» de Michel Pierre (Ed. Tallandier)

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