Vous êtes Algérien et vous insultez la France? La justice vous relâche. Telle est l’impression que donne l’affaire Doualemn, du nom de ce ressortissant algérien installé dans la région de Montpellier, dont un tribunal administratif vient d’ordonner la libération du centre de rétention du Mesnil-Amelot, proche de l’aéroport Charles de Gaulle à Paris. L’homme avait été expulsé par les autorités françaises le 9 janvier, dans le cadre d’une procédure d’urgence. Mais il n’avait pas pu être débarqué de l’avion à Alger, en raison du refus des autorités algériennes de l’accueillir.
L’émoi suscité par cette libération, assortie d’une indemnité de 1200 euros, est à la hauteur de la dégradation des relations entre la France et l’Algérie, qui fut sa principale colonie entre 1848 et 1962. Et elle illustre la volonté de l’actuel ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, figure montante de la droite, de faire coûte que coûte un exemple pour démontrer que la France a les moyens de mettre en œuvre ses fameuses OQTF, les obligations de quitter le territoire français dont seulement 10 à 12% sont exécutées.
Condamné à six reprises
On résume. Doualemn, le surnom de ce ressortissant algérien âgé de 54 ans, vit en France depuis 20 ans, après y être arrivé illégalement. Condamné à six reprises pour trafic de stupéfiants, il a finalement bénéficié d’un titre de séjour en 2010, car il est parent d’un enfant né sur le sol français. Son itinéraire est, en résumé, typique de l’imbroglio du droit français qui permet à des délinquants étrangers condamnés de rester sur le territoire national et de s’y livrer à des activités problématiques pour leur pays d’accueil. Dans ce cas précis, Doualemn, employé d’une société de sécurité près de Montpellier (Hérault), menait une double vie: vigile dans la journée, et propagandiste sur Tik Tok le reste du temps. Avec pour cibles les opposants au régime algérien dirigé par le Président Abdelmajid Tebboune, soutenu par l’armée.
Dans un pays comme la Suisse, l’intéressé aurait sans doute été instamment obligé de cesser ses activités de propagandiste et d’accusateur, d’autant plus problématiques que la France compte environ un million d’immigrés d’origine algérienne, communauté utilisée comme levier par le pouvoir d’Alger. Il aurait à coup sûr, au fil de ses condamnations répétées, fait l'objet d'une procédure d’expulsion depuis plusieurs années.
Opportunisme du ministre
En France? L’homme a pu se fondre dans la masse. C’est à la suite de dénonciations d’un autre influenceur algérien qu’il a été repéré. Bruno Retailleau, qui a fait de la lutte contre l’immigration clandestine – ce qui n’est pas le cas ici – a sauté sur l’occasion. Avec un double objectif: confronter l’Algérie accusée de nourrir les filières d’immigration, et offrir à ses compatriotes le spectacle d’une expulsion réussie.
Le résultat? Tout a raté. Enfin presque. Le ministère de l’Intérieur a fait appel de la libération de Doualemn et persiste à vouloir l’expulser. Mais dans les faits, celui-ci va pouvoir retourner chez lui, et le gouvernement algérien a obtenu gain de cause. Le ministère des Affaires étrangères algérien avait en effet justifié son refus d’accueillir l’influenceur, le 9 janvier, au motif que son obligation de quitter le territoire n’était pas justifiée car il disposait d’un titre de séjour en règle. Ironie absolue: l’Algérie avait alors fait une leçon de droit français à la France. D’où son retour, et l’impasse actuelle.
La preuve est donc faite que la France, aujourd’hui, n’a pas les moyens de faire plier l’Algérie, qui lui fournit 12% de ses importations de gaz et qui bénéficie de grandes facilités pour les visas et le regroupement familial aux termes d’un accord signé en 1968, à l’époque à la demande de Paris. Simultanément, Alger détient depuis la mi-novembre l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, arrêté pour «atteinte à l’intégrité du territoire national» en raison de ses prises de position favorables au Maroc sur la question du Sahara Occidental.
Contre le Maroc
Tout s’est en fait dégradé depuis la décision d’Emmanuel Macron de se rapprocher de Rabat, et de reconnaître la tutelle marocaine sur l’ex-Sahara espagnol. Le régime algérien, qui a réussi à se maintenir au pouvoir malgré les immenses manifestations du mouvement Hirak en 2019-2020, sait mieux que quiconque exploiter les faiblesses de la République.
Deux affaires
Et maintenant? Deux affaires se superposent.
La première est celle du cas Doualemn, qui va de nouveau être examiné par la justice française dans les trois mois, et pourrait aboutir à son expulsion. Ce que le ministre de l’Intérieur et son collègue de la Justice (et prédécesseur) Gérald Darmanin, vont tout faire pour obtenir.
La seconde est celle des relations franco-algériennes, que l’Élysée a décidé de calmer en envoyant en urgence à Alger des émissaires du Président Macron. Le président Tebboune a donné le 2 février une longue interview au quotidien L’Opinion dans laquelle son verdict est explicite: il dénonce un «climat délétère» entre les deux pays et juge nécessaire une reprise du dialogue pour éviter une «séparation qui deviendrait irréparable […] Plus rien n’avance, si ce n’est les relations commerciales. Le dialogue politique est quasiment interrompu. »
Difficile, dans ce contexte, de compter sur l’Algérie pour accueillir ses ressortissants expulsés de l’hexagone.