A quoi ressemblent les États-Unis, alors que l’élection présidentielle du 5 novembre s’annonce plus disputée que jamais dans l’histoire de la première puissance mondiale? Le mieux, pour le savoir, était de poser la question aux Américains. C’est ce que nous avons choisi de faire à Blick durant près d’un mois, en camping-car (RV), de Naperville au sud de Chicago à West Palm Beach, en Floride, là où Donald Trump possède son golf de Mar-a-Lago.
Au total: près de 4000 kilomètres parcourus et des dizaines de témoignages, de tranches de vie, de photographies instantanées de l’Amérique telle qu’elle est à la veille de ce scrutin. Nos dix reportages en brossent le portrait. Mais ces instantanés d’Américains nous ont aussi permis de tirer des leçons sur ce scrutin dont l’impact se fera lourdement sentir en Europe, y compris pour la Suisse. En voici cinq, toutes apprises sur le terrain. Avec les Américains.
Leçon N° 1: Les Américains ignorent le monde
Cela n’a rien de nouveau. Tous les correspondants des médias européens en poste aux États-Unis le constatent: à l’exception d’une élite informée, la grande partie des électeurs américains ignorent les réalités internationales. Combien de fois, durant ce trajet de 4000 kilomètres, avons-nous dû répéter «Switzerland», voire montrer le pays sur la carte, en début de conversation. Même à New Bern en Caroline du Nord, ville fondée en 1710 par un aristocrate bernois, la Suisse est un concept très, très flou.
Résumons: personne ne nous a parlé de l’Europe, sauf un couple de Lansing, dans le Michigan, bien décidé à quitter les États-Unis, et nos deux «héros» de New Bern, Peter et Caramia, dégoûtés aux aussi de la tournure politique que prend le pays. La Chine? A peine trois mentions dans nos dizaines de conversations. Poutine? Il débarque dans les discussions quand on parle de l’Ukraine. «Mais au fait, c’est où l’Ukraine et pourquoi ils se battent?» ai-je plusieurs fois entendu. Le Proche-Orient et Gaza? Nous en avons entendu parler dans le Michigan, où vit une importante communauté arabe, et à Miami, l'un des fiefs de la communauté juive. En résumé? Les Américains de 2024 veulent d'abord qu'on s'occupe d'eux. Et ils voteront pour cela.
Leçon N° 2: L’économie américaine est celle des factures
Oubliez les constats macroéconomiques. Oubliez les statistiques souvent invoquées pour défendre le bilan de Joe Biden, entre 2020 et 2024 (entre 2 et 2,5% de croissance annuelle). Oubliez tout ce qui, vu d’Europe, démontre que les États-Unis se portent plutôt bien, et que les grandes décisions de l’administration Biden, comme l’Inflation Reduction Act (IRA), voté le 7 août 2022, sont des changements majeurs de paradigme.
Tous les Américains que nous avons rencontrés, y compris Rick et June, couple de retraités aisés de Cranberry Township, au nord de Pittsburgh, nous ont parlé de l’augmentation des prix, de leurs factures et des fins de mois. Or dès que l’économie est évoquée, le nom de Trump revient. Refrain connu: il est milliardaire, il a su gagner beaucoup d’argent. Aucun interlocuteur en revanche ne nous a parlé du programme économique de Kamala Harris, sauf au sein de la communauté afro-américaine, où sa proposition d’aide aux entrepreneurs noirs fait mouche.
Leçon N° 3: Les États-Unis sont une démocratie féroce
On ne débat plus aux États-Unis en 2024. On ne confronte plus ses idées. On ne s’interroge plus sur la pertinence éventuelle des propositions de l’autre camp. On se tape dessus. La démocratie américaine oppose deux pays qui se parlent encore, travaillent ensemble, mais s’éloignent de façon presque irrémédiable dès que la politique entre en jeu. Tous les électeurs républicains que nous avons rencontrés ont remis en cause l’élection de Joe Biden en 2020. Ils refusent aussi d’attribuer à Donald Trump la responsabilité de l’assaut sur le capitole du 6 janvier 2021.
En bref: convaincre celui qui ne pense pas comme vous est impossible. Fait révélateur: le refus de la candidate écologiste Jill Stein de se retirer au profit de Kamala Harris. Lourde responsabilité: en 2016, si la totalité de ses électeurs (1% au niveau national) avaient voté pour Hillary Clinton dans les trois États clés du Michigan, du Wisconsin et de Pennsylvanie, la candidate démocrate aurait été élue. Plus de 200 recours juridiques ont déjà été déposés par le camp républicain pour contester les résultats du 5 novembre.
Leçon N° 4: Kamala Harris ne suscite pas l’adhésion
La machine de la campagne démocrate est très performante. Les responsables de ce parti que nous avons rencontré, à Pittsburgh, Gettysburg, Washington DC ou Savannah, nous l’ont tous confirmé: Kamala Harris peut compter sur un appareil efficace, en particulier pour les opérations de «canvassing» (ratissage des voix par le porte-à-porte, etc..). Du côté du charisme et de l’incarnation en revanche, c’est raté. L’ex-procureure de San Francisco, devenue ministre de la Justice de Californie, sénatrice démocrate puis vice-présidente, est à des années-lumière de la popularité naturelle d’un Bill Clinton ou d’un Barack Obama, ces deux anciens présidents qui sont venus lui prêter main-forte sur le terrain.
Est-ce parce qu'elle est une femme? La question nous a plusieurs fois été posée. N’oublions pas que les Américains n’ont jamais encore envoyé une femme à la Maison-Blanche. Et que Donald Trump en fait des tonnes dans le registre macho, pour la discréditer. N'oublions pas aussi que la campagne présidentielle de 2020 n'avait rien à voir avec celle-ci, Covid oblige. Sans la pandémie, Joe Biden l'aurait-il emporté?
Leçon N° 5: Donald Trump est sa propre caricature
Dire cela ne signifie pas que le candidat républicain va gagner ou perdre ce scrutin. Sa popularité au sein de son camp est au sommet. Mais quel spectacle! L’ancien président ne fait que répéter quelques slogans, se déhancher sur ses musiques préférées comme YMCA, et insulter son adversaire. Le Trump de 2024 est une caricature du Trump de 2016. Il conteste par avance les résultats électoraux, alors que des efforts énormes ont été faits pour rendre le système de vote plus fiable. Il s’attribue tous les mérites. Il promet que les guerres dans le monde s’arrêteront dès qu’il sera élu.
On n’est plus, avec Donald Trump, dans la politique classique en démocratie. C’est sa promesse de rupture, sa détestation des élites démocrates, son plan de renvoi des migrants par la force et de fermeture des frontières, mais aussi le bon souvenir de son bilan économique qui lui valent un tel soutien. Trump promet avant tout de venger ceux qui voteront pour lui. Sa promesse de «rendre à l’Amérique sa grandeur» (Make America Great Again) est un show colossal de TV réalité. Quiconque en doute est aussitôt «fired» (renvoyé)!