C’est la scène du film «The Apprentice» qu’il ne faut pas rater. Devant le jeune Donald Trump qu’il convoque dans une arrière-salle de night-club new-yorkais des années 80, l’avocat d’ultra-droite Roy Cohn débite ses règles pour l’emporter. Toujours attaquer. Toujours nier. Et laisser pleuvoir les critiques et les insultes sans y prêter attention. «Attack, Attack, Attack!». J’aurai aimé, à la sortie de la salle de cinéma de Lansing, Michigan, recueillir les avis des spectateurs, surtout s’ils comptent voter le 5 novembre pour l’ex-magnat de l’immobilier New yorkais. Seulement voilà, je n’ai pas pu. Car il n’y avait aucun spectateur dans la salle!
Aucun? Pardon. Ils étaient deux. Mogja et Babak, un couple américain d’origine iranienne, semblaient avoir bravé un quasi-interdit. Alors, ce portrait de Trump en jeune promoteur effréné de pouvoir, résolu à utiliser tous les moyens pour réussir et prouver à son tyran de père que lui, Donald, restera dans l’histoire? «Il est pire que ça lâche immédiatement Babak, dans un américain parfait. «The Apprentice» raconte ses débuts à New York. Vous imaginez ce qu’il a pu faire après?».
Pop corn et sucreries
Mogja, son épouse, est employée à l’Université du Michigan, dont le campus se trouve à Lansing, la capitale de cet Etat clé qui enverra seize grands électeurs à l’issue du scrutin, pour celui qui remportera la présidentielle. Elle regarde derrière nous. La machine à pop-corn, géante – selon les standards européens – débite à foison ses kilos de maïs recouverts de miel, de beurre liquide ou de fromage fondu. Devant les caisses, un mur de friandises oblige les spectateurs à faire un détour s’ils veulent éviter de faire exploser leur taux de glycémie. Les pick-ups et les SUV bien polluants se taillent une place de choix sur le parking, à côté de notre camping-car. «Ici au Michigan, beaucoup préfèrent fermer les yeux juge notre interlocutrice. Comme dans tous les swing states, les électeurs vivent assez mal de devoir décider, par leurs votes, pour l’Amérique entière»
En 2020, Biden vainqueur
S’arrêter à Lansing s’imposait. Cette ville moyenne américaine n’a, jusque-là, pas été à l’avant-scène des médias et de la politique nationale comme le furent en 2020 Harrisburg, la capitale de la Pennsylvanie, ou Atlanta, celle de l’Etat de Géorgie. Dans ses deux métropoles, Donald Trump a tout tenté pour récolter les voix impossibles à trouver dans les urnes: menaces sur les responsables électoraux, contentieux, plaintes et procès à répétition.
Chaque matin jusqu’à la mi-novembre, je prends pour vous le pouls de l’Amérique. Un rendez-vous écrit sur le terrain, là où se joue le duel entre Donald Trump et Kamala Harris.
Et pas n’importe quel terrain: d’ici au 5 novembre, date de l’élection présidentielle, c’est sur les routes, entre Chicago, où Kamala Harris a été investie par la convention démocrate à la mi-août, et Mar-a-Lago, le fief de Donald Trump en Floride, que je rédigerai ces chroniques matinales en cinq points. En plus: une série de reportages à ne pas manquer et des vidéos et photos de mon collègue Pierre Ballenegger.
Vous faites partie de ceux qui pensent que notre avenir se joue aussi le 5 novembre, de l’autre côté de l’Atlantique? Alors ne ratez pas ces chroniques. Partagez-les. Et réagissez!
Chaque matin jusqu’à la mi-novembre, je prends pour vous le pouls de l’Amérique. Un rendez-vous écrit sur le terrain, là où se joue le duel entre Donald Trump et Kamala Harris.
Et pas n’importe quel terrain: d’ici au 5 novembre, date de l’élection présidentielle, c’est sur les routes, entre Chicago, où Kamala Harris a été investie par la convention démocrate à la mi-août, et Mar-a-Lago, le fief de Donald Trump en Floride, que je rédigerai ces chroniques matinales en cinq points. En plus: une série de reportages à ne pas manquer et des vidéos et photos de mon collègue Pierre Ballenegger.
Vous faites partie de ceux qui pensent que notre avenir se joue aussi le 5 novembre, de l’autre côté de l’Atlantique? Alors ne ratez pas ces chroniques. Partagez-les. Et réagissez!
Ici, dans cet état industriel et agricole dont la ville reine de l’automobile d'autrefois, Detroit, fut longtemps la fierté, rien de tel. Joe Biden l'a emporté en 2020 avec plus de 160'000 voix d’avance. Assez pour dissuader les contestations. Gretchen Whitmer, la gouverneure démocrate du Michigan élue un an plus tôt, en 2019, n’a donc pas entendu Donald Trump la tancer au téléphone.
Sauf que depuis quatre ans, tout a changé: «Les sondages ne veulent plus dire grand-chose concède le politologue Matthew Grossmann, de l’université du Michigan. Il est très difficile de mesurer l’effet du retrait à la dernière minute de Joe Biden. Les Américains sont très attachés au système des primaires. Or Kamala Harris a été désignée sans primaires en bonne et due forme. J’entends pas mal de remarques là-dessus».
Les grandes corporations, sur le banc des accusés
L’idée de notre série de reportages, sur les routes de Chicago (Illinois) à Mar-à-Lago (Floride) est de faire parler des Américains ordinaires. De passer du temps avec ceux que l’on voit, quelques secondes, apparaître sur les écrans lors des meetings politiques. Les anonymes. Les gens ordinaires. Les électeurs sur qui tout repose. Coup de chance: Marty Wolford m’entend parler français au téléphone, alors qu’il achève sa séance quotidienne de gym au Lansing University Club. Marty, petite soixantaine, est l’archétype de l’Américain résolu à tirer la prise. Terminé, ce cirque électoral! La politique, de toute façon, ne changera selon lui plus rien à ce pays. «L’argent des grandes corporations domine tout complète sa femme Laura, pressée comme lui de partir s’installer en Europe, sans doute en France, pour leur retraite commune. Un de leur fils, diplômé de l’école polytechnique de Zurich, vit au Danemark.
Et le Michigan, ce swing state? Swing, ça veut dire balancer, mais rien ne va changer prédit Laura, contre toute attente. «Trump, c’est du cinéma, de l’entertainment. «The Apprentice», c’était le titre de son émission de TV réalité. C’est ça le Michigan de 2024. On joue à être un swing state, un État clé de télé-réalité ajoute Marty. Les caméras du monde entier seront braquées ici le 5 novembre, sur le Capitole de Lansing. Mais après?».
Bête médiatique
Marty nous a donné rendez-vous dans un café d’étudiants de la ville, juste à l’entrée de l’université. Laura, visage rond et sympathique, me bombarde de questions sur Aix en Provence, Toulon, Cassis ou Perpignan. Ces deux-là veulent s’exiler. Parce que la télé-réalité politique américaine les épuisent: «Trump est une bête médiatique qui nourrit les firmes de l’audiovisuel et les grands médias. Il n’y a pas de vrais arguments dans cette campagne. Chacun cherche à rendre ridicules les promesses de l’autre, puis à surenchérir. C'est personnage contre personnage». Mathew Grosmann confirme: «Jamais une élection ne s’est autant jouée sur les profils des deux candidats. Les appareils du parti démocrate et républicain sont en lambeaux. Kamala Harris est la première femme noire candidate à la Maison-Blanche et la procureure qui a toujours fait condamner les méchants. Donald Trump est l’éternel revenant qui va vous faire gagner beaucoup de dollars. C’est le casting qui compte».
Je prolonge la conversation avec Marty et Laura. Pour bien comprendre ce qui a déraillé. Lui travaillait dans la finance. Elle s'occupait de leurs enfants. A les entendre, c’est le «système» qui a perdu la société américaine. Ou qui l'a transformé et essoré. La délocalisation massive des entreprises a fait le reste. «Trump et Harris voient les électeurs américains comme des clients. Ils cherchent à nous vendre leurs produits. C’est du marketing» tempête doucement Laura. Son temps est compté. Sa tasse de café est froide depuis longtemps. Lucio et Oliva, les deux étudiants assis juste à coté, se sont déjà retournés deux fois en écoutant notre conversation. Ils se plaignent des fractures politiques sur le campus. «Il ne faut pas croire que dans les États clés comme le Michigan, tout le monde est satisfait de ce duel Trump-Kamala poursuit Marty. Nous faisons partie de ceux qui aimeraient une troisième voie, autre chose. Mais aux États-Unis, c’est impossible. L’argent a beaucoup trop de place en politique».
L’autre visage du Michigan
Je compare ces deux couples d’Américains moyens. Mogja et Babak, les iraniens d’origine, inquiets de l’aveuglement d’une partie de la population du Michigan vis-à-vis de Donald Trump, cet «apprentice» qui rêve de redevenir l’homme le plus puissant du monde. Marty et Laura, effrayés par la perte de conscience individuelle, par le marketing politique qui broie tout, par l’argent qui achète tout, par les firmes qui imposent tout ou presque. Le Michigan est d'ordinaire évoqué lorsque les journalistes se rendent à Détroit, ville industrielle qui a connu une terrible descente aux enfers. Ou bien à Flint, la ville du fameux Michael Moore, le réalisateur dénonciateur du saccage économique de l’Amérique. En 2016, cet enfant du Michigan et de la rust belt (l’Amérique de la rouille) avait prédit la victoire du promoteur immobilier new-yorkais.
«Ce clown à temps partiel et sociopathe à temps plein va devenir notre prochain président. Vous agitez la tête en disant: «Non Mike, ça n’arrivera pas!». Malheureusement, vous vivez dans une bulle. […] Il est temps de sortir de votre bulle pour faire face à la réalité». Quelle réalité? La colère, la peur de ces ex-terres démocrates industrielles de basculer dans une modernité à l’identité brouillée, les derniers soubresauts de la domination masculine, au sein de la population blanche comme des minorités.
Américains anarchistes
«Ne sous-estimez pas la capacité des Américains à se conduire comme des anarchistes malicieux lorsqu’ils se retrouvent seuls dans l’isoloir aimait répéter Michael Moore. Dans notre société, l’isoloir est l’un des derniers endroits dépourvus de caméras de sécurité, de micros, d’enfants, d’épouse, de patron et de policiers! Vous pouvez y rester aussi longtemps que vous le souhaitez, et personne ne peut vous obliger à y faire quoi que ce soit».
Deux élections présidentielles plus tard, le Michigan est un show de télé-réalité dont plus personne ne maitrise le script. Comme l'Amérique.
Prochaine étape: A Springfield ( Ohio), rencontre avec Aimé, l'Haïtien qui ne mange pas les chats (ni les chiens)