Les médias suisses et européens en font-ils trop sur l’élection présidentielle américaine du 5 novembre? Devons-nous plaider coupables d’essayer de faire comprendre, par nos analyses, nos chroniques et nos reportages, ce que les électeurs américains ont en tête avant de se rendre aux urnes? En sachant que près de soixante millions l’ont déjà fait par anticipation, comme le permettent la plupart des cinquante États…
La réponse à cette question est indissociable de la réalité géopolitique. Jamais une élection présidentielle américaine n’aura sans doute été aussi décisive pour l’Europe, Suisse incluse. Est-il normal, par conséquent, de s’interroger sur ce qui se passera de l’autre côté de l’Atlantique? La réponse est oui. Notre pari éditorial, à Blick, a consisté à raconter les Américains. A hauteur de femmes et d’hommes. Au fil d’un périple en camping-car de plus de quatre mille kilomètres sur les routes, entre Chicago, au bord des grands lacs, et Mar-a-Lago, en Floride.
Plus égoïste que jamais
Les Américains que nous avons rencontrés se soucient-ils de leurs alliés européens? Non. Sont-ils correctement informés des guerres en cours en Ukraine, au Proche-Orient, au Soudan, ou de la situation dans le détroit de Taïwan? Non. Ont-ils envie que leur pays demeure à tout prix l’incontournable première puissance mondiale? Oui. Sont-ils prêts à en payer le prix en termes d’alliances, et à offrir des garanties de sécurité à leurs partenaires? Plutôt non.
Même si les discours de Kamala Harris et Donald Trump sont officiellement aux antipodes, les États-Unis de 2024 sont une puissance plus égoïste que jamais, dont l’obsession est d’abord de protéger ses intérêts, et de bloquer l’ascension chinoise. Trump promet de le faire en «dealant» avec les dictateurs. Harris reste fidèle à une logique impériale plus classique. Mais dans les deux cas, leur présidence sera d’abord inféodée aux impératifs domestiques d’un pays fracturé.
Intérêts stratégiques
La grande erreur serait de ne pas tirer les conséquences de ce qui se passe devant nos yeux. Donald Trump, comme Kamala Harris présideront, s’ils accèdent l’un ou l’autre à la Maison-Blanche, aux destinées d’un pays qui placera ses intérêts stratégiques et économiques avant toute autre considération. Ce qui fait de nous, européens et suisses, des otages avec deux choix possibles: soit s’aligner sur Washington et accepter d’en payer le prix fort, soit garder ses distances et trouver, dans ce cas, d’autres partenaires, sur le Vieux Continent ou au-delà.
Un réflexe helvétique logique peut consister à s’abriter derrière notre neutralité. Dans une époque marquée par tant d’incertitudes, ne vaut-il pas mieux se replier et se cantonner d’observer? En théorie, peut-être. Dans les faits en revanche, la lucidité s’impose, et le gouvernement ukrainien risque d’être le premier à l’apprendre à ses dépens. L’Amérique de Donald Trump comme celle de Kamala Harris ne sera plus jamais une assurance contre tous les risques, même pour ses alliés. Il est donc urgent, dès que les urnes auront parlé le 5 novembre, de réfléchir aux modalités du futur contrat que Washington nous proposera.