Contrairement à Friedrich Merz
«L'Allemagne reste allergique à la défense européenne»

Regardons les réalités en face avertit l'universitaire suisse Gilbert Casasus: la révolution que le futur chancelier allemand Friedrich Merz promet d'opérer sur la défense et le parapluie nucléaire sera très compliquée à entériner.
Publié: 06.03.2025 à 12:12 heures
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Dernière mise à jour: 06.03.2025 à 18:35 heures
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Le char allemand Leopard est le plus vendu au monde.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Une nouvelle Allemagne émerge-t-elle alors que les 27 dirigeants de l’Union européenne se retrouvent ce jeudi 6 mars à Bruxelles pour un sommet extraordinaire consacré à la défense et à l’Ukraine? Une Allemagne fédérale enfin prête à s’armer, à se défendre par elle-même, à se tenir aux côtés de l’Ukraine, à prendre ses distances avec les Etats-Unis et à engager avec la France une réflexion sur la dissuasion nucléaire? Dans son discours aux Français, le 5 mars, Emmanuel Macron a insisté sur le tournant «historique» pris par le futur chancelier Friedrich Merz. Mais jusqu’où peut aller Berlin?

Gilbert Casasus est l’un des meilleurs connaisseurs de l’Allemagne en Suisse. Son conseil aux Européens? Attention à ne pas mettre tous leurs œufs dans le panier de cette «révolution» allemande.

Gilbert Casasus, Donald Trump est en train de transformer l’Allemagne?
A court terme, oui. Beaucoup d’Allemands éprouvent aujourd’hui du dégoût, voire de la haine face à Trump. Pour eux, bien que le président des USA ait des racines familiales dans le Palatinat, il est l’opposé de ce que les Allemands aiment dans l’Amérique. On le voit bien avec Friedrich Merz, le futur chancelier, leader de la CDU (Droite chrétienne-démocrate).

Cet ancien du fonds Blackrock a une culture financière profondément libérale et anglo-saxonne. Son parti a toujours été le parti le plus pro-américain de la RFA. À titre d’exemple, dans ses mémoires, Angela Merkel avoue n’avoir qu’un seul modèle: Barack Obama. C’est cette contradiction qui m’inquiète. On ne change pas d’allié du jour au lendemain. L’Allemagne reste profondément allergique à la défense européenne

Merz va pourtant très loin. Il vient de s’engager, avec les sociaux-démocrates, à abandonner le frein constitutionnel à l’endettement pour financer la défense. Et il ouvre le débat sur une protection nucléaire française…
Merz répond, sur le nucléaire, à une idée formulée à plusieurs reprises par Paris. Le président Jacques Chirac avait déjà proposé d’étendre le parapluie atomique français à l’Allemagne, au début des années 2000. Or celle-ci lui avait adressé une fin de non-recevoir. Les circonstances ont changé avec le retour de Trump au pouvoir. Conscient des carences stratégiques de son pays et du lâchage des Etats-Unis, Merz se retourne, en bon chrétien-démocrate qu’il est, vers son voisin français.

Cela rappelle en quelque sorte l’attitude de Konrad Adenauer, lorsque ce dernier se tourna vers le Général de Gaulle à partir de la fin des années 50, à l’époque de la fin de règne d’Eisenhower et au début de la présidence Kennedy.

Le virage financier, lui, est pris…
Oui. La RFA est maintenant prête à passer à la caisse. Son idéologie du frein à l’endettement n’a plus de raison d’être, à l’heure où elle doit revoir de fond en comble sa politique de défense. D’où la proposition de l’abandonner… Friedrich Merz propose donc de convoquer d’ici la fin mars l’ancien Bundestag, toujours en place jusqu’en avril. Il bénéficie en l’occurrence d’une curiosité du système politique allemand, plus légale que légitime: à savoir l’entrée en fonction différée du Parlement élu le 23 février. Mais, Merz n’a pas d’autre choix pour s’assurer d’une majorité des 2/3, s’il veut faire passer cette réforme, encore impensable il y a encore quelques semaines.

Prudence néanmoins. Son plan suscite d’ores et déjà des réactions plus que mitigées. Le montant du plan d’investissement de 500 milliards d'euros n’est pas contesté. C’est sa répartition qui l’est. N’oublions pas non plus que les cent milliards mis sur la table pour la défense par le chancelier Scholz après l’invasion de l’Ukraine ont beaucoup servi à acheter du matériel militaire américain.

France-Allemagne: le moteur redémarre?
La relation franco-allemande demeure en mauvais état. Elle n’est guidée par aucun projet commun. Elle a perdu son envergure d’antan. On attend toujours de savoir si le projet commun de système d'avion de combat du futur, le SCAF, va voir le jour. Bref, la branche sur laquelle sont assis les deux pays est beaucoup plus fragile qu’elle ne l’a été. C’en est fini des couples de Gaulle - Adenauer, Giscard - Schmidt, voire Chirac - Schröder et surtout Mitterrand - Kohl, à l’époque de l’âge d’or du Franco-Allemand.

La RFA a de l’argent, mais pas de politique de défense crédible. La France est dotée d’une force stratégique et militaire, mais elle n’a plus d’argent. Du temps de Mitterrand et de Kohl, il y avait eu un «donnant-donnant». Kohl sauva une France de Mitterrand économiquement mal en point et Mitterrand vint à la rescousse de son ami Kohl pour l’assurer de son soutien lors de la crise de l’installation des missiles sur le sol allemand. Désormais, Macron et Merz seront-ils en mesure de refaire ce «donnant-donnant»? C’est possible. Les premières démarches de Merz ont été très favorablement accueillies à l’Elysée.

Vu de Suisse, quelle est votre lecture de la situation politique allemande?
A l’issue des législatives du 23 février, la CDU/CSU, donc Merz, ne peut pas gouverner sans le concours des sociaux-démocrates. Lesquels viennent de subir le pire échec de leur histoire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et n’ont pas d’autre choix que d’avoir recours à la stratégie du faible au fort. En clair? Le SPD va rappeler à tout instant au futur chancelier qu’il ne peut pas gouverner sans leur concours. Que va peser l’aile pacifiste, traditionnellement pro-russe du SPD? C’est toute la question.

L’AfD, le parti d’extrême droite soutenu par Trump (mais aussi par Poutine) n’étant pas en mesure d’accéder au pouvoir, les Allemands vont jouer, je pense, la carte de l’Europe de la défense. C’est donc le moment parfait, pour les industriels suisses de l’armement aussi, de nouer des partenariats. Il faut faire vite.

A lire: «Suisse-Europe, je t'aime moin non plus» de Gilbert Casasus (Ed. Slatkine)

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