Allemagne, l'année zéro (3/3)
«L'AfD a raison, Trump et Poutine sont bons pour l'Allemagne»

Ils votent pour l'AfD, le parti d'extrême droite allemand. Ils pensent que le rejet de l'immigration, les avertissements d'Elon Musk et le gaz russe pas cher sont la solution pour l'Allemagne. Et s'ils remportaient les législatives de dimanche ?
Publié: 06:01 heures
|
Dernière mise à jour: 09:20 heures
1/11
Le parti d'extrême-droite allemand AfD est crédité dans les sondages d'environ 20% des voix.
Photo: DUKAS
Blick_Richard_Werly.png
Richard WerlyJournaliste Blick

Il fallait les rencontrer. Sortir de l’université de Nuremberg, où la plupart des étudiants rencontrés affirment qu’ils voteront ce dimanche pour les «Grünen», le parti Vert, ou pour «Die Linke», le parti de gauche radicale, qui continue de défendre l’immigration envers et contre tout, malgré les attaques récentes au couteau dans plusieurs villes allemandes, dont Berlin ce samedi. Il fallait connaitre ceux qui, par dizaines de milliers en Allemagne, sont abonnés aux interventions de Naomi Seibt, l'une des jeunes égéries de l'AfD, le parti d'extrême droite allemand.

Me voici, pour essayer de comprendre ce phénomène AfD (Alternative für Deutschland), crédité de 20% dans les sondages et soutenu par Elon Musk. A l’entrée de l’une des enseignes «discount» proche de la Hauptbanhof, la gare centrale. La plupart des clients, en ce milieu d’après midi du 18 février, sont des femmes à l’évidence d’origine immigrées. Beaucoup portent le voile et parlent turc ou arabe. Un groupe de jeune femmes, dont l’une est anglophone, m’explique qu’elles viennent de Somalie. ce visage de l’Allemagne de 2025, multiculturel, est celui que l’AfD et ses partisans exècrent.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

L’une des dernières affiches électorales de ce parti, placardée sur les remparts de Nuremberg, montrent un couple et leurs enfants, tous blondinets, le bras tendu au-dessus des têtes des chérubins, en forme de toit (ou, disent leurs détracteurs, de salut nazi). Nuremberg est une métropole qui a le racisme enraciné dans son histoire. C’est ici qu’Hitler et les Nazis organisaient leurs parades géantes, après l’accession à la Chancellerie du futur Führer du Troisième Reich. Alors, l’AfD?

Klaus termine ses courses, qu’il range hâtivement dans un sac. Il connait Naomi Seibt, cette jeune activiste d'une trentaine d'années qui, sur sa chaine YouTube, vante l'Allemagne «blonde et blanche». Sa mère est en train d’acheter, juste à coté, un manteau à prix cassé en profitant des derniers jours de solde d’une grande enseigne textile. Klaus a 36 ans. Il est employé de nuit chez Siemens, dans la localité de Langwasser, au sud-est de la ville. Son job? «Je m’occupe de la sécurité, jusqu’à six heures du matin. Cela me laisse le temps de regarder les vidéos de Naomi» reconnait-t-il. Klaus est curieux: il m’a entendu parler au téléphone, avec ma collègue journaliste Birgit Holzer, dont les parents habitent à une heure et demie de Nuremberg, de la dirigeante de l’AfD Alice Weidel.

Weidel et les Allemands

Lui et sa mère avouent préférer l’autre figure de proue du parti, l’entrepreneur Tino Chrupalla. «Weidel ne nous ressemble pas. On dirait une patronne de grande entreprise» rigole Klaus, en portant ses deux sacs remplis de provisions. Sa maman acquiesce. Mais l’un et l’autre affirment qu’ils voteront AfD ce dimanche. «Nous les Allemands, on a besoin d’être défendus contre eux» dit la septuagénaire, en désignant les femmes immigrées qui attendent près de la caisse.

Naomi Seibt, l'égérie des réseaux

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

Aussitôt, le duo me parle des récentes attaques au couteau, survenues dans plusieurs villes allemandes, commises à chaque fois par de jeunes réfugiés. Klaus, lui, a en tête les messages de soutien postés par Elon Musk sur son réseau social X. «Si vous allez parler aux étudiants de Nuremberg, ils ne vous diront pas la réalité, poursuit-il. Moi, je sais que tous mes amis sont en colère. Contre le gouvernement, contre l’Europe, contre ces immigrés qui arrivent en masse alors que nos frontières sont prétendument fermées».

J’enchaine sur l’Ukraine. Martin Damerow, journaliste au Nuremberg Nachrichten, m’a cité de nombreux exemples de solidarité locale avec les réfugiés ukrainiens arrivés en Allemagne après le début du conflit, le 24 février 2022. «Il y a un vrai soutien populaire à la cause ukrainienne. le problème en revanche, c’est l’absence de perspective. Aujourd’hui, beaucoup de gens ont peur que cette guerre s’éternise et que tous ces réfugiés ne repartent plus.»

Lassitude et fatigue

Ma collègue Birgit Holzer, d’ordinaire correspondante à Paris, mais venue en Bavière pour voter dimanche, confirme. «Il y a des exemples qui posent problème. Comme ces jeunes mères allemandes qui se voient refuser des places dans les crèches pour leurs enfants parce que les Ukrainiennes sont prioritaires. C’est la réalité. Le discours de l’AfD s’engouffre dans ces moments de lassitude, de fatigue collective».

Cette Allemagne qui a peur a besoin d’être rassurée. Or l’AfD, parti formé en 2013 par des militants hostiles à l'Union européenne et à la monnaie unique, offre des remèdes simples. Pour doper la croissance économique dans un pays qui, depuis deux ans, est entré en récession? Déréguler à l’américaine, comme le propose Alice Weidel. Oublier les normes environnementales. Revenir au «diesel roi», comme le préconise une des affiches électorales du mouvement et comme le répète sans cesse l'activiste Naomi, surnommée sur les réseaux «l'anti Greta Thurnberg», en référence à la jeune suédoise en guerre contre le réchauffement climatique. 

Le rejet massif des immigrés, via un programme de déportation calqué sur celui de Trump aux Etats-Unis, est une autre solution que l’AfD se propose d’appliquer si elle parvient au pouvoir. Troisième remède: se réconcilier d’urgence avec la Russie. Là aussi, c’est ce que veulent les Etats-Unis de Trump. Nathanael Barthel, un volontaire de l’église évangélique d’une banlieue de Nuremberg, s’inquiète de ce qu’il entend de plus en plus parmi ses fidèles. «Ils se demandent ouvertement ce que va rapporter le soutien à l’Ukraine. Poutine est germanophone, tout le monde le sait. J’en entends qui disent: il comprend l’Allemagne…»

Henry Kissinger, le retour à Fürth

Je suis allé à Fürth, à l’ouest de Nuremberg, pour rencontrer Nathanel. Je l’ai croisé alors que je cherchais le numéro 23 Mathielden Strasse. Pourquoi? Parce que c’est là, à quelques stations de métro du Palais de justice de Nuremberg où se tint le procès des dirigeants nazis en 1945-1946, que vécut, enfant, le célèbre Henry Kissinger, devenu le diplomate en chef des années Nixon aux États-Unis après avoir fui avec ses parents l'Allemagne nazie dans les années trente. L’oracle de la géopolitique mondiale, décédé le 29 novembre 2023. Nathanael est un activiste social. Il connait tout de l’histoire de Fürth, cette ville commerçante majoritairement peuplée de juifs avant la Seconde Guerre mondiale.

L’endroit est donc parfait pour évoquer l’AfD et ses fantômes du passé. «Les intellectuels comme nous font beaucoup d’erreurs, complète mon interlocuteur. Un grand nombre d’électeurs de l’AfD expriment leur colère avec leur bulletin de vote. Ils ne veulent pas le retour d’Hitler, même s’il existe des néonazis au sein de ce parti. Ils posent des questions simples et veulent des réponses simples. La Russie? L’Allemagne en a bien profité avec son gaz pas cher. Les États-Unis? Ils seront toujours les plus forts et il vaut mieux leur obéir. L’Union européenne? Ce n’est pas une association d’égaux. L’Allemagne ne fait que payer pour les autres. Voilà ce que j’entends».

Que veut-dire, ce 23 février 2025, être électeur de l’AfD à Fürth, là où les façades des immeubles portent encore, 80 ans plus tard, les traces des ultimes combats de la Seconde Guerre mondiale? dans la grande rue commerçante de la ville, près de la mairie, un stand électoral du parti d’extrême droite est en train d’être démonté. Toute la journée, des volontaires ont distribué des tracts. Sans surprise, ils refusent de désigner Poutine comme l’ennemi, lui, cet ancien officier du KGB qui vécut l’écroulement de l’URSS à Dresde, où il était en poste pour les services secrets soviétiques.

Poutine et l’Allemagne

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

«C’est un homme fort, qui défend les valeurs européennes. Il défend son peuple russe attaqué» s’énerve un militant, qui refuse de me donner son nom. Je parle de démocratie, des sondages qui donnent à l’AfD 20% des voix, un record historique aux législatives, mais pas suffisant pour accéder au pouvoir puisque les autres partis font tous barrage. Je parle de Friedrich Merz, le leader de la droite, favori des enquêtes d’opinion, qui a accepté les voix des députés AfD pour un projet de loi sur l’immigration, tout en jurant ne jamais gouverner avec ce parti. L'AfD a raison, Trump et Poutine sont bons pour l'Allemagne!»

«Je ne vous fais pas confiance»

«Je ne vous fais pas confiance, dénonce par avance l’homme qui démonte le stand aux couleurs bleu-ciel du parti. Vous n’allez pas écrire ce que je vous dis. Mon avis? L’Allemagne a besoin d’un grand changement, d’un coup de pied aux fesses. Les sociaux démocrates du SPD et la CDU (droite) vont gouverner ensemble après le scrutin. C’est ça, l’alternance et le changement politique?»

Retour à l’université pour essayer de comprendre s’il y aura, ce dimanche, un «effet Musk» dans les urnes, en particulier chez les jeunes électeurs. Patrick Weiter est étudiant en marketing. Il y croit. «Musk risque d’avoir un double effet: motiver les jeunes partisans de l’AfD, et motiver à l’inverse tous ceux qui le détestent. Au point que j’entends de plus en plus de familles, autour de moi, se dire prête à boycotter les Tesla qui sortent de son usine géante près de Berlin».

Tesla, un baromètre? En janvier, les ventes de voitures électriques construites par la firme d’Elon Musk ont chuté de 60% en Allemagne. Au pas de la voiture reine, le message vaut peut-être tous les sondages.

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la