Allemagne, l'année zéro (2/3)
«Le Made in Germany qui marche en 2025, c'est Birkenstock pas Mercedes»

Le sujet domine les législatives du 23 février. Etre fier du «Made in Germany» qui s'exportait dans le monde entier. Or cette force économique de la République fédérale est aujourd'hui battue en brèche. A Nuremberg, les Birkenstock ont remplacé Mercedes.
Publié: 21.02.2025 à 20:39 heures
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Mercedes, la marque automobile allemande emblématique, est détestée par Donald Trump.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ils en rigolent. Haut et fort. Julia et Erik portent, dans la froideur de ce 19 février à Nuremberg (-4 degrés en début de semaine), des sandales Birkenstock avec de grosses chaussettes. Ce jeune couple bavarois tient un café tout près du quartier chaud de la ville fortifiée, le long des remparts, là où s’égrènent les vitrines des studios pour prostituées. Avec, sur les murs, la liste des prestations sexuelles rémunérées.

Julia a 28 ans. Elle est une fan des Birkenstock, ce symbole du «Made in Germany» balnéaire, racheté en 2021 par le géant du luxe LVMH et désormais coté en Bourse à New York! Dans son café de la Holwiezenstrasse, à deux pas d’une concession Audi rutilante, ses clients plaisantent. «Birkenstock, c’est l’Allemagne à poil», lâche Ruedi, électeur résolu des Grünen, le parti Vert, que les sondages placent autour de 13% des voix pour les législatives de ce dimanche 23 février.

Les sandales allemandes iconiques sont-elles le nouveau «Made in Germany» ? Les industriels s'inquiètent
Photo: Getty Images for Birkenstock

Marques automobiles

Birkenstock. Le nom résonne. Allemand? Tous ceux que je rencontre, à Nuremberg, me répondent «oui» avec le sourire. En 2025, la fierté du «Made in Germany» ne rime plus avec machine-outil, médicaments, chimie lourde ou grosse cylindrée. Finie donc, l’Allemagne aux marques automobiles impériales et respectées, comme Audi, Mercedes, et bien sûr Porsche ou Volkswagen? La force économique de la République fédérale, forte de 46 millions de travailleurs, n’est-elle pas mieux représentée par Siemens, le géant industriel et médical dont les centres de recherche et de production se trouvent partout dans cette partie nord de la Bavière?

Le soir de mon arrivée à Nuremberg en provenance de Munich et de sa conférence annuelle sur la sécurité, le candidat de la droite à la Chancellerie, Friedrich Merz, a promis de relancer les usines 4.0. Un de ses clips électoraux montre cet ancien dirigeant du fonds Black Rock dans une usine d’assemblage proche de Stuttgart, le bastion de la métallurgie. Birkenstock? Une histoire de sandales bonne pour le prêt-à-porter français. Merz veut redonner sa puissance à l’industrie, confrontée au défi de la baisse des exportations vers la Chine et de la hausse des tarifs douaniers version Trump.

Sauf que l’Allemagne a peur. Sa superbe industrielle appartient au passé. Josef de Weck est un essayiste suisse passionné par la République fédérale, qu’il a souvent arpentée. Il nuance. «Dans les années 90, les Allemands se sentaient malades. Ils avaient perdu confiance. Le chômage augmentait, la productivité baissait, leurs succès commerciaux s’érodaient.»

Chaque année, l'Allemagne produit environ six millions de voitures. La moitié sont exportées.
Photo: AFP

«Aujourd’hui, c’est autre chose, poursuit-il. Le plein-emploi perdure. L’Allemagne continue de fabriquer d’excellents produits qui se vendent bien, dans tous les domaines. La peur est celle de l’avenir, du changement de modèle.» Une récession en 2024, après celle de 2023. La confiance a perdu du terrain. Les statistiques l’emportent sur les lignes de production. Le discours de l’AfD, le parti d’extrême droite, sur le besoin de dérégulation frappe les esprits. Les Allemands ont pris en grippe les normes et leur modèle d’hier, basé sur l’énergie pas chère importée de Russie. Ce qui n’est plus le cas, après trois ans de guerre en Ukraine.

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Le vélo et Tesla

Le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder avait, dans les années 90, réformé le marché du travail, pour le rendre plus flexible, s’attirant les foudres de la gauche en raison de la prolifération d’emplois mal payés. Puis Angela Merkel a, pendant 15 ans, assuré la stabilité. Le nouveau chancelier – Merz le conservateur est donné favori – devra réformer l’économie. Il ne s’agit plus de rendre l’Allemagne plus productive et plus performante. Elle l’est. Il s’agit de trouver les nouveaux secteurs de croissance.

J’arpente les rues de Nuremberg. Le vélo est, à l’intérieur de la ville, le moyen de locomotion le plus fréquent. L’automobile? Les Allemands ont compris que l’époque avait changé. Leurs modèles à grosse cylindrée d’hier et d’avant-hier ne séduisent plus les clients. Et l’avenir n’est pas nécessairement du côté de Tesla, le constructeur de voitures électriques dont la plus grande usine d’Europe a ouvert près de Berlin le 22 mars 2022.

La date, d’ailleurs, a de l’importance. Un mois plus tôt, Vladimir Poutine avait lancé son armée contre l’Ukraine. Ce 22 mars, le chancelier social-démocrate Olaf Scholz accueillit sur le site de cette «gigafactory» le patron de Tesla, alias Elon Musk. Depuis, les deux hommes sont plus qu’à couteaux tirés. Musk a pris fait et cause pour la coleader de l’AfD Alice Weidel, une ancienne banquière de Goldman Sachs. La percée électorale de celle-ci, au-delà des 20% évoqués par les sondages, résonnerait comme une superbe victoire pour l’homme le plus riche du monde.

Plus de Chine à gogo

Comment réinventer l’Allemagne industrielle? Dans son bureau de la Faculté d’économie de Nuremberg, le professeur Léo Amberg nous détaille les enjeux à venir pour la première puissance économique d’Europe. «Les Allemands doivent renoncer à deux piliers de leur modèle depuis trente ans. Le premier était l’exportation à gogo vers l’Asie en pleine croissance, avide de nos voitures et de notre qualité 'Made in Germany'. Le second était notre arrimage énergétique à la Russie.» C’est grave, Docteur? «Oui et non. N’oubliez pas que tout cela a été accéléré par la décision d’Angela Merkel d’abandonner le nucléaire en 2011, après l’accident de Fukushima. Notre faute, comme Allemands, est de ne pas avoir immédiatement préparé de plan B. On s’est reposés sur nos lauriers industriels.»

La parabole de la Birkenstock existe donc. Elle représente une Allemagne capable de vendre autre chose que des voitures, plus douée qu’elle ne le croit pour s’adapter, si elle coopère avec d’autres. «Ce 23 février, on ne votera pas seulement pour des candidats des différents partis, mais pour une direction, poursuit notre interlocuteur. Veut-on un pays replié sur lui-même, donc de plus en plus dépendant des Etats-Unis pour sa sécurité, et de la Chine pour son avenir commercial? Ou est-on prêt à 'européaniser' notre modèle économique?»

Devenir attractive

Les instituts de recherche allemands pointent tous la même équation: la République fédérale doit apprendre à devenir attractive. Elle doit miser sur des secteurs jusque-là négligés, comme le tourisme. Son modèle industriel, qui nécessite une immigration importante dans un contexte de dénatalité chronique, n’est pas tenable à terme. «On veut être une usine sans travailleurs immigrés, ce n’est pas possible, poursuit Patrick, l’étudiant en marketing de l’université de Heidelberg. Ça ne me gêne pas de dire à mes futurs clients: 'nous sommes le pays des Birkenstock' plutôt que le pays de 'Mercedes'.»

A l'université de Nuremberg, Birkenstock fait plus rêver les étudiants que Mercedes.
Photo: Richard Werly

Forme et fonction

Je regarde ses chaussures. Il n’est pas en sandales. Plutôt sportif, on le sent davantage Puma, ou Adidas, deux équipementiers sportifs très présents dans la région de Nuremberg. L’Allemagne de 2025 doit réapprendre à courir. Il ne suffit plus d’aligner les berlines très chères dans les garages du monde entier. «La forme suit la fonction», proclame, dans les catalogues, le slogan de Birkenstock. Et si c’était, demain, la devise de la nouvelle Allemagne?

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