Bravo la Suisse! A écouter, vendredi 20 décembre, le négociateur européen Maros Sefcovic présenter le paquet des futurs accords bilatéraux entre la Confédération et la Commission européenne, l’impression était celle d’une victoire helvétique.
«Nous avons dû écouter très attentivement les préoccupations et les sensibilités de la Suisse. J’en citerai à nouveau trois, a expliqué, dans la salle de presse du Berlaymont (le QG bruxellois de la Commission) le commissaire slovaque, dont la dernière escale à Berne remonte au 28 novembre. Premièrement, le sort de l’accord-cadre institutionnel a montré que le Conseil fédéral n’accepterait pas un accord global unique. Une grande partie de ces négociations visait à déterminer dans quelle mesure, du point de vue de l’UE, nous pouvions atteindre certains des objectifs de l’accord-cadre institutionnel, mais d’une manière différente, plus sensible aux préoccupations de la Suisse.»
Spécificités suisses
Et d’ajouter: «Le deuxième élément du côté suisse était la nécessité d’élargir le paquet. Le troisième élément était d’accepter tout cela. Nos interlocuteurs helvétiques ont insisté pour que nous respections leurs spécificités, notamment en matière de libre circulation des personnes, mais aussi dans de nombreux autres domaines. Nous avons donc été très sensibles aux préoccupations et aux intérêts de notre partenaire. C’est ce qui rend ce paquet équilibré.»
Alors, tout est bon maintenant? Non, loin s’en faut. «La Suisse a obtenu ce qu’elle voulait obtenir. En mai 2021, elle avait refusé l’accord-cadre, car comme son nom l’indique, il traçait un nouveau cadre des relations entre la Suisse et l’UE. Avec l’option stratégique des accords sectoriels (mise à jour des anciens accords, plus cinq nouveaux), le Conseil fédéral a suivi la route qu’il ne cesse de prôner depuis plus de vingt-cinq ans, depuis les Bilatérales I, ni plus, ni moins.
L’Union européenne n’y a vu que du feu, trop heureuse de conclure et de se débarrasser enfin de cet épineux dossier, analyse l’universitaire Gilbert Casasus, auteur du livre «Suisse-Europe, je t’aime moi non plus» (Ed. Slatkine). Sauf que le temps des épines va vite arriver: «Les partisans de l’accord seraient bien inspirés de ne pas prendre à la légère la force de frappe des adversaires de celui-ci», poursuit-il.
Et maintenant? Place aux adversaires justement. Ils se sont déjà, ces derniers jours, empressés d’occuper le terrain médiatique. Gilbert Casasus l’affirme: la partie politique à jouer sera très serrée. «Les oppositions à ce nouveau paquet d’accords bilatéraux incarnent non seulement les forces de l’argent, mais aussi celles du refus de l’autre. L’UDC joue ce registre à la perfection, en affirmant protéger les "petites gens". Une fois de plus, règle quasiment invariable pour toute votation à caractère européen, un référendum à venir opposera, au-delà des positions partisanes, une Suisse ouverte à une Suisse fermée. Ce sont deux conceptions de la société qui vont s’affronter ici dans les trois prochaines années.»
Rendez-vous en 2028
Pourquoi trois ans? Parce que le rendez-vous référendaire aura sans doute lieu en 2028. Et que d’ici là, les analyses abonderont pour nourrir le débat, notamment sur l’importance ou non des juges étrangers présents dans le futur Tribunal arbitral chargé de surveiller la mise en œuvre de ces «Bilatérales III».
Or là aussi, Maros Sefcovic s’est montré prudent. Le glaive de la démocratie directe pèse à l’évidence sur la diplomatie: «Il y a un point plus général ici, à savoir quel est le rôle de la Cour de justice de l’Union européenne. Le rôle de celle-ci sera d’interpréter les concepts du droit communautaire. Si aucun concept du droit communautaire n’est en jeu, si nous tombons dans le champ d’application d’une exception, alors il n’y a aucune obligation, aucune nécessité pour le tribunal arbitral de poser des questions à la Cour de justice. La différence entre ces accords UE-Suisse et la relation que nous avons au sein d’un État membre est qu’il existe des dispositions spécifiques à cette relation qui n’existent pas au sein de l’Union européenne.»
Place donc, à l’idée d’exception helvétique, vendeuse auprès de l’opinion europhobe ou eurosceptique.
Référendum et supercherie
Sur le référendum, Gilbert Casasus voit les choses ainsi: «Tout va dépendre du type de référendum pour lequel optera le Conseil fédéral. Pour un référendum obligatoire ou non? Avec une simple ou une double majorité? Les opposants au nouvel accord ne lâcheront pas pour imposer une double majorité qui leur sera favorable. J’ai peur qu’avec leur stratégie du salami et l’annonce de plusieurs référendums sectoriels, nos sept sages aient confondu sagesse et aveu de faiblesse politiques. Leur intention est trop visible, et quelque part trop saugrenue, pour que leurs adversaires ne se rendent pas compte de ce qui frise la supercherie.»
Pas étonnant, dans ces conditions, que la Commission européenne attende la suite: «Nous sommes conscients que la fin des négociations n’est que la fin du commencement, reconnaît Maros Sefcovic à Bruxelles. La phase suivante est désormais ouverte, à savoir la phase de ratification. Nous ne tenons rien pour acquis, mais nous pensons qu’il s’agit d’un accord satisfaisant et équilibré pour les deux parties.»
Collaboration: Solenn Paulic à Bruxelles