Extreme caution. En anglais: la plus extrême prudence. Blick a pu le constater: ce terme très diplomatique scande toutes les communications officielles de la Commission européenne adressées aux 27 États membres de l’Union, à propos des relations avec la Suisse. Officiellement pourtant, l’affaire est presque conclue.
La finalisation du nouveau paquet d’accords «Bilatérales III» (après les Bilatérales I de 1999 et les Bilatérales II de 2004) est même au menu du Conseil fédéral ce vendredi 20 décembre. Mais rien n’y fait. Impossible, à Bruxelles, de se montrer publiquement optimiste sur l’aboutissement des pourparlers repris après le rejet par Berne du projet d’accord institutionnel, le 26 mai 2021.
Il faut dire que les partenaires européens de la Suisse connaissent par cœur les écueils qui attendent ces «Bilatérales III», constituées par l’amélioration de cinq accords existants et par la conclusion de cinq nouveaux accords (sur les transports aériens et terrestres, sur la sécurité alimentaire, sur l’électricité et sur l’évaluation de la conformité).
Libre circulation
Ils savent qu’un «oui» du Conseil fédéral, même confirmé par une visite à Berne de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen ce samedi 21 décembre, sera le début d’un nouveau marathon politique helvétique. Ils savent que la droite europhobe, emmenée par l’UDC, prépare son offensive. Ils connaissent les revendications des syndicats, qui exigent des mesures domestiques d’accompagnement pour compenser les risques de dumping social liés à la libre circulation.
«La Suisse accepte de respecter le droit européen sur la libre circulation des personnes, des travailleurs et le détachement des travailleurs. Elle promeut les citoyens de tous les Etats membres de la même manière, mais je sais que le débat sera engagé au niveau national, tout va se compliquer», confirme à Blick un ancien négociateur européen, habitué jadis à faire la navette entre Berne et Bruxelles.
Le remède à ces tensions programmées est le silence. Silence total du côté du Conseil fédéral, qui a jusqu’au bout caché la dernière mouture de la négociation. Impossible de connaître la formulation exacte de la clause de «sauvegarde» qui donnerait à la Suisse – sous certaines conditions, une forme de veto en cas d’afflux massif de travailleurs étrangers. On sait juste que la Commission européenne, après l’avoir formellement rejeté, a proposé une formule hybride en échange de la réduction des frais d’inscription pour les étudiants de l’UE dans les universités helvétiques.
Quid de la contribution à la cohésion?
Les négociateurs bruxellois refusent d’ailleurs de parler, contrairement à leurs homologues suisses, de clause «unilatérale». Il s’agirait en fait d’une clause à utiliser dans le cadre d’un accord entre les parties ou après autorisation du tribunal arbitral crée dans le cadre de ce nouveau paquet d’accords. En bref, dans des conditions très spécifiques.
Impossible aussi de connaître le montant de la future contribution suisse à la cohésion (l’aide aux nouveaux pays membres de l’UE), dont on dit qu’il triplerait par rapport aux enveloppes précédentes. Le carnet de chèques helvétique va donc être sollicité? «Oui, et c’est normal, détaille un diplomate. Notre base de calcul est la contribution de la Norvège, autre pays partenaire de l’Union. La Suisse doit payer pour la consolidation de ce marché européen essentiel à son économie.»
La plus grande prudence
Silence aussi à Bruxelles. Fait rare, le Commissaire slovaque Maros Sefcovic, négociateur européen en chef, est selon nos informations, intervenu à plusieurs reprises ce mardi lors du conseil des ministres des 27 pour recommander «la plus grande prudence de communication» aux Etats-membres.
La Hongrie, qui assume pour encore quelques jours la présidence tournante semestrielle de l’Union (avant d’être remplacée par la Pologne le 1er janvier), est aussi intervenue en ce sens. «Les Suisses sont un peu comme nous, les Hongrois. Ils sont très susceptibles. Alors, mieux vaut faire attention», répétait souvent, depuis le début juillet, l’éditorialiste du quotidien Nepszava dans les couloirs du Conseil européen.
Pas d’indulgence
Mais attention: silence ne veut pas dire indulgence. Après trois ans de négociation depuis le rejet unilatéral du projet d’Accord institutionnel, les Européens familiers du dossier helvétique ne cachent plus leur fatigue. Ils connaissent les rouages de la démocratie directe. Ils savent les risques d’un référendum, envisagé pour 2028. Et ils préfèrent donc planter le décor: «S’ils disent encore non à l’Europe, les Suisses en paieront le prix», poursuit l’ancien négociateur européen joint par Blick. Sans aller, toutefois, jusqu’à préciser ce que cela signifiera.
Collaboration: Solenn Paulic