Surtout, ne pas faire dérailler le train suisse des négociations bilatérales! Ce mardi 17 décembre à Bruxelles, les ministres des Affaires européennes des 27 pays membres de l’Union se sont bien gardés de commenter la dernière phase des pourparlers entre les négociateurs européens et helvétiques.
«Très peu de choses à dire sur le fond. En ce qui concerne la Suisse, les discussions d’aujourd’hui se sont déroulées dans une atmosphère très positive. Pas de surprise dans les interventions. Nous avons salué l’important travail mené par la Commission au cours des derniers mois et des 10 dernières années. Maintenant qu’un accord est en vue, nous espérons que la Suisse sera prête à aller de l’avant», commentait une source européenne au sortir de la réunion.
En clair: pas question de mettre en difficulté le Département des Affaires étrangères et son chef, Ignazio Cassis, avant la réunion du Conseil fédéral prévue ce vendredi. «La Suisse doit avoir la primeur de l’annonce», estime un ambassadeur européen basé à Paris, familier des négociations. «Tout le monde sait que ce paquet d’accords bilatéraux va finir devant le peuple en référendum. Il ne faut donc vexer personne dans la dernière ligne droite.»
Mutisme pas ordinaire
Ce mutisme européen n’est pas habituel. D’ordinaire, les ministres des 27 n’hésitent pas à exposer leurs divergences en public sur des négociations en cours. Le meilleur exemple, ces derniers jours, est la polémique sur l’accord commercial avec les pays latino-américains du Mercosur, dont Ursula von der Leyen a approuvé en personne la finalisation à Montevideo le 6 décembre, malgré l’opposition frontale de la France et de fortes résistances en Italie et en Pologne.
Alors, pourquoi un tel silence à propos de la Suisse? Parce que la dernière pierre de l’édifice manque encore. «Nous pensons être parvenus à un équilibre très délicat, qui devrait être apprécié comme tel par toutes les parties. Pour ce qui est de l’avenir, c’est maintenant au Conseil fédéral de jouer. Nous espérons qu’un accord pourra être trouvé avant la fin de l’année. Cela nous permettra de consolider et de structurer notre relation, et d’avancer sur des dossiers d’intérêt commun (comme le programme de recherche Horizon Europe)», plaide-t-on du côté des pays membres. La Commission, elle, est murée dans le silence et évite de citer l'ultime chiffre qui fâche: 350 millions de francs par an.
350 millions? Il s’agirait du montant que la Suisse s’engagera à verser chaque année à l’Union européenne pour sa cohésion, c’est-à-dire l’aide aux derniers États membres entrés dans l’UE, si le paquet des «Bilatérales III» est adopté. Faites le calcul: 3,5 milliards de francs tous les dix ans. Presque le triple de la seconde contribution de 1,3 milliard débloquée par la Confédération en 2021. Les Bilatérales III ont donc un prix. Lequel rapproche la Suisse de la Norvège qui, sur dix ans, verse environ 4 milliards de francs aux pays les moins avancés de l’UE.
Très optimiste
«Je suis très optimiste en ce qui concerne les négociations avec la Suisse, a complété mardi Anna Lüthrmann, ministre allemande chargée des Affaires européennes et du climat. Elles sont vraiment dans la dernière ligne droite et nous pensons qu’elles pourront encore être conclues cette année. Il y a encore d’autres discussions avec la Suisse, notamment sur les aspects financiers des accords, mais les négociations sont en très bonne voie.» Le Commissaire slovaque Maros Sefcovic, négociateur en chef, a pour sa part communiqué son optimisme sur le réseau social X après avoir échangé au téléphone avec Ignazio Cassis, qu’il avait rencontré à Berne le 27 novembre: «Seules quelques questions restent en suspens. Notre objectif est de faire aboutir les négociations», a-t-il écrit.
Libre circulation, le dossier explosif
Le dossier explosif de la libre circulation, cœur de la négociation semée d’embûches entre la Suisse et l’UE, n’a pas été complètement désamorcé. Alors que les syndicats suisses réclament des garanties salariales, la pression reste forte sur les négociateurs helvétiques. Ils devront expliquer vendredi – si les négociations bilatérales arrivent leur terme – quel type de «clause de sauvegarde unilatérale» a été obtenu, et quelles seront les conditions de son activation en cas d’afflux massif ponctuel de travailleurs étrangers.
Le cas du Royaume-Uni
Coïncidence significative du calendrier, la Commission européenne a en effet décidé en début de semaine de traduire le Royaume-Uni devant la Cour de justice de Luxembourg pour non-respect du droit de l’UE sur la libre circulation des citoyens de l’UE et des membres de leur famille à la fin de 2020.
La Commission estime que la mise en œuvre du traité par le gouvernement britannique présentait plusieurs lacunes qui continuent d’affecter les citoyens de l’UE. «Plusieurs griefs restent sans réponse, notamment en ce qui concerne les droits des travailleurs et les droits des membres de la famille élargie», précise le recours juridique de la Commission. Un avant-goût des futurs différends entre la Suisse et l’UE devant le futur tribunal arbitral qui verra le jour avec les «Bilatérales III»?
Collaboration à Bruxelles: Solenn Paulic