Et maintenant, place à la peur! S’ils reçoivent l’aval officiel du Conseil fédéral ce vendredi 20 décembre, les futurs accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne deviendront une bombe politique posée en permanence sur la table de l’exécutif.
Logique: l’histoire a montré combien il est difficile de convaincre le peuple suisse d’accepter de s’arrimer à son grand voisin communautaire. La victoire du «oui» à l’entrée de la Confédération dans l’espace Schengen (54,6%) le 5 juin 2005 n’a pas effacé la blessure d’il y a trente-deux ans.
Le 6 décembre 1992, lors d’une votation qui consacra l’entrée tonitruante en politique du tribun de l’Union démocratique du centre (UDC) Christoph Blocher, 50,3% des électeurs helvétiques rejetaient le projet d’adhésion à l’Espace économique européen (EEE, aujourd’hui composé de la Norvège, de l’Islande et du Liechtenstein).
Immense incertitude
Place à la peur, parce que tous les indicateurs sont orange. Pas vert. Pas rouge. Orange. L’opinion suisse, chauffée par les syndicats et l’UDC, est-elle prête à voter oui sur ce paquet d’accords qui sera géré, à l’avenir, par un tribunal arbitral entre la Suisse et l’Union européenne?
L’obtention d’une clause de sauvegarde unilatérale très restreinte en matière de libre circulation (moyennant des concessions sur l’accès des étudiants européens aux universités helvétiques) et la très nette augmentation du montant alloué par la Suisse à la cohésion de l’Union – on parle de 350 millions de francs par an – vont-ils dégager ou obscurcir le ciel politique de la Confédération?
L’UE, mal aimée
Le dernier thermomètre disponible, pour prendre la température électorale, est le sondage publié par la SSR en octobre dernier. Or la photographie fournie par cette enquête est ambivalente. Certes, 80% des personnes interrogées jugent «bons pour la Suisse» le fait d’envisager des accords avec le premier partenaire commercial du pays.
Ils sont d’ailleurs encore plus nombreux (88%) à dire que cela serait bon pour l’économie. Mais dès que l’Union européenne entre dans la danse, les réponses favorables s’écroulent. Seuls 6% des Suisses interrogés ressentent un «sentiment très positif» à l’égard de l’UE. Ils sont une minorité aussi à la juger plutôt positive (22%). Tandis que 49% des répondants affirment ressentir un sentiment «négatif ou plutôt négatif».
L’autre raison d’inquiétude du Conseil fédéral est la donne politique. Oublié, l’enthousiasme du sondage réalisé en janvier par GFS Berne, pour le compte de plusieurs associations faîtières, dont Économie Suisse: 78% de la population affirmait alors que la Suisse «doit rapidement stabiliser» ses relations avec l’Union. «Les syndicats ne sont pas suivis. Ni par la base du PS, ni par la population. L’UDC ne convainc pas la moitié de ses propres sympathisants. 71% de la population est favorable aux Bilatérales III avec l’UE.» claironnait l’organisation patronale.
Une «difficile étape de montagne»
Et depuis? La parole a surtout été accaparée par ceux qui demandent des concessions. «L’Union syndicale suisse (USS), la plus grande organisation de salariés, réclame des négociations supplémentaires, estimant que l’accord en l’état va détériorer la qualité des salaires dans le pays. Les négociations sur le rail et l’électricité inquiètent aussi les syndicats», s’alarmait, mercredi 18 décembre, le média bruxellois Euractiv.
Interlocuteur régulier de Blick, l’universitaire Gilbert Casasus, auteur du livre «Suisse-Europe, je t’aime moi non plus» (Ed. Slatkine) voit poindre les difficultés. «La finalisation puis l’éventuelle signature de l’accord ne sont que des étapes. Une difficile étape de montagne, suivie d’un long contre-la-montre, non moins difficile, et d’une arrivée finale qui au plus tôt aura lieu en 2027, sinon en 2028. Avec le risque, qu’à cette date, l’accord soit déjà obsolète», a-t-il indiqué à l’Agence France-Presse (AFP). Dans son édition de jeudi 19 décembre, le Tages Anzeiger parie, lui, sur 2028.
Et Casasus d’ajouter: «La ratification suisse par référendum constitue la plus grande épée de Damoclès qui pèse sur le sort de cet accord. Y aura-t-il un référendum où seule la majorité des suffrages exprimés sera requise ou un référendum nécessitant une double majorité, celle des électeurs et celle des cantons?» Preuve de l’inquiétude ambiante, l’une des options sur la table du Conseil fédéral dès ce vendredi serait, selon la télévision suisse alémanique SRF, de «découper» le paquet d’accords bilatéraux à venir en quatre «tranches». En vue d’organiser non plus un seul, mais quatre référendums.
Soumission totale
Les plus optimistes, face à cette difficile échéance démocratique, se trouvent au sein du Mouvement européen suisse qui organisait sa «Journée européenne» le 6 décembre à Berne. Une semaine plus tard, le 12 décembre, son Secrétaire général Raphaël Bez assistait, tout sourire, à la réception donnée par l’Ambassadeur de l’UE en Suisse, Petros Mavromichalis.
Son objectif? Ne surtout pas céder aux pressions et aux interprétations erronées des sondages. «Nous disons oui à une stabilisation et à un développement des relations entre la Suisse et l’Union européenne. Ne laissons pas le champ libre aux opposants», répète-t-il.
Cette détermination, les deux principaux adversaires des «Bilatérales III» entendent bien l’affronter. Pour les syndicats, en exigeant des mesures compensatoires au niveau des salaires et des garanties sociales avant l’entrée en vigueur des accords. Et pour l’UDC, en abattant comme toujours la carte souverainiste et nationaliste. Pour ce parti, ce nouveau paquet d’accords signifie toujours, en effet, «la soumission totale de la Suisse à l’Union européenne».