Quelle réponse le Conseil Fédéral va-t-il donner à la Commission européenne après le rejet, par les 27, d’une possible clause de sauvegarde accordée à la Suisse en matière de libre-circulation? Ce refus, confirmé à Luxembourg mardi 15 octobre, sera peut-être évoqué lors du sommet européen qui s’ouvre à Bruxelles ce jeudi 17 octobre. Signifie-t-il l’échec programmé des discussions en cours, après plus d’une centaine de sessions de négociation? L’universitaire Gilbert Casasus ne l’écarte pas.
Gilbert Casasus, les 27 pays membres de l’Union européenne refusent de concéder à la Suisse une clause de sauvegarde en matière de libre-circulation. Ne s’agit-il par d’une pression inacceptable sur un pays tiers, non-membre de l’UE?
On pourrait facilement retourner la question et se demander s’il n’existe pas de manière plus contre-productive que celle d’exiger, quasiment en préalable, la remise en cause ipso facto du principe de la libre circulation des personnes. Je vais être franc: je me demande si le gouvernement Suisse ne cherche pas en secret l’échec d’un nouvel accord en revendiquant une clause de sauvegarde. Qu’on le veuille ou non, dans l’état actuel des choses, l’Union ne peut pas accorder une dérogation à un pays tiers alors qu’elle n’est ni en droit, ni en mesure d’accorder cela à l’un de ses États membres. La libre circulation des personnes et des travailleurs n’est pas seulement une question juridique. C’est d’abord une question politique.
Oui, mais répétons-le, la Suisse n’est pas membre de l’Union et son accès au marché intérieur européen demeurera limité, même en cas d’accord…
Et alors? Il y a des règles du jeu. L’exigence d’une clause de sauvegarde n’était pas mentionnée dans le document conjoint de la fin 2023, ce fameux «common understanding» sur lequel les diplomates helvétiques suisses et européens étaient tombés d’accord. Dès lors, tout porte à croire que la Suisse cherche encore à modifier les règles du jeu. Et si la Suisse cherchait ainsi à enterrer ses négociations avec Bruxelles?
Sauf que la réalité politique helvétique est incontournable. Tout accord bilatéral avec l’Union européenne qui ne comporte pas une telle clause de sauvegarde risque d’échouer devant le peuple.
C’est une question aussi fondamentale que légitime. Mais pourquoi nos voisins européens devraient-ils tenir compte de notre spécificité institutionnelle? Pour les Suisses, la démocratie s’exprime par les référendums, par les initiatives, soit par la démocratie directe. Ce n’est pas le cas chez nos voisins. Leurs systèmes sont différents et reposent surtout sur la démocratie représentative. Celle-ci n’est pas forcément plus antidémocratique que la démocratie directe.
J’irai plus loin: certains de nos voisins ne se reconnaissent nullement dans notre système politique. Ils lui reprochent notamment de ne pas être totalement conforme à l’esprit démocratique puisqu’en Suisse, l’alternance politique n’existe pas au niveau fédéral! Pour eux, «la formule magique» s’apparente à un tour de passe-passe politique. Car sans alternance politique, il n’y a de réelle démocratie politique. Résultat: la Confédération cultive son exception, sa «mentalité du réduit», son particularisme volontairement anti-européen. Or cela a un prix.
Malgré cela, la volonté d’aboutir à un nouveau paquet d’accords bilatéraux Suisse-UE d’ici la fin de cette année est réitérée des deux côtés. C’est possible?
L’environnement politique actuel ne plaide pas pour une acceptation d’un nouvel accord avec l’Union européenne. Comme c’est le cas dans de nombreux pays membres de l’UE, l’euroscepticisme prospère en Suisse. Les anti-européens ont le vent en poupe. Il ne faut pas minimiser l’impact et les chances de succès de l’initiative «Boussole» ou «Kompass», qui rejette «le paquet de négociation (accord-cadre 2.0) destiné à redéfinir les relations bilatérales» entre Berne et Bruxelles. Elle bénéficie de l’appui de personnalités représentatives des forces vives du pays. Cette initiative ressemble à certains égards à celles lancées en 1992, lorsque l’adhésion de la Suisse à l’Espace Économique Européen (EEE) paraissait chose acquise. Ceci d’autant plus que personne, aujourd’hui, ne brandit le flambeau européen comme le firent à l’époque les Delamuraz, Felber et Ogi. L’histoire est-elle en train de se répéter?
A lire: «Suisse-Europe, je t’aime moi non plus» de Gilbert Casasus (Ed. Slatkine)