L'Allemagne veut débloquer des investissements sans précédent de centaines de milliards d'euros pour renforcer son armée, au vu de la fracture en cours avec les Etats-Unis, et faire repartir son économie en récession, en s'affranchissant de ses règles de discipline budgétaire. Ces annonces, faites mardi soir par les partis conservateur et social-démocrate qui négocient la formation du futur gouvernement allemand, traduisent une accélération spectaculaire des bouleversements à l'oeuvre dans la première économie européenne, provoqués par la rupture transatlantique amorcée par la nouvelle administration de Donald Trump.
Après des décennies durant lesquelles l'Allemagne s'est placée sous la protection du parapluie américain, au sein de l'Otan, le pays s'engage dans un réarmement national et européen d'ampleur inédite. Il ouvre pour cela sans compter les vannes des dépenses publiques, quitte à mettre entre parenthèse des décennies de gestion orthodoxe. «Compte tenu des dangers qui menacent notre liberté et la paix sur notre continent, le mot d'ordre pour notre défense doit être: quoi qu'il en coûte!», a déclaré le futur chancelier allemand Friedrich Merz, qui avec son parti conservateur a remporté les récentes élections législatives.
Politique du «bazooka»
Cette expression fait référence à des propos tenus en 2012 par le président de la Banque centrale européenne de l'époque, Mario Draghi, pour signifier la volonté de l'institut monétaire de défendre l'euro à tout prix durant la crise de la dette. Une autre expression empruntée à la BCE, fait aujourd'hui florès en Allemagne, pour qualifier les investissements prévus pour adapter le pays à la nouvelle donne géo-politique mondiale: le «bazooka».
Le futur chancelier conservateur allemand, Fredrich Merz, vainqueur des récentes élections législatives, a annoncé dans la soirée à Berlin avoir conclu un accord en ce sens avec les sociaux-démocrates, avec qui il négocie la constitution de la future coalition gouvernementale. Concernant la défense, les deux formations politiques vont demander la semaine prochaine un vote à la chambre des députés pour s'affranchir des règles nationales constitutionnelles qui limitent le déficit budgétaire public annuel.
Toutes les dépenses de défense dépassant le seuil de 1 point de pourcentage du Produit intérieur brut allemand, soit au-dessus de 45 milliards d'euros environ, pourront être votées sans tenir compte du mécanisme dit du «frein à l'endettement». Ce dernier limite en principe le déficit budgétaire annuel du gouvernement à 0,35% du PIB. «Les temps sérieux exigent des mesures très sérieuses», a souligné un autre responsable conservateur Markus Söder
Dépenses gelées par Olaf Scholz
«Nous envoyons un signal aux amis et aux ennemis : l'Allemagne est là. L'Allemagne ne se retire pas. Nous ferons tout ce qui est nécessaire pour protéger, renforcer l'Allemagne. Et faire avancer l'Europe», a-t-il ajouté. La presse allemande a fait état de projets d'investissement dans l'armée allemande de 200 à 400 milliards d'euros. A titre de comparaison, le budget fédéral allemand annuel est de 480 milliards d'euros environ. Dans le même temps, le futur chancelier conservateur a annoncé vouloir obtenir un accord pour débloquer une aide militaire supplémentaire comprise entre 3 et 3,5 milliards d'euros pour l'Ukraine, suite à la décision des Etats-Unis de suspendre la leur.
«Nous partons du principe que les fonds vont être rapidement débloqués», a-t-il dit. Ils étaient planifiés depuis l'année dernière mais avaient été gelés par l'actuel chancelier social-démocrate Olaf Scholz. En outre, conservateurs et sociaux-démocrates se sont mis d'accord sur un gigantesque plan de subventions publiques pour améliorer les infrastructures et la «compétitivité économique» du pays: le retour à la croissance, dans un pays en récession depuis deux ans, est perçu comme la condition pour pouvoir financer les nouvelles dépenses dans la défense.
Concrètement les partis veulent faire voter par la chambre des députés la mise sur pied d'un fonds spécial de 500 milliards d'euros en ce sens. Les deux mesures nécessitent une majorité des deux-tiers à la chambre des députés, car elles requièrent une exception aux règles constitutionnelles. Cette majorité peut être trouvée dans l'actuel Bundestag fonctionnant jusqu'à fin mars - d'où l'urgence des annonces - mais elle serait beaucoup plus difficile à trouver dans la prochaine, issue du dernier scrutin législatif, du fait de la poussée des partis extrémistes.