Washington DC, prochaine victime politique et institutionnelle de Donald Trump? Dans l’ancien entrepôt de «Union Market», le marché de gros transformé en partie en complexe de loisirs et de restaurants, cette évidence semblait ne faire aucun doute jeudi 21 novembre.
Et pour cause: venus nombreux pour célébrer le cinquantième anniversaire de l’institution d’un gouvernement élu pour la capitale fédérale américaine, tous les participants ou presque avouaient avoir, trois semaines plus tôt, voté pour la vice-présidente Kamala Harris, candidate du parti démocrate. Washington, ville où la communauté afro-américaine est prédominante, se sait donc visé par l’offensive des «durs» du Parti républicain.
Cinquante ans. Un demi-siècle tout juste que la ville où fonctionne l’administration du pays le plus puissant au monde est dotée d’un conseil élu et dirigée par un maire également élu! Crée en décembre 1790, une quinzaine d’années après la déclaration d’indépendance, le «District of Columbia» était jusque-là complètement dirigé par le Congrès, dont il continue de dépendre pour son budget. Pas de maire. Pas d’élus. Une tutelle officiellement exercée par le Parlement, pour cette ville où tous les pays du monde, même les plus petits, disposent d’une ambassade.
Une capitale bâtie par les esclaves
«C’est notre histoire. Tous les grands monuments publics de Washington ont été construits par des esclaves noirs. Et pendant près de deux siècles, les Américains qui se battaient pour leurs droits et pour la République ignoraient les nôtres», déplore Robert White, donné comme l’un des successeurs possibles à l’actuelle maire, Muriel Bowser, que Donald Trump a souvent pris dans son viseur lorsqu’il était au pouvoir, entre 2016 et 2020.
Ces cinquante années de lutte pour les droits de Washington défilent sur les écrans. Partout, le chiffre 50 est mis en valeur. Tous les discours y font référence. Jeudi 21 novembre à «Union Market», l’objectif reste affiché et proclamé: gagner la prochaine bataille institutionnelle. Celle qui permettra enfin à Washington d’accéder au statut d’État à part entière. Le 51e Etat que toutes ses caractéristiques justifient.
Washington est la capitale des États-Unis. Sa population, environ 600'000 personnes, est supérieure à celle du moins peuplé des États fédérés: le Wyoming, dans le Grand Ouest. Ses institutions, dirigées par la maire dont les compétences s’apparentent à celle d’un gouverneur, gèrent correctement la ville et son territoire, bordé par le Maryland et la Virginie.
Sous tutelle
David Catania est le patron d’une agence de communication réputée: «Aucun argument ne tient pour nous refuser ce droit. Vous imaginez Paris, capitale de la France qui serait sous tutelle de votre Parlement composé d’élus qui viennent de tout le pays et ne connaissent rien à cette ville? Dément, non?» Mais un autre invité de cette soirée du 50e anniversaire à «Union Market» est encore mieux placé pour en parler.
Paul Strauss est l’un des deux «Shadow Senator» élus par les Washingtoniens. Son nouveau collègue, Ankit Jain, vient d’être élu le 5 novembre avec plus de 80% des voix: «Nous sommes deux Sénateurs de l’ombre, détaille-t-il dans son bureau d’avocats, sur la 16e rue, pas très loin de la Maison-Blanche. Nous n’avons ni staff, ni compétences, et bien sûr pas le droit de vote. On nous élit pour faire du lobbying auprès du Congrès, pour dire aux élus de la nation: Washington existe. On nous prive de nos droits les plus élémentaires contenus dans la fameuse devise 'No taxation without representation' (Pas d’impôts sans représentation). Or nous payons des taxes!»
La cause de Washington
Paul Strauss connaît Genève. Il est venu y plaider la cause de Washington, la capitale des États-Unis, auprès de la coalition des territoires privés d’États, comme le Somaliland ou Porto Rico, cette possession américaine des Caraïbes dont les habitants ne peuvent pas voter pour élire le président des États-Unis!
«Notre lutte n’est du tout une posture. On nous refuse le droit d’être un État parce que les Républicains savent que nos votes feraient la différence. Cette ville est largement afro-américaine. C’est un bastion démocrate. Deux sénateurs démocrates de plus, ce serait un basculement complet. Vous pensez que Trump peut envisager cela? Bien sûr que non.»
Jack Evans est un avocat blanc. Il a longtemps représenté au sein du Conseil de district le second «ward» de Washington. Il est plus nuancé: «Trump nous déteste, c’est certain. Il a en tête les manifestations devant la Maison-Blanche, et bien sûr la participation de la police de Washington pour repousser les manifestants partis à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Mais attention: il a besoin de laisser derrière lui l’image d’un président qui ne piétine pas tout le monde. Au final, Washington peut servir ses intérêts.»
Le 6 janvier: ici, tout le monde l’a en tête. La maire Muriel Bowser dut alors envoyer ses policiers secourir leurs collègues débordés du Capitole. Depuis, tout le périmètre du Parlement est entouré de blocs de ciment. La sécurité a été renforcée. «Washington est une ville de pouvoir dont Trump a peur. Il se sent beaucoup mieux à New-York ou en Floride, où on ne parle que d’argent. Sauf que le pouvoir, il l’aura. Et qu’il devra vivre avec Washington», complète Jack Evans.
Le combat de Paul Strauss
Paul Strauss, le «Shadow Senator» ne perd pas espoir. Il se bat. Il cite en modèle le combat incessant mené au Congrès par la déléguée du District de Columbia, Eleanor Holmes Norton, réélue ce 5 novembre. Cette dernière n’a pas le droit de voter, mais elle a un bureau, des assistants et participe aux travaux des commissions de la Chambre des Représentants.
«Je pense que c’est raté pour Washington avec l’administration Trump. Beaucoup dans son gouvernement voudront nous punir, à commencer par Elon Musk, nommé pour démanteler l’État fédéral dont nous sommes l’incarnation. Reste que notre cause peut lui servir. A travers Washington, Trump peut démontrer aux Afro-américains qu’il est aussi leur président.»