Tout autre «président élu» vivrait ce renoncement comme une gifle. Imaginez: son candidat pour le poste «d’Attorney General», soit le patron du département de la Justice, contraint de renoncer quelques jours après avoir été nominé! Pire: un candidat jugé, depuis que son nom circule, notoirement incapable et discrédité par une très grande partie de la classe politique américaine et des médias.
En cédant devant la polémique et les risques de voir un rapport parlementaire le concernant dévoilé au grand public, Matt Gaetz, 42 ans, a rallumé les projecteurs sur le parcours et les compétences pour le moins discutables de plusieurs membres désignés de la future administration Trump. Mais avec son remplacement immédiat, assorti d’un maigre tweet de soutien, le prochain locataire de la Maison-Blanche a, une fois encore, prouvé qu’il sera bien difficile de l’arrêter dans sa détermination à imposer ses hommes et femmes à la tête des États-Unis. Aussi controversés soient-ils…
Bulldozer anti-juges
Matt Gaetz, preuve du «chaos actuel et à venir» comme l’écrit ce vendredi 22 novembre le très informé média en ligne «Axios»? En surface, oui. L’intéressé, facilement réélu le 5 novembre à la Chambre des Représentants pour le premier district de Floride, laisse un champ de ruines politique derrière lui après deux semaines de polémique.
Difficile en effet pour sa successeure nommée jeudi, l’ancienne procureure de Floride (encore un responsable en provenance de cet État devenu le creuset du futur gouvernement!) Pam Bondi, 59 ans, de faire oublier les mots avec lesquels Donald Trump avait annoncé, le 13 novembre, son choix initial: «Matt mettra fin à l’instrumentalisation du gouvernement, protégera nos frontières, démantèlera les organisations criminelles et restaurera la foi et la confiance gravement brisées des Américains dans le ministère de la Justice. Matt a joué un rôle clé dans la défaite du canular concernant la Russie (et ses liens avec le futur président) et dans la révélation d’une corruption et d’une militarisation gouvernementales alarmantes et systémiques. Il éliminera la corruption systémique au sein du DOJ et ramènera le ministère à sa véritable mission de lutte contre le crime et de respect de notre démocratie et de notre Constitution.» Trump voyait donc en lui bien plus qu’un fantassin: un bulldozer anti-juges…
Sauf que la méthode Trump, une fois encore, est en train de fonctionner. Gaetz a renoncé alors qu’un rapport parlementaire pour l’heure resté confidentiel contenait, selon le «New York Times» des informations accablantes sur sa participation à un réseau de trafic sexuel, «rémunérant des femmes pour des orgies sous drogue». Aucune mention de cela dans le camp Trump. Aucune excuse. Comme si la volonté de choquer, d’intimider, de risquer le tout pour le tout était le mot d’ordre du président qui prendra ses fonctions le 20 janvier 2025 et sera aux commandes le 4 juillet 2026, jour du 250e anniversaire de la fondation des États-Unis d’Amérique.
Pam Bondi, bien plus affûtée
«Il y a deux façons de voir les choses. Et toutes deux démontrent que Trump s’est préparé à une telle situation embarrassante confirme Paul Strauss, élu démocrate de Washington DC, la capitale fédérale. La première est de s’en tenir à l’impact de cette provocation. Gaetz faisait peur à l’establishment et à l’appareil judiciaire. Or c’est exactement ce que veut Trump. La seconde est de regarder celle qui lui succède: Pam Bondi est une procureure affûtée, en poste en Floride depuis vingt ans. Va-t-elle être moins efficace que Gaetz dans sa mise au pas des juges, pour éviter que Trump soit mise en cause? Sûrement pas. Au contraire. Elle saura encore mieux déminer le terrain judiciaire.»
Et le scandale? Et le risque de voir d’autres nominés, comme Pete Hegseth au Département de la Défense, lui aussi accusé de harcèlement sexuel, se retrouver le dos au mur? Là aussi, le raisonnement habituel ne fonctionne pas. «Trump capitalise sur son rejet par les élites, complète le site Axios. Il a choisi, avec Hegseth ou Tulsi Gabbard (sa nominée pour la coordination des services de renseignement) ou Mehmet Oz (le très médiatique docteur qui dirigera Medicare, le soutien médical public aux personnes vulnérables), des personnalités populaires, professionnels de la télévision, dont le parcours plaît à ses électeurs. Ce sont tous des 'Maverick' comme lui, des 'risque-tout' à très forte notoriété.»
Sur le papier, Matt Gaetz a tout perdu. Démissionnaire de son poste de représentant de Floride, il pourrait être compliqué pour lui de se représenter à une prochaine élection partielle, puis de retourner au Congrès. Au cœur d’une polémique de grande ampleur, il risque de voir sa réputation salie. Mais il est très peu probable que Trump le lâchera. «Gaetz est le paratonnerre. Il a pris pour tous les autres. Les détracteurs de Trump ont obtenu sa tête, juge un ancien diplomate américain. Et après? L’histoire ne fait que commencer. Je ne serai pas étonné de le voir finir ambassadeur dans un pays d’Amérique centrale, où il défendra la politique antimigrants de la nouvelle administration.»
Trump ne perd jamais
Moralité, une fois encore: Donald Trump ne perd jamais. En tout cas, pas en politique, compte tenu du soutien dont il dispose dans l’Amérique profonde et de son contrôle absolu du parti républicain, désormais aux commandes de l’exécutif, et des deux chambres du Congrès: «De temps à autre, Trump concède être allé trop loin, écrit la journaliste du 'New York Times' Maggie Haberman dans sa formidable biographie 'Confidence Man'. Mais au lieu de présenter ses excuses, il s’empresse de trouver d’autres cibles et de divertir l’attention. Sa méthode a de toute façon toujours été de diviser pour régner, même au sein de son entreprise. Il encourage ses collaborateurs à prendre des risques pour lui. Et ensuite, il en tire profit.»