«La Constitution américaine est la loi fondamentale de la nation. Elle codifie les valeurs fondamentales du peuple. Les tribunaux ont la responsabilité d’interpréter le sens de la Constitution, ainsi que le sens de toute loi adoptée par le Congrès.» Quel sera le sens donné à cette phrase, essentielle pour comprendre le fonctionnement du pouvoir judiciaire aux États-Unis, par le futur «Attorney General» (Procureur général) Matt Gaetz? Tous les juges et les avocats (ils sont plus de 1,3 million à travers le pays) se posent aujourd’hui la question aux États-Unis. La raison? Le profil plus que controversé et problématique de l’homme à qui Donald Trump veut confier le Département de Justice dans sa future administration.
Trump président, notre direct
Matt Gaetz, 42 ans, ténor de l’aile droite du Parti républicain, a été le 5 novembre réélu à la Chambre des Représentants pour le 1er district de Floride, un État dont son père était un patriarche politique, puisqu’il en a présidé le Sénat. Mais Trump a d’autres ambitions pour ce détracteur inlassable du pouvoir des magistrats, selon lui bien trop proches du parti démocrate et du FBI, la police fédérale qui a enquêté sur le «président élu» et notamment sur ses liens présumés avec la Russie de Vladimir Poutine.
Détournement de mineure
Si le Sénat – désormais contrôlé par les républicains – confirme sa nomination après l’investiture présidentielle du 20 janvier 2025, Gaetz sera en outre le premier «Attorney General» à avoir fait l’objet d’une enquête pour possible détournement d’une mineure de 17 ans lors d’un voyage aux Bahamas en 2018. La justice avait finalement abandonné, faute de pouvoir garantir la crédibilité du témoignage de la jeune fille concernée
Outre son parti pris politique outrancier, et son hostilité déclarée aux magistrats et policiers qui ont enquêté sur Donald Trump ces dernières années, Matt Gaetz fait partie de ces élus qui n’ont jamais accepté la défaire de leur candidat face à Joe Biden à la présidentielle de novembre 2020. Il avait alors voté, avec 150 autres élus contre la validation des résultats par le Congrès à l’issue de la fameuse journée du 6 janvier 2021, marquée par l’assaut des partisans de Trump sur le Capitole. Il avait ensuite soutenu les «Proud Boys», une milice d’extrême-droite avec laquelle il a fini par prendre officiellement ses distances.
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Plus problématique encore est le mandat qu’entend lui confier Trump, à savoir «une réforme désespérément nécessaire au sein du ministère de la Justice». Le communiqué de l’équipe Trump-Vance poursuit: «Peu de questions en Amérique sont plus importantes que de mettre fin à l’armement partisan de notre système judiciaire. Matt mettra fin à l’instrumentalisation politique de la justice, protégera nos frontières, démantèlera les organisations criminelles et rétablira la confiance des Américains.» Au sein de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, Matt a joué un rôle clé dans la mise en échec du canular 'Russie, Russie, Russie' et dans la mise au jour de la corruption et de l’instrumentalisation alarmantes et systémiques du gouvernement. Il est un champion de la Constitution et de l’État de droit. Il va éradiquer la corruption systémique.»
Une puissance hors-la-loi?
La crainte engendrée par ce choix est inverse: voir les États-Unis, première puissance mondiale, souvent citée comme modèle pour son pouvoir judiciaire, devenir un pays hors-la-loi, qui piétine les règles internationales, et où le président fait passer la loyauté à son égard devant la loyauté à la constitution. Exemple? La volonté affichée du «président élu» de déclassifier de nombreux documents des services de renseignement, qu’il accuse de l’avoir espionné, d’avoir censuré des informations négatives pour l’administration Biden, et d’être corrompus.
Le FBI dans le collimateur
L’actuel directeur du FBI Christopher Wray, un avocat étiqueté républicain est aujourd’hui dans son collimateur alors qu’il avait été nommé par lui en mai 2017, pour remplacer James Comey, alors accusé d’avoir enquêté sur ses liens avec Poutine. «En 2017, le président voulait un directeur du FBI bénéficiant d’un soutien bipartisan et d’une réputation d’intégrité, qui resterait discret et s’en remettrait au procureur général. Aujourd’hui, il veut la police fédérale à sa botte», a confié à l’Associated Press un des anciens directeurs de l’agence.
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L’inquiétude est accrue par la nomination d’une autre loyaliste sans faille du camp Trump, l’ex-démocrate Tulsi Gabbard au poste de coordinatrice nationale du renseignement. Défenseure zélée d’Israël, farouche dénonciatrice des méfaits de l’islam politique, favorable à la création de camps de rétention pour les migrants, cette ancienne élue de Hawaïi sera l’une des premières averties si des informations problématiques pour le nouveau «commander in chief» refont surface. La probabilité est que, comme pour Matt Gaetz, sa première réaction sera sans doute de les discréditer, et de les enterrer. Au mépris du respect du droit et de la loi.