«Transformer la politique en profits». Ce titre de «Une» ne provient pas du très libéral et anti-Trump «New York Times». Il barre, en grosses lettres, l’édition octobre-novembre du magazine «Fortune», une référence pour tous les riches Américains. Pas question ici d’ironie accusatrice ou de critique. Il s’agissait, pour «Fortune», publié avant l’élection du 5 novembre, de faire le bilan sonnant et trébuchant de la campagne présidentielle du candidat républicain, devenu depuis lors le «président élu». Un bilan qui rapporte très gros: «Aucun Américain n’a autant utilisé la politique pour augmenter sa richesse personnelle que Donald Trump écrit le magazine. Et au vu des millions de personnes prêtes aujourd’hui à acheter quoi que ce soit qui porte sa marque quel qu’en soit le prix, y compris des actions, sa réputation vaut des milliards.»
Trump et l’argent. Trump et les milliardaires. Trump et le roi dollar. A voir le rôle de premier plan occupé par Elon Musk, depuis son élection, cette obsession Trumpiste du «deal» qui rapporte gros ne va sûrement pas changer, une fois de retour à la Maison Blanche après l’investiture du 20 janvier 2025.
«Qu’est-ce que Trump vend? Lui-même. C’est ce qu’il a toujours fait, dans les affaires comme en politique commente Dan Alexander, l’auteur de l’article de «Fortune». Malgré ses hauts et ses bas, sa méthode a toujours été la même: gagner la confiance des gens riches, voire très riches, qui ne le connaissent qu’en surface, puis faire fonctionner le tiroir-caisse. Demandez à tous ses créanciers qu’il n’a jamais remboursés!»
Le plus riche des présidents
Son rapport à la richesse d’abord. Elle est déterminante pour comprendre à quoi ressemblera son second mandat présidentiel. Trump est déjà le président américain le plus riche de l’histoire. Sa fortune familiale, estimée à 4,3 milliards de dollars par «Fortune» – dont un patrimoine immobilier évalué à 1,1 milliard, contre 570 millions lors de son élection en 2016 – n’a rien de commun avec celle de ses prédécesseurs républicains.
Acteur de premier plan, puis patron du puissant syndicat des comédiens à Hollywood et gouverneur de Californie, Ronald Reagan a achevé sa présidence, en 1989, avec 16 millions de dollars. Georges W. Bush, fils d’un président ayant fait fortune dans le pétrole au Texas, disposait lors de son départ de la Maison Blanche, en 2008, d’environ 50 millions. Richard Nixon, ce Républicain qui maudissait les riches et les élites, n’a jamais amassé plus de vingt millions.
Un «Lucky Loser»
Dans leur livre Lucky Loser, sous titré «Comment Donald Trump a dilapidé la fortune de son père et créé l’illusion du succès» les journalistes Susanne Craig and Russ Buettner insistent sur son besoin obsessif de faire fructifier sa marque: «Le Trump de 2024, avant son élection, ne pensait qu’en termes de licences commerciales. Il vendait son nom aux Saoudiens, à tous ceux qui voulaient l’acheter, ont-ils confié à la radio NPR. Son génie est d’avoir acheté les accessoires de la richesse: son golf de Mar-a-Lago, ses hélicoptères et ses yachts, et bien sûr son triplex au sommet de la Trump Tower à New York. Tout cela rend jaloux les autres milliardaires, bien plus riches que lui. Et cette histoire plaît aux Américains». A preuve: l’écho favorable rencontré à travers le pays, comme nous avons pu le constater au fil de notre périple en camping-car, par sa promesse de ne pas percevoir le salaire mensuel de 400'000 dollars annuels durant les quatre prochaines années…
Mais comment expliquer l’attractivité dont jouit ce Lucky Loser, ce perdant chanceux, auprès de milliardaires bien plus riches que lui, dont il adore s’entourer et qu’il a entrepris, ces jours-ci, de nommer à des postes gouvernementaux? Elon Musk, le premier d’entre eux, a investi 130 millions de dollars dans sa campagne et codirigera le futur Département de l’efficacité gouvernementale. Le futur chef du Département de l’Intérieur (chargé de l’exploitation des gisements d’hydrocarbures), Douglas Burgum, Gouverneur sortant du Dakota du nord et magnat du gaz de schiste, avait pris la parole lors de la convention républicaine de Milwaukee. Myriam Adelson, la veuve du magnat des jeux pro-israélien Sheldon Adelson, a donné 100 millions de dollars au candidat. Le milliardaire David Sacks, financier de la Silicon Valley, a organisé chez lui à San Francisco, en juin, une soirée de gala qui a permis de récolter 12 millions de dollars.
Trump est transactionnel
Alors? «La réponse est simple lâche, dans les couloirs de l’Université de Harvard à Boston, un professeur de la prestigieuse Kennedy School of Government. «Ils savent à quel point il est transactionnel. Ils savent qu’avec Trump, celui qui paye est respecté, voire récompensé par un poste-clé». Un changement radical par rapport à sa campagne victorieuse de 2016 selon le magazine «New Yorker»: «En 2016, Donald Trump n’avait guère pris la peine de courtiser les grands donateurs. Il était alors rejeté par une grande partie de l’élite du parti républicain. Il avait largement autofinancé sa campagne pour les primaires. Il critiquait les ploutocrates de la classe financière associés à l’État profond. Il dénonçait les super PAC (Political Action Committee, utilisés pour collecter et distribuer les fonds) comme une escroquerie».
Depuis, Elon Musk est passé par là. Son super PAC a distribué des millions et financé sa fameuse loterie controversée pour convaincre les électeurs de s’inscrire et de voter. Qu’importe le conflit d’intérêts qui le verra continuer de diriger ses firmes dépendantes de contrats publics (Tesla, Space X, Starlink) et amputer simultanément le budget de l’Etat fédéral. «Trump a compris que ses électeurs se fichent pas mal de l’intérêt public. Ils veulent d’abord devenir riches comme lui. Il a changé sur ce point. Il redoutait auparavant que l’argent et la politique ne fassent pas bon ménage. Or les réseaux sociaux qui mettent en avant des influenceurs pleins aux as et les fins de mois difficiles ont tout bouleversé, rigole au téléphone Rick Mohall, que nous avions rencontré à Cranberry Township, en Pennsylvanie. On ne se méfie pas de Trump parce qu’il aime les dollars. On lui fait confiance pour nous en mettre aussi dans les poches et redonner vie, surtout, au rêve américain».
L’argent, clé électorale parce que clé de l’ascension sociale aux Etats-Unis? Rob Henderson est éditorialiste au «Boston Globe». Pour lui, c’est clair, le goût du dollar (ou du Bitcoin, dont le cours s’est envolé avec la victoire de Trump) était le 5 novembre au fond des urnes: «Beaucoup d’électeurs de Trump ont perçu plus de lumières que d’obscurité dans son message, explique-t-il. Pour eux, dont beaucoup n’ont pas fait d’études supérieures, sa capacité à s’enrichir et à attirer l’argent, est une qualité. Ils ne perçoivent pas ses dîners de galas avec des milliardaires comme indécents. Cela représente ce qu’ils attendent d’un gouvernement: mobiliser les plus riches au service du pays, même si dans les faits les milliardaires sont surtout là pour obtenir des baisses d’impôts. Ils voient en Trump une forme de fierté américaine».
Sans vergogne et sans honte
Le roi dollar est de retour à Washington. Sans vergogne. Et sans honte. «Les démocrates ont oublié que la plupart des adultes américains, peu ou pas diplômés, ne partagent pas leur vision culturelle qui associe l’argent à la corruption, où le capitalisme à la destruction de l’environnement poursuit Rob Henderson, du «Boston Globe». Chez les Américains d’origine hispanique et asiatique en particulier, la réussite matérielle est très importante».
Sur le pare-brise arrière d’une voiture vue en Pennsylvanie, la transition a déjà été faite. Au lieu de Make America Great Again (MAGA), le mot d’ordre de la campagne victorieuse de Donald Trump, son propriétaire avait affiché, avant le 5 novembre, un slogan différent d’une seule lettre. MARA: Make Americans Rich Again (Enrichir à nouveau les Américains).