Depuis deux semaines, les sanctions occidentales pleuvent en masse sur la Russie. L’argent des oligarques et autres proches de Poutine présent dans les banques européennes a été gelé (y compris en Suisse), le système Swift est suspendu en grande partie et les entreprises étrangères commencent à fuir la Russie.
De grandes entreprises comme H&M, McDonald’s ou Apple ont mis fin à leurs activités dans le pays. Les articles électroniques se font rares et les Russes commencent à se retrouver devant des rayons vides dans les magasins d’alimentation.
En conséquence, la Russie est isolée financièrement et quasiment absente des marchés financiers mondiaux. La note de crédit du pays par les agences de notation est tombée dans la catégorie «junk». Combien de temps la Russie va-t-elle survivre dans ce contexte? Dispose-t-elle d’atouts cachés qui lui permettront de tenir le coup? Blick fait le point.
Les agences de notation sont très critiques au sujet de la situation économique en Russie. Elles ont abaissé le seuil de solvabilité de l’économie russe dans la catégorie spéculative («junk»). Qu’est-ce que cela signifie?
«Il va devenir très difficile pour la Russie de s’endetter à nouveau, explique l’experte financière Christa Janjic-Marti, de la société de conseil WPuls. Si c’est le cas, cela sera extrêmement coûteux. Mais ce n’est pas vraiment un problème en ce moment pour la Russie, car en situation de guerre, elle n’a pas pour but de contracter de nouvelles dettes et n’en a d’ailleurs pas besoin. Elle dispose de ses réserves.»
La Russie est assise sur ses réserves de devises, d’un montant de 630 milliards de dollars. Une grande partie est gelée en raison des sanctions. La Russie est-elle capable de payer?
Oui, la Russie dispose en théorie encore suffisamment de fonds libres à sa disposition. En pratique, elle ne va certainement pas payer ses dettes internationales en ce moment. On doit donc parler d’une réticence à payer. Sur les marchés financiers, les obligations d’État russes en dollars se négocient désormais avec une décote de 80%. Il ne faut donc pas compter sur la Russie pour payer maintenant, selon Christa Janjic-Marti.
La Russie est-elle menacée de faillite si elle ne remplit pas ses obligations de paiement?
Une faillite de l’État russe est peu probable. En cas de défaut de paiement, la conséquence principale serait que la Russie ne puisse plus emprunter d’argent sur le marché financier international. «La Russie est encore loin de la faillite, affirme Christa Janjic-Marti. Pour l’heure, le pays peut continuer à financer ses dépenses en roubles.»
Un embargo sur le pétrole et le gaz imposé par l’Occident mettrait-il la Russie en difficulté financière?
Ce serait effectivement un problème pour la Russie. Près de 40% des recettes fiscales russes proviennent du secteur énergétique. Si l’Occident étendait les sanctions au pétrole et au gaz, le déficit budgétaire se creuserait rapidement. «Dans ce cas, le financement du déficit deviendrait un vrai défi», explique Christa Janjic-Marti. Les prix du gaz et du pétrole sont si élevés qu’une baisse de 10 ou 20% des exportations de pétrole ou de gaz ne serait pas un problème pour la Russie. Si l’on veut mettre la Russie à genoux sur le plan économique, un embargo complet serait nécessaire.
L’Occident pourrait-il être une victime collatérale en cas de faillite de l’économie russe?
La Russie a des obligations d’Etat ouvertes à hauteur de 49 milliards de dollars, en euros et en dollars. En cas de faillite, les investisseurs devraient amortir leurs obligations russes. Celles-ci ne représentent toutefois qu’une part infime pour les investisseurs. Une faillite russe ne mettrait dans une situation difficile financière ni les banques internationales ni les États. Pour la population suisse, l’impact serait moindre et elle ne s’en apercevrait pratiquement pas.
Dans quelle mesure l’État russe dépend-il de l’argent de l’Occident?
Ces dernières années, la Russie a massivement réduit sa dépendance vis-à-vis de l’étranger. Entre 2014 et 2016, lorsque le prix du pétrole était inférieur à 50 dollars et que l’Occident a imposé des sanctions à la Russie en réaction à l’occupation de la Crimée, le gouvernement russe a considérablement réduit ses dépenses, sauf dans le domaine militaire. Il n’a alors pratiquement plus emprunté d’argent à l’Occident. Ces économies se sont toutefois faites sur le dos de la population, l’inflation en Russie ayant bondi de 40%. «Les salaires des employés de l’État et les pensions n’ont pas été touchés, mais les gens ont perdu massivement de pouvoir d’achat», explique Christa Janjic-Marti.
Que peuvent faire les créanciers si la Russie ne règle pas ses dettes?
Après un premier défaut de paiement, un délai de 30 jours commence à courir. Ensuite, les bailleurs de fonds et actionnaires peuvent s’unir et tenter de négocier avec la Russie. «Dans la situation actuelle et en pleine guerre, cela risque d’être très difficile, car la Russie ne se montrera pas coopérative», anticipe Christa Janjic-Marti.
Comment la Russie peut-elle continuer à se procurer de l’argent frais?
La Russie peut se procurer de l’argent sur le marché intérieur par le biais d’obligations. La dette publique russe est extrêmement faible par rapport à d’autres pays émergents et industrialisés et n’était que de 13,8% l’année dernière. La Russie peut également faire imprimer de l’argent frais via sa banque centrale. Le risque serait que l’inflation augmente drastiquement, ce qui appauvrirait rapidement la population. Les entreprises russes devraient alors se procurer leur argent auprès des banques locales, du moins tant que le système bancaire dispose de suffisamment de liquidités.