Les prix s’envolent, l’incertitude monte. La guerre en Ukraine rappelle avec fracas à quel point l’Europe est dépendante du gaz russe. La Suisse ne fait pas exception: la moitié du gaz importé vient du pays de Vladimir Poutine.
Une réalité qui inquiète Mathilde Maillard, conseillère communale (législatif) libérale-radicale lausannoise. «Si nous nous trouvons dans une situation de dépendance au gaz russe, y compris localement, il est urgent d’en sortir», lance-t-elle à Blick.
L’élue interviendra ce mardi soir en plénum pour demander à la Municipalité de dresser un état des lieux précis, nous annonce-t-elle en primeur. Avant de l'inviter à prendre toutes les mesures pour s’approvisionner ailleurs, si nécessaire.
Des informations contradictoires?
Car celle qui est aussi candidate au Grand Conseil a remarqué plusieurs éléments troublants. Le 22 février dernier, l’Exécutif de la capitale vaudoise indiquait dans un communiqué que le gaz distribué par les Services industriels de Lausanne (SIL) contient 10% de biogaz danois. Tandis que le 90% restant provient de Norvège exclusivement. Vraiment?
Lausanne se fournit auprès de Gaznat, dont elle détient 26,89% du capital. Et voici ce qui est écrit sur le site internet de la société anonyme: «Pour l’essentiel des importations de Gaznat, l’origine du gaz n’est pas certifiée. Sur des bases statistiques mises à disposition par les gestionnaires de réseau allemand et français, on estime que l’origine du gaz naturel consommé en Suisse occidentale provenait en 2020 à 31,5% de Russie, 39,3% de Norvège et 12,8% des Pays-Bas. Le solde étant du gaz algérien ou transporté par méthanier vers l’Europe depuis le Qatar, les États-Unis, etc.»
Comment la deuxième ville de Suisse romande peut-elle donc affirmer que son gaz émane uniquement du Danemark et de Norvège? Une interrogation rendue d’autant plus légitime par quelques lignes publiées sur le site internet de la commune de Lutry, qui se fournit en gaz auprès des SIL, à l’instar d'une quarantaine d'autres communes vaudoises. «Le gaz distribué à Lutry […] provient principalement d’Europe (Allemagne, Pays-Bas, France et Italie) et de Russie.»
Pas de contrat direct avec Gazprom
Mathilde Maillard s’interroge: «Les Lausannoises et Lausannois achètent-ils du gaz russe sans le savoir? La Ville de Lausanne, via Gaznat, vend-elle discrètement du gaz russe?» À y regarder de plus près, l’intérêt de ces questions dépasse les frontières communales.
Sous l’onglet «partenaires» du site de la société, on découvre que les Services industriels de Genève (SIG)… sont l’actionnaire principal de Gaznat, détenant 37,51% de son capital.
Ces derniers se veulent rassurants. «Ni SIG, ni Gaznat, notre principal fournisseur, n’ont de contrat direct avec Gazprom pour acheter du gaz en Russie, répond dans un courriel Véronique Tanerg, porte-parole. En revanche, SIG comme Gaznat ont du gaz russe dans leur approvisionnement, mais de façon indirecte (ndlr: acheté à l’Allemagne par exemple).»
Selon la communicante, ce pourcentage de gaz russe est en baisse depuis plusieurs semaines. «La question est plutôt de savoir si l’Europe peut se passer du gaz russe, rebondit-elle. En effet, les autres sources d’approvisionnement en gaz sont la Norvège et l’Afrique du Nord — qui sont bientôt au maximum de leurs capacités de production — ainsi que les méthaniers qui apportent en Europe du gaz liquéfié, principalement en provenance des États-Unis: il s’agit donc de gaz de schiste.»
Toujours selon elle, ces autres sources ne peuvent pas compenser la totalité du gaz russe. «L’Allemagne est le pays le plus dépendant en Europe et l’Italie a affirmé à regret ne pas pouvoir s’en passer», souligne encore Véronique Tanerg.
«Nous certifions tout notre gaz avec des garanties d'origine»
Retour à Lausanne. Xavier Company, municipal vert à la tête des Services industriels, est catégorique. «Nous certifions bel et bien tout notre gaz avec des garanties d'origine de Norvège et du Danemark, appuie l’édile écologiste. Ce procédé n’est pas obligatoire et très peu de gaziers s'y plient, car cela a un coût. Mais nous, nous le faisons.»
Concrètement, cela signifie que Lausanne reçoit la preuve que les quantités de gaz qu’elle achète sont véritablement envoyées dans les gazoducs: «Il est toutefois impossible de savoir quelles molécules sont finalement consommées ici, puisque le réseau ne relie pas uniquement notre ville à nos fournisseurs. Ce qui arrive dans nos tuyaux dépend aussi des achats des autres acteurs européens.»
Maintenant, concernant le gaz desservi par les SIL à d’autres collectivités du canton, Xavier Company indique que 38 sont desservies au détail, quatre en gros et une en partenariat. Celle de Lutry, justement. «Comme la grande majorité des autres, elle dispose du même mix que nous, et donc de gaz norvégien et danois, reprend le municipal. Je pense que les informations reproduites sur son site internet se basent sur les statistiques nationales et non pas sur sa situation réelle.»
Contacté, Charles Monod, municipal libéral-radical des Services industriels de la petite cité du bord du Léman, confirme les propos de Xavier Company. «Nous allons corriger cette faute de plume dans les plus brefs délais, nous bénéficions effectivement du même gaz que Lausanne», glisse-t-il à Blick.
Comment se passer du gaz russe?
Malgré les efforts consentis, le fait d’acheter exclusivement du gaz norvégien et danois ne garantit pas l’absence de gaz russe dans la capitale vaudoise. Alors, comment faire pour s’en passer?
Les Services industriels de Genève esquissent plusieurs pistes. «Nous préconisons tout d’abord de réaliser des économies d’énergie, de baisser la température de son chauffage et de s’orienter vers des sources d’énergie renouvelables et locales», liste Véronique Tanerg.
Elle cite un exemple concret. «Grâce au programme Chaleur renouvelable de SIG, de plus en plus de propriétaires abandonnent leur chaudière alimentée en énergie fossile au profit de pompes à chaleur, se réjouit la porte-parole. Quelque 200 propriétaires ont fait le pas en 2021.»
À noter aussi qu’en février dernier, près de 80% des Genevoises et des Genevois ont voté en faveur de la création de réseaux de chauffage à distance principalement alimentés par du renouvelable (l’eau du Léman, récupération de chaleur et géothermie). «SIG s’engage à construire ces réseaux thermiques renouvelables», réaffirme Véronique Tanerg.