Rideau de fer ou putsch`
Cinq scénarios de guerre possibles entre l'Ukraine et la Russie

Depuis plusieurs jours, la Russie tente de s'emparer de l'Ukraine. Mais Poutine n'avance que lentement. L'Ukraine résiste - et comment. Il est difficile de dire dans quelle direction la guerre évolue. Blick présente cinq scénarios réalistes.
Publié: 06.03.2022 à 06:04 heures
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Un soldat ukrainien regarde les flammes après avoir tiré un cocktail Molotov lors d'un cours d'autodéfense à Lviv.
Photo: AFP
Fabian Vogt

Le 24 février, l’armée russe lançait une opération d’invasion de grande envergure pour envahir l’Ukraine. Dix jours après le début des hostilités, plusieurs constats peuvent déjà être établis:

  • Contrôler militairement l’Ukraine se révèle beaucoup plus difficile que ce à quoi les Russes ne s’attendaient.
  • L’Ukraine est plus faible que la Russie sur le plan stratégique mais la surpasse sur le plan tactique.
  • L’OTAN n’interviendra pas activement afin de ne pas provoquer de guerre nucléaire.
  • La Russie a très peu d’alliés; même la Chine n’approuve pas la guerre.

Que signifient ces constats provisoires pour la poursuite du conflit? Blick a confronté Marcel Berni, expert en stratégie de l’Académie militaire de l’EPFZ, aux scénarios considérés actuellement comme les plus probables.

Scénario 1: le plan d'invasion de Vladimir Poutine réussit

Le soutien occidental à l’Ukraine étant trop faible, la résistance ukrainienne ne suffit pas et la capitale, Kiev, tombe aux mains des Russes. Les troupes de Poutine se déplacent à l’est vers Kharkiv, ce qui permet de faire la jonction des fronts nord et nord-est. Au sud, l’armée russe continue à progresser. Les forces russes prennent le contrôle de la moitié du pays à l’est du Dniepr.

Volodymyr Zelensky doit fuir ou est tué. Moscou installe un gouvernement fantoche. L’occupation du pays commence réellement et Poutine parvient à convaincre la population en Russie et en Ukraine de ses prétentions au pouvoir. Depuis une base consolidée sur la partie orientale du Dniepr, l’assaut peut ensuite être lancé sur le reste du pays.

Conséquence: «Ce serait un nouveau rideau de fer, explique Marcel Berni à Blick. Celui-ci se formerait le long des frontières des pays baltes ainsi que de la Pologne, de la Slovaquie, de la Hongrie et de la Roumanie. Les puissances de l’OTAN s’allieraient certes contre Moscou, mais montreraient des réticences à agir contre l’agression russe. Une deuxième guerre froide s’installerait, avec une grande insécurité politique et un réarmement des deux côtés.»

L’évaluation de Marcel Berni: ce scénario est probable

Scénario 2: l’escalade

Au nord, le convoi russe géant situé à quelques kilomètres de Kiev est bloqué. Les soldats sont repoussés hors des grandes villes. Le soutien reçu par Vladimir Poutine des troupes tchétchènes ne suffit pas. Volodymyr Zelensky motive la population ukrainienne et arrive à échapper au président russe.

Vladimir Poutine ne voit plus d’autre solution que de monter en puissance en intimidant frontalement la population civile. Des bombes sont larguées sur les zones résidentielles, puis les forces russes, supérieures en nombre, débordent un adversaire décimé et revendiquent le contrôle de l’Ukraine. En conséquence, l’Occident bloque définitivement toute livraison de gaz et de pétrole russe.

Dans le pire des cas, Vladimir Poutine décide de larguer une bombe nucléaire tactique sur Kiev ou Lviv.

Conséquence: «Les pertes au sein de la population civile seraient gigantesques, comparables à celles des bombardements stratégiques de la Seconde guerre mondiale, indique Marcel Berni. Poutine aurait gagné, mais à quel prix? Il s’agirait d’une «victoire à la Pyrrhus». Le pays est en ruine et la population a fui ou s’est complètement retournée contre lui. Le président russe ne pourrait pas cacher les images de ces crimes de guerre massifs à sa population. Il n’arriverait pas à tenir l’Ukraine bien longtemps et l’OTAN se déciderait à intervenir contre lui.»

L’évaluation de Marcel Berni: ce scénario est peu probable

Scénario 3: une guerre de position commence

Les deux parties n’arrivent pas à progresser sur le champ de bataille. Vladimir Poutine s’abstient toutefois de sortir l’artillerie lourde, car il veut prendre le contrôle d’une Ukraine gouvernable. L’Occident continue à approvisionner l’Ukraine en armes et ressources et Poutine ne peut pas les en empêcher. Des millions de citoyens ukrainiens fuient. Des batailles ont lieu, parfois très dures, pour les grandes villes du pays.

Conséquence: «Une guerre d’usure et prolongée s’ensuit, avec de lourdes pertes des deux côtés. Des combats permanents entre les occupants pro-russes et les Ukrainiens ont lieu, de manière similaire à la situation qui a prévalu en Afghanistan durant vingt ans.»

L’évaluation de Marcel Berni: ce scénario est très probable

Scénario 4: Un coup d’État contre Poutine

Les sanctions économiques occidentales s’étendent et touchent durement la Russie. L’opposition interne à Vladimir Poutine prend de l’ampleur. L’Occident promet d’alléger les sanctions si un gouvernement plus modéré s’installe au Kremlin. Un putsch a lieu. Il peut être politique et relativement pacifique, ou militaire et violent. Vladimir Poutine est chassé du pouvoir et le nouveau gouvernement prend des dispositions favorables pour l’Ukraine.

Conséquence: «Un nouveau gouvernement russe pourrait rapidement assurer la paix et consolider son nouveau pouvoir. Les troupes russes se retireraient de l’Ukraine, qui prendrait des dispositions pour rejoindre l’UE voire l’OTAN. La Russie se concentrerait sur la résolution de ses problèmes de politique intérieure pour de nombreuses années.»

L’évaluation de Marcel Berni: ce scénario est peu probable

Scénario 5: un traité de paix

La guerre se poursuit, mais aucune des parties n’arrive à remporter une victoire nette et rapide. Les pertes deviennent importantes et, au lieu de continuer des combats qui pourraient s’éterniser (scénario 3), les Ukrainiens et les Russes s’accordent sur une solution diplomatique.

La Russie retire ses soldats, en échange de quoi la région séparatiste du Donbass obtient son autonomie. La Crimée devient définitivement russe. Poutine aurait ainsi réalisé ce qu’il avait promis avant la guerre. D’autres concessions sont faites par le Kremlin pour apaiser les tensions.

Conséquence: «La carte de l’Europe aurait changé. Mais la situation géopolitique resterait tendue, car le monde entier sait désormais à quel point Poutine est imprévisible et dangereux. Les choses ne seraient plus jamais comme avant.»

L’évaluation de Marcel Berni: ce scénario est peu probable

En l’état actuel des choses, l’ordre mondial post-guerre ukrainienne a le plus de chances de résulter de l’un de ces scénarios: une guerre est un processus dynamique avec un nombre infini de facteurs inconnus. Même Vladimir Poutine ne peut pas dire comment elle se terminera.

(Adaptation par Alexandre Cudré)

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