Il était le grand absent de la conférence de presse sur les sanctions contre la Russie, lundi. Quatre conseillers fédéraux ont annoncé que la Suisse reprenait les mesures décidées par l'Union européenne, mais Guy Parmelin n'était pas là. «J'étais en train de travailler», a indiqué le ministre de l'Économie. Avant de préciser: «Les mesures concernaient en premier chef les Finances, donc c'est Ueli Maurer qui s'y est collé.»
Le Vaudois était le grand invité de l'émission d'entretiens de Christian Dorer, rédacteur en chef du groupe Blick, ce jeudi sur Blick TV. Mesures contre la Russie, réactions au sein de son parti, définition de la neutralité: Guy Parmelin n'a éludé aucun sujet durant une demi-heure d'interview.
Guy Parmelin, comment vivez-vous ce conflit?
C'est une catastrophe, un scénario d'horreur. Je suis très touché, choqué même, comme la plupart de nos concitoyennes et concitoyens. Il faut espérer que les armes soient déposées le plus vite possible et que l'on trouve une solution pacifique.
Le Conseil fédéral a finalement décidé de reprendre les sanctions de l'Union européenne...
Ce sont les plus fortes sanctions que nous n'ayons jamais imposées. Mais attention: il n'y a pas de reprise automatique, nous les analysons au cas par cas. Selon notre cadre législatif, il n'y a de reprise automatique qu'avec l'OSCE ou l'ONU.
Ces sanctions visent 600 personnes autour de Vladimir Poutine. Cela veut dire qu'elles avaient un compte en Suisse?
Si elles ont un compte, ce sont les banques ou les assurances qui doivent le faire savoir au SECO, et le patrimoine est bloqué.
Mais souvent, les comptes sont ouverts sous d'autres noms...
Il ne s'agit pas que de comptes, il s'agit de patrimoines globaux. Lorsque vous n'avez plus accès à vos biens et que vous ne pouvez plus commercer, c'est compliqué. Ces 600 personnes ont vu leurs avoirs bloqués.
Savez-vous déjà combien d'argent est concerné?
Il est trop tôt pour le déterminer. Vous savez, c'est un processus dynamique, et les délais sont très courts: ces mesures ont été décidées le 25 février dans l'UE, et nous sommes le 3 mars. Il est trop tôt pour tout savoir en détail.
L'Allemagne ou la France sont allées plus loin, avec notamment des saisies. Est-ce que l'on peut imaginer la même chose à Saint-Moritz (GR) ou Verbier (VS), par exemple?
Il est capital de comprendre une chose: nous avons un cadre légal en Suisse, qui ne nous impose une reprise automatique que lorsque les décisions viennent de l'ONU ou de l'OSCE. En ce qui concerne nos partenaires principaux, comme l'Union européenne en l'occurrence, nous décidons au cas par cas. Nous devons analyser chaque objet pour le transférer — ou non — dans notre droit. En termes concrets, cela veut dire énormément d'ordonnances à rédiger. C'est un travail 24 heures sur 24 ces derniers jours.
Tout cela a l'air très bureaucratique. N'y a-t-il pas un moyen pour aller plus vite?
Il y a un certain effet d'annonce à dire: «Nous reprenons les sanctions européennes». Mais dans la réalité, c'est beaucoup plus compliqué. Il ne faut pas oublier que les gens qui sont sur cette liste peuvent se tourner vers des tribunaux! Et nous allons déjà très vite, puisque, je le répète, nous avons beaucoup avancé en une semaine. Nous préparons déjà le prochain paquet.
Que comporte-t-il, ce paquet?
Le premier paquet, je l'ai dit, a été décidé par l'Union européenne le 25 février. Dans l'intervalle, d'autres paquets sont arrivés. Le Conseil fédéral doit analyser et modifier toutes les ordonnances. C'est notre job, nous le faisons aussi vite que possible.
L'entourage de Vladimir Poutine est particulièrement touché...
Oui, ils ne peuvent plus voyager. Ce n'est pas le cas de Vladimir Poutine et de son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui peuvent encore voyager sous conditions, par exemple pour des négociations. Mais leurs fonds sont bloqués.
Mais le gaz et le pétrole ne sont pas concernés. On a l'impression que ce sont un peu les caisses de guerre de Vladimir Poutine...
Oui, et les matières premières également. Il faut comprendre que nous analysons, et l'Union européenne aussi, en permanence les éventuels effets secondaires des mesures. L'UE le fait pas seulement pour l'Europe, mais pour tous les pays. Prenez l'exemple de la Jordanie, de l'Égypte ou de la Tunisie: ces trois pays sont dépendants à 80% ou 90% d'importations de la Russie. En coupant totalement le robinet, on risque d'aller jusqu'à créer des famines dans ces pays. Est-ce judicieux? Il faut tout prendre en compte.
À vous entendre, on a tout de même l'impression d'être dépendants de la Russie...
Aucun continent n'est indépendant, surtout en ce qui concerne les matières premières. Par exemple, la Suisse importe 55% de ce qu'on mange. Mais nous avons un système pour amortir d'éventuels chocs. Si l'on songe à l'Allemagne, elle est complètement dépendante en ce qui concerne le charbon ou le pétrole. C'est pour ces raisons que chaque pays réfléchit bien avant de décider de sanctions.
Pensez-vous qu'il y ait eu trop d'hystérie autour de ces sanctions?
Ce qu'il faut, c'est de la coordination. Garder la tête froide, c'est primordial. Il ne faut pas que chaque pays prenne des sanctions sans trop réfléchir à l'ensemble. Pour ce qui est de la Suisse, nous devons aussi réfléchir à prendre soin de notre neutralité: tout doit être conforme. Et réfléchir aux éventuelles implications en termes de sécurité.
Avez-vous été surpris par la réaction de la population? Il y a eu d'un jour à l'autre des milliers de personnes dans la rue...
Non. Cette guerre est une situation extraordinaire, mais nous devons analyser les situations hors de toute émotion. Nous devons être très précautionneux, en particulier lorsque cela implique de faire évoluer notre cadre légal.
Mais tout de même... Vous avez attendu quatre jours entiers pour agir! L'Union européenne est composée de 27 pays, mais elle a agi beaucoup plus vite.
Ils avaient travaillé depuis des semaines en la matière, et ils n'étaient pas d'accord. Il fallait encore que nous ayons les textes pour pouvoir décider si nous les reprenions! Nous avons agi au plus vite.
Certains médias internationaux n'ont pas été tendres avec la Suisse et le Conseil fédéral. «Die Zeit», en Allemagne, a estimé que la non-action suisse était «scandaleuse et stupide». D'autres ont écrit que la Suisse restait le chouchou de Vladimir Poutine...
Je ne sais pas s'il y a eu des dégâts d'image. Mais en tout cas ce n'est pas vrai d'écrire que nous avons perdu la neutralité en reprenant les sanctions. Je le répète: nous choisissons au cas par cas.
Il n'y a donc pas de changement de paradigme?
Non. La neutralité est ancrée dans la Constitution. Il y a le droit de neutralité, la politique de neutralité. Tout est clair. Certains journalistes n'ont pas compris ce qu'était la neutralité helvétique. Peut-être devons-nous mieux l'expliquer. Elle a fait ses preuves, en particulier en ce qui concerne les bons offices.
Certains des membres de votre parti ne l'ont pas comprise non plus!
Il y a eu une violation crasse du droit international. Le Conseil fédéral a procédé à une évaluation et a estimé qu'il était important de prendre des sanctions. Au cas par cas. En 2014, lors de l'annexion de la Crimée, nous avions simplement fait en sorte d'éviter que les sanctions européennes ne puissent être contournées via la Suisse. Mais cela ne suffisait pas ici.
Vous évoquez les bons offices. Est-ce que le Conseil fédéral a tenté d'agir activement, notamment avec un sommet à Genève?
Non. Pour l'instant, nous n'avons pas fait de démarche active en ce sens. Mais nous nous tenons à disposition, le futur dira si nous jouerons un rôle ou non. Pour cela, il faut que les parties manifestent un intérêt à négocier.
Il y a un peu plus de six mois, vous vous teniez entre Vladimir Poutine et Joe Biden. Quelle impression avez-vous eue du président russe?
Rappelez-vous du contexte d'alors: ce sommet voulait réduire la tension entre la Russie et les États-Unis. À la fin de cette rencontre, les ambassadeurs des deux pays ont retrouvé un poste sur le terrain. J'ai trouvé que c'était un bon résultat, jamais je n'aurais pensé que la situation serait telle, neuf mois plus tard. Quant à Vladimir Poutine, je l'ai côtoyé une demi-heure. Il est difficile de cerner quelqu'un dans ce laps de temps.
Comment voyez-vous la suite de cette crise?
Il est très dur de prédire l'avenir et je ne veux surtout pas faire de pronostic. J'espère, comme tout le monde, que les armes vont être déposées au plus vite et que les négociations vont commencer. Mais, en tant que politicien, on doit se préparer à tous les scénarios, les bons comme les mauvais.
(Adaptation par Adrien Schnarrenberger)