Mille milliards de dollars. Ce chiffre figure dans tous les documents présentés à la presse lors de la seconde conférence sur la reconstruction de l’Ukraine à Londres, à laquelle participe depuis mercredi 21 juin le conseiller fédéral Ignazio Cassis. Un chiffre choc, qui est sans doute en deçà de la réalité. «Tout dépend de ce que vous choisissez de chiffrer», nous a expliqué l’un des vice-gouverneurs militaires de Kharkiv, la seconde ville du pays partiellement occupée par l’armée russe au début de la guerre.
Alexandre Skakoun a la charge de réparer au plus vite les infrastructures détruites par des frappes. Électricité, eau, gaz, routes… Mais remettre en état de fonctionnement ne veut rien dire: «Cette guerre ne doit pas se terminer par des réparations à la va-vite, poursuit-il. Pour que le pays redémarre sur le plan économique, un plan complet de réhabilitation est indispensable.»
La mission de la Banque mondiale
Chiffrer la reconstruction en Ukraine est officiellement la mission d’une unité dédiée de la Banque mondiale. Son dernier rapport remonte au 23 mars 2023. Que dit-il? «La Banque mondiale, la Commission européenne et les Nations unies estiment que le coût de la reconstruction et du redressement de l’Ukraine s’élève à 411 milliards de dollars américains (l’équivalent de 383 milliards d’euros).»
«L’estimation couvre la période d’un an entre l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 et le premier anniversaire de la guerre le 24 février 2023. Le coût de la reconstruction et du redressement devrait s’étendre sur 10 ans et combine les besoins en fonds publics et privés», poursuit le document.
La guerre continue
Vous avez bien lu. Quatre mois supplémentaires de guerre se sont depuis écoulés. Et la contre-offensive ukrainienne, comme toute opération militaire d’envergure, a accru l’étendue des dommages. D’où une augmentation des factures: «L’Ukraine aura besoin de 14 milliards de dollars pour des investissements critiques et prioritaires dans la reconstruction et le redressement en 2023», estime ce document.
«Il faudra en outre 11 milliards de dollars de financement en plus de ce que le gouvernement a déjà prévu dans son budget 2023, dont 6 milliards de dollars de besoins budgétaires non financés et 5 milliards de dollars supplémentaires de financement pour soutenir les entreprises d’État et catalyser le secteur privé.» À noter: l’absence de chiffrages des dégâts survenus dans les régions actuellement contrôlées par la Russie, que le gouvernement ukrainien entend reconquérir par la force.
Une assurance en cas d’attaque
L’objectif de la conférence de Londres, après celle de Lugano les 4 et 5 juillet 2022, est de convaincre le secteur privé de s’associer aux efforts des États et des organisations internationales. En clair: convaincre les entreprises d’investir. Pour y parvenir, la Commission européenne envisage de leur proposer une assurance «contre les perturbations en temps de guerre», mise au point par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).
Cette assurance permettrait aux firmes d’obtenir des dédommagements si leurs installations sont prises pour cible. Elle prendra aussi en charge le transport maritime international des marchandises, compte tenu des risques inhérents à la navigation sur le Bosphore. Deux compagnies spécialisées, Aon et Lloyd’s, ont signalé leur intérêt pour participer à cette opération lors de la réunion londonienne.
Impossible de faire une évaluation rigoureuse
La question du montant des dégâts causés par la guerre est d’autant plus compliquée qu’aucune évaluation complète ne pourra être faite avant le retour de la paix. Des coûts comme celui du déminage, de la dépollution des terrains bombardés, et des dommages causés par l’inondation dans la région de Kherson ne peuvent pas aujourd’hui trouver leur place sur les fichiers Excel des délégations.
Plus intéressante, en revanche, est la classification des priorités par la Banque mondiale, car celle-ci donne une idée des besoins du pays. «Sur les 411 milliards de dollars, soit 2,6 fois le PIB du pays estimé pour 2022, les besoins les plus importants concernent les transports (22%), le logement (17%), l’énergie (11%), la protection sociale et les moyens de subsistance (10%), la gestion des risques d’explosion (9%) et l’agriculture (7%)», note le rapport de mars 2023.
C’est dans le secteur de l’énergie que l’augmentation proportionnelle des dommages a été la plus importante, avec des dommages plus de cinq fois supérieurs à ceux de juin 2022. «Les zones géographiques où les besoins ont le plus augmenté sont les régions en première ligne de la guerre: Donetsk, Kharkiv, Lougansk et Kherson.» Or pour chaque catégorie, le coût de la reconstruction est à la fois tributaire des prix du marché et des ressources propres du pays. Lesquelles sont décimées par le conflit: en Ukraine, la pauvreté est en effet passée en un an de 5,5% à 24,1%, et le PIB national a diminué de 29,2%.