L’OTAN n’a jamais été aussi forte depuis sa création, en 1949. Cette évidence est la grande défaite géopolitique de Vladimir Poutine, qui n’a fait que renforcer l’Alliance atlantique en attaquant l’Ukraine, le 24 février 2022. Mais attention: l’année de guerre écoulée en Ukraine et l’actuelle contre-offensive de Kiev ont aussi révélé de sérieuses faiblesses structurelles de la plus puissante coalition militaire au monde.
Alors que les armées de l’air de ses 31 pays membres mènent, depuis le début de la semaine, l’un des exercices les plus importants de son histoire, baptisé «Air Defender 23», des voix s’élèvent pour s’inquiéter de possibles difficultés au sommet qui se tiendra à Vilnius (Lituanie) les 11 et 12 juillet, avec à l’agenda la désignation d’un nouveau patron de l’Alliance. C’est pour préparer cette rencontre, au niveau des chefs d’État ou de gouvernement, que les ministres de la Défense se retrouvent ce jeudi 15 juin à Bruxelles, au QG de l'OTAN. Voyage dans les dessous cachés de l’organisation considérée par le Kremlin comme l’ennemi numéro 1 de la Russie.
L’OTAN équipe l’Ukraine, mais redoute toujours l’engrenage
Une phrase de Jens Stoltenberg résume l’inquiétude ambiante au QG de l’Alliance atlantique à Bruxelles, un mastodonte de verre et d’acier de 250'000 mètres carrés inauguré en 2017, après avoir coûté plus d’un milliard d’euros. Cette phrase dit l’envie pressante de l’OTAN d’en finir avec un face-à-face militaire toujours susceptible d’escalade. «Une contre-offensive réussie de l’Ukraine pourrait inciter le président russe, Vladimir Poutine, à s’asseoir à la table des négociations», a déclaré le secrétaire général norvégien à CNN ce mardi 13 juin. Et de poursuivre: «Plus (ndlr: les Ukrainiens) gagneront de terrain, plus il est probable que le président Poutine comprenne qu’il doit s’asseoir à la table des négociations et donner son accord à une paix juste et durable.»
Retrouvez Jens Stoltenberg à Washington:
On peut bien sûr voir dans cette annonce un nouvel avertissement de l’Alliance, dont les 31 pays membres sont aujourd’hui solidaires de Kiev, et prêts à riposter si une attaque russe survenait dans un pays frontalier de l'Ukraine, comme la Pologne, la Hongrie ou la Roumanie.
Mais attention: une autre interprétation circule à la veille de la réunion, jeudi 15 juin, des ministres de la Défense de l’OTAN. Le fait que les deux pays toujours opposés à l’adhésion de la Suède, à savoir la Hongrie et la Turquie, ne semblent pas vouloir lever leur veto, tend les relations entre alliés.
Autre inquiétude: l’appréhension d’une nouvelle pénurie de munitions et d’armement du côté ukrainien, si l’offensive s’enlise. «L’OTAN n’est pas une assurance tous risques pour l’Ukraine», admet un ancien officier supérieur du SHAPE, le QG opérationnel de l’Alliance basé près de Mons (Belgique). Le ministre allemand de la Défense a d’ailleurs prévenu qu’il ne pourrait remplacer tous les chars fournis par son pays à Kiev et mis hors d’usage lors des combats. Quid, aussi, du scénario en cas d’avancée ukrainienne?
La première faiblesse de l’OTAN est son absence de plan à moyen terme. Et pour cause: Zelensky reste incontrôlable, même s’il admet l’impossibilité pour son pays d’intégrer l’Alliance en temps de guerre. Et Poutine demeure indéchiffrable.
L’OTAN s’est élargie, mais jusqu’où peut/veut-elle aller?
Rien de neuf dans cette question. Et c’est bien là le problème! L’expansion de l’Alliance vers l’est, et la promesse faite par les alliés en 2008 à la Roumanie d’intégrer un jour l’Ukraine et la Géorgie constituent, rappelons-le, les motifs invoqués par Vladimir Poutine pour justifier l’attaque russe, au nom de la sécurité nationale.
Un an et demi après l’assaut sur l'Ukraine, où en sommes-nous? Sur les deux ex-pays neutres qui ont sollicité l’adhésion et l’ont obtenu en juin 2022 au sommet de Madrid, un seul est aujourd’hui membre à part entière: la Finlande. Pour la Suède en revanche, le suspense demeure, car le président turc réélu, Recep Tayyip Erdogan, continue d’invoquer le soutien suédois aux dissidents «terroristes» kurdes pour justifier son veto. Et ce, même si Stockholm a annoncé lundi 12 juin l’extradition vers la Turquie d’un partisan du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), condamné dans son pays pour trafic de drogue…
Retrouvez l’entretien de Henry Kissinger à «The Economist»:
Et après? Clin d’œil du calendrier, l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger, qui fêtait ses 100 ans le 27 mai, vient à nouveau de réclamer l’entrée de l’Ukraine dans l’Alliance, pour sa défense mais aussi pour la contrôler, vu que son armée sera demain la plus puissante d’Europe. Une bataille diplomatique a en fait lieu, entre ceux qui souhaitent consolider politiquement le soutien à Kiev (à savoir la Pologne, la Bulgarie, la République tchèque et les pays Baltes) et ceux, comme la Hongrie et la Turquie, qui mettent en garde contre des promesses «irréalistes».
«Nous espérons qu’à Vilnius, nous porterons nos relations politiques avec l’Ukraine à un niveau supérieur et que nous ouvrirons une nouvelle voie politique qui conduira à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, une fois que les conditions le permettront», viennent de réitérer les plus chauds soutiens de Kiev. Alors, qu’en déduire? Et que penser de la décision de l’Alliance d’ouvrir un bureau de liaison à Tokyo, à l’autre bout du monde? Loin, très loin, du théâtre d’opérations de l’Atlantique nord...
La seconde faiblesse de l’OTAN est son agenda géopolitique. La menace russe a fait disparaître des problèmes qui ne demandent qu’à resurgir…
L’OTAN est une alliance que les Européens doivent réinventer
Joe Biden est un président étasunien presque parfait, pour tous les pays du Vieux Continent qui considèrent Washington comme leur garantie ultime de sécurité. Le locataire de la Maison-Blanche, attaché à l’Europe, est bien plus prévisible que son prédécesseur et probable nouvel adversaire, Donald Trump. Mais un homme ne peut pas tout résoudre. Les décideurs de Washington sont obsédés par la rivalité avec la Chine, qui risque de dégénérer autour de Taïwan. Le président français, Emmanuel Macron, a donc raison en posant à chaque fois qu’il le peut la question de l’autonomie stratégique des Européens ou, comme il l’a dit récemment à Bratislava, d’un pilier européen de l’OTAN.
Retrouvez le discours d’Emmanuel Macron en Slovaquie:
Sauf que tout reste à imaginer. Comment réinventer l’industrie de défense européenne, redevenue une priorité avec la guerre en Ukraine? Comment faire pour que l’OTAN ne soit pas synonyme de domination du lobby militaro-industriel américain sur le Vieux Continent? Comment interpréter l’avertissement de l’OTAN, ces jours-ci, sur la «nécessaire accélération du processus de normalisation afin de faciliter les approvisionnements, ce qui permettra d’éviter les retards et les pénuries à l’avenir»?
Ces propos ont été tenus devant un parterre d’industriels: BAE Systems, le fabricant turc de drones Baykar, General Dynamics, la holding KNDS représentant le producteur de Leopard 2 KMW et le français Nexter, Kongsberg, Leonardo, Lockheed, MBDA, Mesko, Nammo et Northrop Grumman… Et ce, à quelques jours du salon aéronautique du Bourget en France. Qui va faire quoi? Que va-t-on produire ensemble, entre Européens?
La troisième faiblesse de l’OTAN est l’absence, après 75 ans d’existence de l’Alliance, d’une industrie européenne de défense capable d’armer le continent contre les menaces, sans dépendre des États-Unis.
L’OTAN est une alliance qui sera bientôt sans tête
Il est facile de remédier à cette faiblesse-là. Il suffit de nommer un(e) successeur(e) à Jens Stoltenberg lors du sommet de Vilnius. Mais comme toujours, le faire est beaucoup moins simple que le dire. Qui pour succéder au Norvégien? Cela, au moment où l’alliance doit plus que jamais être prête à combattre, comme elle le montre ces jours-ci avec son plus important exercice de manœuvres aériennes, coordonné par l’Allemagne: «Air Defender 23» prévu jusqu’au 23 juin et réunissant 250 aéronefs militaires de 25 pays membres et partenaires de l’OTAN, dont le Japon et la Suède.
Von der Leyen dit «non» à l’OTAN:
L’actuelle présidente allemande de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déjà décliné le poste. On parle maintenant, coté femmes, de Zuzana Čaputová (Slovaquie), Federica Mogherini (Italie), Sanna Marin (Finlande), Jeanine Hennis-Plasschaert (Pays-Bas), Sophie Wilmès (Belgique) ou Florence Parly (France). Et, coté hommes, du ministre de la Défense britannique, Ben Wallace.
Tout va dépendre en fait des revendications géographiques. Le nord de l’Europe a, depuis vingt ans, fourni tous les secrétaires généraux. L’Italie pourrait donc être bien placée pour l’emporter, d’autant que la question migratoire est aussi une menace stratégique pour le continent. Problème: qui dit nomination dit négociation et donnant-donnant. Le ou la futur(e) patron(ne) de l’OTAN devra aussi porter le projet d’une nouvelle alliance. Ce qui sera tout sauf évident, la veille d’une élection présidentielle américaine cruciale et face à des chefs de guerre comme Zelensky ou Poutine.
Quatrième faiblesse de l’OTAN: ses ressources humaines, pour assumer sa direction, en temps de quasi-guerre.