Peut-on croire dans les chances de la paix alors que les forces ukrainiennes sont en pleine contre-offensive, et rencontrent une très forte opposition de l’armée russe, retranchée et fortifiée? C’est ce que veulent croire les dirigeants africains venus à Kiev vendredi 16 juin rencontrer Volodymyr Zelensky, avant de se rendre à Saint-Pétersbourg ce week-end pour y retrouver Vladimir Poutine. Vu de l’est de l’Ukraine, où nous sommes arrivés au moment où la délégation africaine débarquait à Kiev, envisager maintenant une négociation semble toutefois impossible. Voici pourquoi.
Impossible de négocier en pleine contre-offensive
Dans les parages de Bakhmout, de Kramatorsk ou de Zaporijjia, là où se déroule en ce moment la contre-offensive ukrainienne, la plupart des habitants rencontrés réclament pourtant cette paix que la délégation de dirigeants africains est venue défendre à Kiev, puis à Saint-Pétersbourg. «La paix maintenant. Voilà ce que nous voulons. Partez. Ne restez pas ici. Les journalistes n’apportent derrière eux que la guerre et les destructions» s’énerve, en nous faisant le geste de déguerpir, le vieux Constantin, un ancien chauffeur de bus de Toretsk, dans le Donbass.
Dans cette ville minière, symbole de l’ex-puissance industrielle de cette région en partie contrôlée par l’armée russe, l’épuisement des populations civiles est évident. L’hôpital municipal y est aujourd’hui en ruine, touché par des obus au début du mois de juin. Même colère du côté de la directrice de l’école, un édifice presque flambant neuf, dont une aile a été endommagée. Plus aucun élève, de toute façon, ne la fréquente depuis le début de la guerre. Tous sont partis ailleurs en Ukraine ou dans d’autres pays européens, dans le sillage de leurs mères sur les routes de l’exil.
Impossible en revanche de parler de paix avec les militaires ukrainiens rencontrés dans cette zone de combat, où les tirs d’artillerie constituent le fond sonore. La plupart ont consigne de ne rien dire. Ceux qui acceptent de parler sont des sous-officiers, à la tête de petites unités. Eux aussi aimeraient la paix.
Mais, en pleine contre-offensive ukrainienne, et alors que leur armée bute sur les défenses russes, le mot est banni. Le seul terme qui revient en boucle dans les conversations est celui de «victoire». Pas question de laisser entendre que leur détermination est amoindrie. À quelques jours du sommet de l’OTAN, les 11 et 12 juin à Vilnius (Lituanie), l’heure est au fracas des armes. Avec une réussite pour l’heure limitée pour Kiev: seuls quelques kilomètres carrés ont jusque-là été repris aux Russes qui occupent toujours environ entre 17 et 20% du territoire du pays. « Permettre une négociation avec la Russie maintenant, quand l’occupant est sur notre terre, signifie geler la guerre, geler la douleur et la souffrance », a tranché Volodymyr Zelensky lors d’une conférence de presse avec les dirigeants africains.
Impossible de négocier avant le sommet de l’OTAN
Le président américain Joe Biden, patron incontesté de l’Alliance atlantique, recevait le 13 juin à La Maison-Blanche son secrétaire général sortant, le Norvégien Jens Stoltenberg. Leur échange, juste avant la réunion des ministres de la Défense de l’OTAN le 15 juin à Bruxelles, s’est achevé sur une annonce révélatrice: le soutien de Joe Biden au maintien de Stoltenberg, dont le second mandat touche à sa fin.
L’intéressé avait pourtant refusé, par avance, de demeurer à son poste. Il pourrait maintenant accepter une année supplémentaire. Or Stoltenberg est un soutien inconditionnel de l’Ukraine. C’est d’ailleurs lui qui, à Bruxelles, a confirmé le menu du sommet de Vilnius. L’Alliance atlantique n’invitera pas l’Ukraine à adhérer lors de celui-ci. Mais elle souhaite organiser la première réunion du nouveau Conseil OTAN-Ukraine en présence du président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Cette annonce est d’autant plus symbolique qu’en 2002, au moment où une nouvelle relation avec Moscou semblait possible, un conseil OTAN-Russie avait été mis sur pied. Il a été abandonné en 2014, après l’annexion de la Crimée.
Impossible de négocier tant que Kiev et Moscou n’y seront pas forcés
C’est la réalité. L’initiative africaine en dix points, soutenue par la Fondation Brazzaville du français Jean-Yves Ollivier (éminence grise et homme d’affaires très connu sur le continent), suit de près le discours vidéo de Volodymyr Zelensky devant le Parlement suisse, durant lequel celui-ci a proposé un «sommet global» pour la paix que la Confédération pourrait organiser.
On sait aussi que la diplomatie chinoise s’active, autour de douze points énoncés lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, en février, puis repris lors de la conversation téléphonique entre Zelensky et Xi Jinping, au début mai. Un autre géant asiatique, l’Indonésie, affirme par la voix de son ministre de la Défense Prabowo Subianto avoir discuté de paix avec les Ukrainiens.
Ce sont les circonstances, sur le terrain militaire en Ukraine, et sur le terrain économique dans le monde, qui vont pourtant imposer ou non des pourparlers de paix. Pour les pays africains, l’urgence est agricole et céréalière, vu le risque d’une remise en cause de l’accord russo-ukrainien sur l’exportation de blé.
Pour la Russie, la question cruciale est pour le moment celle de sa capacité à encaisser les coups de la contre-offensive ukrainienne, appuyée par les matériels lourds donnés par les pays de l’OTAN comme les chars Bradley ou Léopard II.
Pour l’Ukraine, beaucoup dépend des puissances occidentales qui la soutiennent, alors que l’industriel de défense européenne peine à suivre, vu l’épuisement des stocks de matériels et de munitions, et l’incapacité (pour le moment) à s’entendre sur une accélération de la production aux standards OTAN, comme le demande l’Alliance.
La paix? Tout le monde y pense. Dans les zones de combats et de destructions, elle obsède les familles et tous ceux qui sont restés, combattants ou civils. Mais, pour l’heure, aucune brèche diplomatique n’est apparue. Le face-à-face militaire reste la tragique priorité.