CRAAAC! Vassilis Venezilos s’est attiré les foudres des organisateurs de fan zones. Pour comprendre, retour au samedi 29 juin. La Suisse s’apprête à affronter l’Italie en huitième de finale de l’Euro et l’orage gronde. Littéralement.
MétéoSuisse prédit même une tempête hors norme. Avec l’angoisse, la pression monte. Le conseiller d’État vaudois en charge du Département de la jeunesse, de l’environnement et de la sécurité se résout, à l’instar de son homologue genevoise, à interdire toutes les manifestations extérieures.
À lire aussi
Une semaine plus tard, la Nati s’échauffe avant de, cette fois, défier l’Angleterre dans un quart qui s’annonce survolté. L’élu écologiste, quant à lui, reçoit Blick dans son lumineux bureau du château Saint-Maire, siège du gouvernement cantonal, où la symphonie des éclairs a laissé place à celle — tout autant électrique — du Festival de la Cité.
Face à nous, le ministre, fan du ballon rond, justifie sa décision qui lui a valu une pluie de critiques, la catastrophe redoutée ne s’étant pas produite. Après les inondations monstres et l’évacuation de la zone industrielle d’Aigle, Vassilis Venezilos répond aussi à toutes les questions qui fâchent concernant les autorités valaisannes et la correction du Rhône. En outre, pour le Vert yverdonnois, la leçon à tirer de cet événement est claire: en matière de climat, «le coût de l’inaction est plus important que celui de l’action». Interview.
Vassilis Venizelos, quand on voit le désespoir des organisateurs des fan zones après l’interdiction de manifestation en vue d’une tempête qui n’est jamais vraiment venue, ne se dit-on pas, avec une semaine de recul, que le Canton a hurlé au loup un peu trop vite?
Non, clairement pas. Je comprends évidemment les préoccupations des organisateurs de ces fan zones. Et, en tant que fan de foot, je comprends aussi la déception de celles et ceux qui voulaient aller dans ces fan zones. Mais dans ce genre de situations, on se base sur les données scientifiques émises par les spécialistes.
De quoi parle-t-on?
Très concrètement, de MétéoSuisse. Le soir d’avant (ndlr: le vendredi 28 juin), on nous annonçait déjà des orages exceptionnels, avec des grêlons d’une taille inimaginable, des vents violents et des pluies abondantes. Interdire les manifestations à l’extérieur était la seule décision possible sur le moment, compte tenu des informations extrêmement alarmantes sur la table.
Vous redoutiez une catastrophe?
Oui. J’ai bien sûr eu à l’esprit les événements qui se sont déroulés ces dernières semaines à Morges, à Nyon et à Essert-Pittet. Nous avons eu quatre événements météorologiques extrêmes en un mois dans le canton de Vaud.
Des organisateurs de fan zones ont fait savoir qu’ils demanderaient de l’aide aux autorités. Vous allez les dédommager?
La loi ne prévoit aucun dédommagement dans ce genre de situation, mais je ne peux que comprendre la déception des organisateurs.
Pour comprendre comment l’État se met en branle dans ce genre de cas, à quel moment avez-vous été personnellement sollicité?
Il faut remonter au vendredi soir. Il y avait déjà eu des échanges à ce moment-là concernant les alertes météo. Avec mes équipes, l’état-major cantonal de conduite (EMCC) mais aussi avec mon homologue genevoise Carole-Anne Kast. C’est le lendemain que les choses se sont accélérées.
Racontez-nous.
J’étais à Vaulion, en train de discuter avec une vingtaine d’éleveurs d’un sujet émotionnel: la régulation du loup. J’ai senti mon téléphone vibrer dans ma poche. C’était le chef de l’EMCC qui cherchait à me joindre pour me faire part du dernier rapport météo qui était tout aussi alarmant que les précédents. Par ailleurs, des syndics de communes et des organisateurs s’inquiétaient et voulaient savoir si les événements allaient pouvoir être maintenus ou non.
Vous avez tranché à chaud?
J’ai bien évidemment dû interrompre mon échange avec les éleveurs. J’ai contacté mon état-major et rassemblé toutes les informations à disposition. Ensuite, la seule décision possible, c’était d’emboîter le pas à Genève qui annonçait le matin même sa volonté d’annuler toutes les manifestations extérieures. C’est donc la décision que j’ai prise.
Qu’est-ce qui vous traverse l’esprit à ce moment-là?
J’avais vraiment peur que ces orages soient dévastateurs. Fort heureusement, ils l’ont moins été que dans les cantons du Valais, du Tessin et des Grisons. C’est peut-être ce qu’il faut retenir.
Ces terribles inondations surviennent juste après la bisbille révélée par la RTS entre l’État de Vaud et du Valais sur la correction du Rhône. On a l’impression que ce qu’on redoute depuis 20 ans a fini par se produire. Vos homologues valaisans, qui ont l’air de traîner des pieds, sont mis face à leurs responsabilités?
On sait que ces événements météorologiques extrêmes vont être amenés à se répéter. Dans les modèles sur lesquels on s’est appuyé pour la renaturation du Rhône, l’impact de ces changements climatiques a été intégré. Regardons brièvement dans le rétroviseur. Après la crue du Rhône en 2000 qui avait causé des dégâts majeurs, il avait été décidé de réaliser le plus grand chantier fluvial d’Europe, en coordination avec les cantons de Vaud et du Valais et de nombreux experts. Les étapes de ce chantier ont été validées à plusieurs reprises par les différents partenaires.
Côté vaudois, la suite est connue.
Le Canton était allé chercher des moyens financiers, notamment pour pouvoir compenser les terres agricoles perdues. Nous travaillons depuis des années en direct et en bonne intelligence avec les agriculteurs et cela nous a permis d’avancer. Concernant le Chablais: nous avons trouvé un accord avec le Canton du Valais, quand bien même ce dernier souhaite revoir l’ensemble des études sur le reste du tronçon.
Pour quelle raison?
Le Canton du Valais juge que les risques ont été surestimés dans les études menées ces 25 dernières années. Ce n’est pas la position du Canton de Vaud.
Quelle est votre position?
Nous considérons au contraire que les études menées sont en phase avec une réalité qui nous rattrape. Cela étant dit, c’est une décision du Canton du Valais qui concerne son territoire. Nous avons trouvé un accord et ce consensus permet aux mesures prévues dans le Chablais de se déployer normalement.
C’est si important que ça?
Il faut comprendre que le risque est bien réel! Le week-end dernier, le niveau du Rhône était supérieur de quatre mètres à celui de la plaine. C’est pour cela que nous avons pris la décision d’évacuer la zone industrielle d’Aigle. Heureusement, la digue qui date des années 1980 a tenu. Mais elle a été fragilisée.
Depuis plus de 20 ans, Vaud et Valais avançaient main dans la main. Là, le Valais décide de faire cavalier seul. Comment le comprenez-vous?
C’est une décision surprenante. Mon homologue valaisan (ndlr: Franz Ruppen) avait annoncé sa volonté de revoir certains éléments de l’étude. Mon intérêt à moi, c’est que les mesures vaudoises se réalisent.
Prenons un peu de hauteur. En 2000, lors de la crue dévastatrice que vous évoquiez, on parlait de catastrophe centennale. Or, 24 ans plus tard, nous vivons déjà un épisode similaire. Sans vous demander de jouer à Nostradamus, ces événements terribles qui se rapprochent, c’est notre nouvelle normalité?
Oui, mais ce n’est pas une fatalité. Nous connaissons les investissements qui doivent être consentis pour accompagner cette nouvelle réalité, à savoir une augmentation de la fréquence des événements météorologiques extrêmes. Nous devons réduire encore et encore nos émissions de gaz à effet de serre, cet objectif est maintenant inscrit dans la Constitution vaudoise. Nous avons pris en outre plein de mesures pour faire face à ces dangers naturels, comme le réaménagement des cours d’eau. Sans détailler le programme de législature du Conseil d’État, ce que je veux marteler, c’est que le coût de l’inaction est bien plus élevé que celui de l’action.
Sur quoi vous basez-vous pour l’affirmer?
Les réassureurs eux-mêmes le disent et appellent les États à prendre des mesures fortes! À notre niveau, nous avons annoncé 209 millions de francs pour renforcer notre politique climatique. Ici, il ne s’agit pas seulement de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et d’assainir nos bâtiments. Mais aussi adapter notre territoire, en renforçant par exemple l’infrastructure écologique et en investissant dans nos forêts. C’est avec des décisions politiques concrètes et des investissements massifs que l’on arrive à anticiper l’impact de ces événements météorologiques extrêmes qui vont inlassablement se poursuivre.
À lire aussi
Vous faites partie de la minorité du gouvernement et dépendez d’un Grand Conseil. Si on enlevait cette réalité très pragmatique et qu’on vous donnait une baguette magique, vous feriez quoi?
Ce ne serait pas très sain de concentrer tout le pouvoir, ce n’est pas vraiment ma vision de la démocratie ni de la politique, qui est plutôt de respecter les institutions.
Soyons fous!
Le Conseil d’Etat a pris des engagements que nous allons réaliser. Très concrètement, si on parle de renaturation de cours d’eau, il faut faire en sorte que les mesures prévues dans le Chablais se réalisent et qu’elles bénéficient de soutiens financiers de la part de la Confédération. En outre, nous voulons accélérer l’assainissement énergétique de nos bâtiments et inscrire le principe de l’économie circulaire dans la Constitution. Parmi les autres mesures essentielles figure à mes yeux la révision de l’ensemble des planifications liées aux matériaux de construction pour y intégrer le principe de la finitude des ressources. Enfin, nous devons renforcer nos forêts, qui subissent un stress hydrique important.
Et si vous concentriez tous les pouvoirs au niveau national, voire international?
Encore une fois, je suis convaincu que c’est avec une saine répartition des pouvoirs que nous arrivons à avancer.
Ce n’est pas l’avis de beaucoup de militants climatiques, qui estiment que les institutions ne sont pas à la hauteur des enjeux. Vous, vous pensez vraiment le contraire?
Vous savez, je suis impliqué en politique depuis mes 19 ans, âge auquel je suis entré dans un Conseil communal (ndlr: législatif). J’ai confiance en les institutions et je suis persuadé que c’est la meilleure voie à suivre pour résoudre les problèmes de notre monde. Bien sûr, en tant que ministre écologiste, j’aimerais parfois que les choses avancent plus vite. Mais j’estime que c’est justement mon rôle de conseiller d’État: porter des projets ambitieux et œuvrer pour que le consensus se fasse le plus rapidement possible. Et toujours dans le dialogue.
Quand vous regardez les chefs d’États autour de vous, il y en a qui vous semblent réussir à faire ce que vous décrivez?
Vous me demandez mon modèle… Il faut que cela soit une personnalité politique internationale?
Ou d’ici, si vous n’en avez pas d’autres en tête…
Alors, je vais rester très local. Ma manière de faire de la politique, c’est trouver le consensus avec une vision politique forte. En cela, en Suisse romande, plusieurs personnes sont des exemples. Je peux citer Robert Cramer, Daniel Brélaz, Adèle Thorens ou encore Pierre-Yves Maillard. Ces responsables politiques ont su trouver des équilibres quand il le fallait.