Nouveau coup de tonnerre. Après les inondations dévastatrices et les glissements de terrain qui ont coûté la vie à un ressortissant allemand de 67 ans à Saas Grund, dans le Haut-Valais, ont fait deux disparus dans ce même village et provoqué des dégâts se chiffrant en dizaines de millions de francs pour l’ensemble du canton, des critiques concernant une présumée mauvaise gestion des risques par les autorités, Conseil d’État en tête, éclatent au grand jour.
Les plus virulentes émanent de l’ancien préposé cantonal à la protection des données, Sébastien Fanti, qui n’y va pas avec le dos de la cuillère sur les réseaux sociaux. «La catastrophe que subit le Valais est bien plus vaste que ce que les médias rapportent. Après que les locaux de la société T2i à Sierre où sont stockés leurs serveurs ont été submergés d’eau et de boue, plus de trente communes valaisannes mais également fribourgeoises ont été privées d’informatique durant plus de 48 heures ou le sont encore à cette heure.»
À lire aussi
Le bouillant avocat sédunois enchaîne: «Avec pour conséquence qu’elles ne pouvaient pas ou ne peuvent toujours pas fournir de documents officiels ou d’identité à leurs citoyens. Pire, certaines d’entre elles n’ont pas pu évacuer des personnes en danger lors du pic de la crue, faute de pouvoir accéder au logiciel du contrôle des habitants. De plus, suite à cette panne, le numéro d’urgence 144 a dû être dévié sur la centrale de la police cantonale. Je n’ose pas imaginer le chaos que nous aurions vécu si la situation s’était aggravée. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir averti les autorités de ce risque. A cet égard, mon rapport de septembre 2022 les met clairement en garde contre les risques d’inondation qui guettaient le site.»
«Que du blabla!»
Certains ne manqueront de dire que Sébastien Fanti profite de cette dramatique situation pour se venger d’avoir été écarté, il y a deux ans, de son poste de préposé cantonal à la protection des données. Il n’empêche que ses allégations lancées, preuves à l’appui, sont irréfutables. Difficile également de lui donner tort quand il contredit le conseiller d’État Frédéric Favre, chef des opérations de secours, lorsqu’il prétend que ces tragiques évènements étaient imprévisibles.
«Quand on construit un centre d’engagement de la police et un data center dans une zone inondable (zone du technopôle à Sierre), doit-on s’étonner de ce qui arrive?» questionne-t-il. Avant d’insister: «J’avais prévenu qu’en cas d’inondation ou d’incendie, les communes seraient dans la panade. C’est exactement ce qui est arrivé. Ces avertissements, je les ai adressés à chaque Conseiller d’État individuellement, au Procureur général ainsi qu’au préposé à la protection des données de la Confédération. Mais au-delà du blabla, rien n’a été entrepris. J’espère que les communes touchées pourront récupérer toutes leurs données momentanément perdues», ajoute l’actuel préposé à la protection des données de la commune de Vétroz, «où tout fonctionne parfaitement puisque nous avons changé d’hébergeur», s’enorgueillit-il.
Pompiers sous l’eau!
Un autre évènement vécu dans une commune de la rive droite du Valais central interpelle. Sa caserne des pompiers, construite, elle aussi, en zone inondable, a été submergée. «Par bonheur, il n’y a pas eu d’intervention urgente à réaliser dans la nuit de samedi à dimanche alors que nous évacuions le matériel», confie sous couvert d’anonymat un membre de l’état-major de crise qui cherche le bien-fondé de délivrer une autorisation de construire d’un tel édifice dans une zone inondable.
Mais pas que. Il dénonce aussi l’absence totale d’information durant tout le temps qu’a duré l’alerte. «En désespoir de cause, nous nous sommes branchés sur météo Robin», rapporte-t-il. Il est vrai que la chaîne de télévision locale Canal9, située à la frontière des communes de Sierre et de Chippis, subventionnée pour gérer l’information en cas de catastrophe, n’a pas pu assumer ce rôle, paralysée par un problème électrique survenu à la suite des intempéries qui perdure toujours. Elle a assuré cependant le service minimum via son site Internet et sa page Facebook.
«Les ponts de Chippis doivent être rehaussés»
Toujours dans la région sierroise, épicentre de la catastrophe, des voix s’élèvent également pour dénoncer une autre négligence dont les autorités seraient coupables. Celle de la vétusté des deux ponts enjambant le Rhône, à Chippis. «Des professionnels nous ont dit que leur rehaussement attend depuis des années (ce que Frédéric Favre confirme par ailleurs). Samedi, le bois et les détritus ont rapidement bloqué l’écoulement de l’eau. Combien faudra-t-il de catastrophes pour résoudre ce problème archiconnu de tous», interrogent ces habitants qui, au-delà des drames humains et des dégâts matériels, évoquent une autre conséquence collatérale possible que tout le monde craint dans la région: l’éventuel départ d’Alcan et de Novelis, ex-Alu Suisse, deux entreprises qui occupent plus de 1000 personnes et dont les sites de production sont à l’arrêt.
«Après avoir menacé de partir l’an dernier, à la suite de la forte augmentation des coûts des énergies, espérons que l’inondation de leurs infrastructures ne soit pas l’incident de trop qui les incitera à chercher un site plus sûr», s’inquiètent nos interlocuteurs. Quant à Sébastien Fanti, il conclut son plaidoyer par une ultime envolée. «Pour que les choses changent, je ne vois que l’ouverture d’actions en responsabilité contre l’État ainsi que des dépôts de plaintes pénales pour mise en danger de la vie d’autrui», estime-t-il. En Valais, la pluie a cessé mais la tempête n’a pas fini de gronder…
L’aveu de Frédéric Favre
Contacté, Frédéric Favre ne réfute pas la thèse de la vétusté des ponts et leur effet barrage. «Un nombre important d’études de variantes et de propositions a été fait depuis 2000. On a constaté que les deux dernières crues ont fortement endommagé les ouvrages. Nous devons maintenant intervenir rapidement pour les mettre en sécurité et assurer leur pérennité ainsi que la sécurité d’un site industriel important du canton en cas de nouvelle crue. Nous allons faire des travaux dans les mois qui viennent», assure-t-il.
S’agissant de la question relative à la sécurité des systèmes informatiques, le chef du Département de la sécurité, des institutions et des sports réfute en revanche les accusations de Sébastien Fanti et du membre de la cellule de crise du village qui n’a pas pu opérer l’évacuation de tout un quartier faute d’accès au registre numérique du contrôle des habitants. Il dégage au passage l’État de toute responsabilité: «Les logiciels des communes relèvent de leur compétence. Contrairement à ce qui a été posté sur les réseaux sociaux, les évacuations de ce week-end se sont bien déroulées.»
Il développe: «Dans des cas comme celui que vous citez, les forces d’interventions doivent se rendre directement aux domiciles des habitants se trouvant dans des zones à risque. Le groupe de travail 'Cybersécurité Valais' (ndlr: présidé par lui-même), effectue actuellement une analyse qui prend en compte les recommandations émises dans le rapport d’activité du préposé à la protection des données et à la transparence». Visiblement, celles de Sébastien Fanti, son prédécesseur, sont restées lettre morte…