C’était le 28 mai dernier. Le conseiller d’État (UDC), chef du Département de la mobilité, du territoire et de l'environnement, Franz Ruppen s’expliquait dans l’émission Forum pour justifier le revirement du gouvernement valaisan sur le projet de la troisième correction du Rhône. «Il est disproportionné avec toutes les conséquences qu'il aura sur les coûts, mais aussi sur la plaine du Rhône.» Se basant sur un rapport — que le Conseil d’État avait lui-même mandaté — le magistrat plaidait pour un retour à un scénario moins catastrophiste et alarmiste estimant le plan d’aménagement actuel comme «disproportionné».
Trop cher, trop écolo et trop gourmand en surfaces agricoles, le «chantier du siècle» — devisé à 3.6 milliards de francs — allait être revu à la baisse. Sauf que la Nature ne l’a pas entendu de cette oreille.
Le week-end dernier, elle s’est rappelée au bon souvenir du gouvernement valaisan. Le Rhône a connu une crue extrême, des ponts ont été emportés, des villages et des routes ont été inondés. L'approvisionnement en électricité et en eau a été interrompu. Et l'armée d’être appelée en renfort. Sous le feu des critiques Franz Ruppen, le président du Conseil d’Etat, répond à Blick.
Franz Ruppen, en retardant la 3ᵉ correction du Rhône et après les événements de ce week-end, êtes-vous, comme l’écrivait le «Walliser Bote» lundi, complètement à côté de vos pompes?
Non, pas du tout. Les événements du week-end dernier montrent que la décision prise par le gouvernement valaisan, celle de revoir la troisième correction du Rhône, était la bonne. Et je tiens à clarifier les rumeurs qui circulent. Il est faux de dire qu’on ne veut pas effectuer de correction. Au contraire, on veut que le projet soit optimisé et on veut aller de l’avant. Cela montre que la direction était la bonne. Le gouvernement du Valais veut aller à l’essentiel.
C’est-à-dire?
La sécurité. Nous souhaitons accélérer les mesures pour garantir la sécurité des biens et des personnes et assurer la sécurisation du Rhône. Il me faut rappeler que le projet a commencé en 2000, après les crues historiques. Et les premiers travaux en 2009, avec notamment la réalisation de la mesure prioritaire de Viège (NDLR: pour sécuriser un secteur de 8 km compris entre Brigerbad et Baltschieder) et d’autres mesures anticipées. Mais cela n’a pas progressé suffisamment rapidement. Les crues du week-end passé ont montré que les problèmes survenus à Sierre et Chippis étaient les mêmes qu’il y a 20 ans.
Pourtant, vous avez revu le projet à la baisse en le qualifiant d’alarmiste et, ce faisant, retardé une nouvelle fois sa mise en œuvre. On ne peut pas vraiment dire que la sécurité des biens et des personnes a été assurée ce week-end…
On n’a pas retardé le projet. Il faut savoir que les travaux ont traîné durant 20 ans. Aussi, durant cette analyse démarrée en 2022, les travaux ont continué. C’est faux de dire que tout a été suspendu. Il suffit de voir les crédits d’engagement sur les différents tronçons qu’on a fait passer au Grand Conseil.
Il y a quelques semaines, dans l’émission Forum, vous déclariez que ce projet était disproportionné et catastrophiste. Est-ce qu’aujourd’hui, vous regrettez ces propos?
Nos experts ont estimé que ce projet de la 3ᵉ correction et de son plan d’aménagement (PA-R3) était surdimensionné, car il se basait sur le scénario d’une crue centennale causant potentiellement la mort de 300 personnes et 8 à 10 milliards de francs de dégâts. Ce n’est de loin pas ce qui est arrivé ce week-end. S’il y a eu un mort à Saas Grund, ça n'a rien à voir avec le Rhône, mais avec les cours d’eau latéraux.
C’est quand même la deuxième crue du Rhône en 24 ans.
Cette crue, comme celle de 2000, n’était pas liée au Rhône, mais imputable aux cours d’eau latéraux. Il faut faire la distinction. Je suis allé à Sierre et à Chippis hier, sur le site de l’entreprise Novelis aussi. Les ponts auraient dû être rehaussés, il y a longtemps déjà. L’urgence est de remettre à disposition ces infrastructures endommagées pour aller de l’avant avec ce rehaussement. Il est temps d’agir.
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Revenons à ce rapport qui a été réalisé par un bureau de développement immobilier lausannois dont les conclusions sont venues remettre en cause des décennies d’études, et les avis de spécialistes, notamment des hydrologues. Qu’est-ce qui vous a permis de dire que cette analyse était la bonne?
Le bureau a interrogé environ 40 personnes auprès de différentes entités. Le Conseil d’État, des députés de tous partis confondus, des services cantonaux et fédéraux comme l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), des organisations de défense de la nature et des associations agricoles. Huit collaborateurs du service des dangers naturels ont été consultés. Il faut donc tirer les conclusions de cette analyse et c’est la mission menée par notre Service des dangers naturels.
Une mission qui consiste à?
Étudier en priorité les mesures sécuritaires. L’analyse a montré qu’il était urgent de faire le contrôle des digues, ce qui n’a pas été fait ces dernières années. Ensuite, on va regarder, tronçon par tronçon, comment tenir compte de l’analyse. Par exemple, dans la vallée de Conches où il y a eu aussi des inondations, le crédit d’engagement est déjà passé par la commission parlementaire.
Vos collègues vaudois ne partageaient pas du tout les conclusions présentées dans le rapport. Le Valais a donc décidé de faire cavalier seul?
Oui. Même si nos collègues vaudois ont été entendus, car nous avons un partenariat sur «la mesure prioritaire du Chablais». En revanche, en ce qui concerne, la région qui va de la Vallée de Conches jusqu’à début du Chablais, le canton du Valais est l’unique maître d’ouvrage.
En juin, dans une chronique publiée par Blick, Jacqueline de Quattro tirait la sonnette d’alarme. Selon la conseillère nationale vaudoise (PLR), «le Conseil d’Etat valaisan a pris de gros risques en décidant unilatéralement de retarder la 3ᵉ correction du Rhône. Il met en danger la sécurité de la population et des infrastructures sur sol valaisan et vaudois.» Vous ne l’avez pas entendue?
Bien sûr qu’on a entendu les critiques. Mais je rétorque que l’idée n’était pas de retarder le projet, mais de l’accélérer. On nous reproche de ne pas aller assez vite, mais le projet traîne depuis 24 ans, alors que Madame de Quattro était en charge de celui-ci quand elle siégeait au Conseil d’État vaudois. C’est facile de tirer sur les autres. Nous, on veut aller de l’avant. Et encore une fois, notre priorité est la sécurité des personnes et des biens.
Vous dites vouloir accélérer le projet. Or, un délai d’un an et demi a été fixé pour présenter le projet allégé au Grand Conseil valaisan. Vous ne pensez pas qu’il y a urgence?
On va avancer. Étape par étape. Par exemple, dans la Vallée de Conches, le crédit d’engagement a été signé. Et peut-être que ce délai d’une année et demie sera raccourci.
Vous êtes membre de l’UDC. Que répondez-vous à ceux qui pensent qu’avec cette révision qui va limiter l’élargissement des cours d’eau, vous visez surtout à protéger les agriculteurs et leurs terres?
L’intérêt général prime et beaucoup d’intérêts entrent en jeu. Il y a évidemment celui de la sécurité qui prime sur tout, mais aussi celui des ONG qui souhaitent protéger la biodiversité, celui des activités de loisirs et celui de l’agriculture. Le rapport soulève dans l’analyse l'emprise du projet sur les surfaces d'assolements (SDA), 300 hectares, des surfaces qu’il faut compenser. Comment peut-on le faire si on n’a plus de marge de manœuvre dans le canton? On ne peut pas juste dézoner 300 hectares de zones à bâtir ou zones industrielles. Financièrement et politiquement, ce n’est pas possible. C’est un point bloquant du dossier, il faut trouver des solutions.
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À combien se chiffrent les dégâts?
C’est difficile à dire. C’est trop tôt. Plusieurs centaines de millions de francs.
Votre canton est très exposé. Comment on planifie cette gestion des risques naturels?
Il faut tenir compte de ce qu’il s’est passé et avec le service des dangers naturels faire des projets pour la sécurisation des cours d’eau latéraux. Ce qu’on a déjà fait dans le Val d’Hérens et aussi la Navizence, dans le Val d’Anniviers, qui a causé beaucoup de dégâts il y a deux week-ends. On est déjà passé avec le crédit d’engagement (32 millions de francs) au Grand Conseil, on a mis le projet à l’enquête, mais malheureusement, il y a eu des oppositions… J’ai indiqué au service juridique qu’il les traite en priorité.
Pour conclure, la décision du Conseil d’État concernant cette 3e correction du Rhône, était donc la bonne?
Cela montre que le Valais veut aller à l’essentiel, qui est la sécurité des personnes et des biens. Il est temps d’agir. C’est notre volonté.