Nous sommes à la fin du mois de juin. Les élections fédérales de cet automne ne sont plus très loin: toute lumière est bonne à prendre. Sous les projecteurs des médias, Thomas Matter fanfaronne. Le conseiller national zurichois de l’Union démocratique du centre (UDC) annonce que l’initiative populaire «200 francs, ça suffit», qui veut réduire la redevance radio/TV à cette somme par an et par ménage, a abouti.
Ce poids lourd de la politique fédérale, méconnu en Suisse romande, assure qu’il n’a jamais vu une collecte de signatures aussi simple. Le premier uppercut d’une longue série dans le combat sans merci qui l’oppose à Gilles Marchand, le flegmatique directeur général de la SSR qui a grandi entre la région nyonnaise, dans le canton de Vaud, et Paris, avant de poser ses valises à Berne.
À lire aussi
Son bras de fer avec le service public fait beaucoup de bruit. Au point que le coprésident du comité de «l’initiative SSR» commence à se faire un nom de ce côté-ci de la Sarine, sur les terres d’origine de son adversaire qui voit en ce texte «une attaque contre la Suisse». Une aura nationale inattendue pour celui dont on disait à ses débuts qu’il ne serait jamais un tribun populaire et dont l’image d’étoile montante souffrait d’une réputation ambivalente.
Le successeur du père de l’UDC
«Un libéral égaré dans la droite nationale-conservatrice ou un politicien qui sait flairer d’où vient le vent?», s’interrogeait «Le Temps», en 2014. Thomas Matter fait alors son entrée dans la cour des grands. Quatorzième sur la liste de l’UDC zurichoise aux élections de 2011 pour le Conseil national, troisième seulement des «viennent-ensuite», il finit à la surprise générale par entrer par la grande porte de la Chambre basse, en tant que successeur de… Christoph Blocher.
Ce fin connaisseur de l’économie, qui a eu la lourde responsabilité de remplacer la figure tutélaire de son parti, a grandi dans le canton de Bâle-Campagne. Son père est spécialiste des affaires financières chez le géant pharmaceutique Roche. Son frère aîné, Frank, journaliste de formation, est patron d’une entreprise de production cinématographique. Son frère cadet, Samuel, partenaire d’une société de gestion de fortune.
Lui, banquier diplômé, lance sa société financière à seulement 28 ans. Tombé dans la marmite des affaires tout petit, il est l’un des fondateurs de ce qui deviendra le groupe Swissfirst. Il l’abandonne toutefois après un soupçon de délit d’initié, dont il sera finalement blanchi. Il crée ensuite la Neue Helvetische Bank en 2011.
Défenseur du secret bancaire
Il se fait remarquer peu après dans l'arène politique. En 2013, il lance seul d’abord, puis avec le concours de diverses personnalités UDC et libérales-radicales, l’initiative «pour la protection de la sphère privée», qui veut préserver le secret bancaire pour les personnes résidant en Suisse.
À lire aussi
Une sacrée épine dans le pied de l’ancienne conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, «la traîtresse» passée de l’UDC au Parti bourgeois démocratique (PBD) après avoir été exclue par sa famille politique. Pour mémoire, la Grisonne a toujours affirmé n’avoir jamais participé à une quelconque conspiration contre Christoph Blocher. Et ce, même si l’Assemblée fédérale l’avait préférée au milliardaire, qui a réussi en trois coups de cuillère à pot à propulser la droite conservatrice au rang de première formation du pays.
Comment oublier cette manœuvre en coup de tonnerre survenue le 12 décembre 2007. Un jour qui marquera durablement le paysage politique helvétique, «peu habitué aux révolutions de Palais», commentait Swissinfo en 2015.
Un affairiste sans scrupule?
Revenons-en à Thomas Matter, à qui l'on doit par ailleurs les célèbres et kitchissimes chansons électro-schlager de campagne de l'UDC. Il est aujourd’hui un parlementaire difficilement contournable. Sa fortune, estimée à 150 millions de francs en 2017, fait par ailleurs de lui l’un des élus les plus riches du pays. Avec son initiative qui veut saigner le service public, le quinquagénaire devrait réussir son plus grand tour de force: passer du cercle restreint de «ceux qui font Zurich» à celui, encore plus fermé, de «ceux qui font la Suisse».
Cependant, malgré le temps qui passe et les mémoires courtes, est-il véritablement parvenu à faire oublier les accusations d’opportunisme qui le visaient? Avant 2002, ce libéral persuadé avait d’abord défendu la libre circulation avec l’Union européenne, avant de faire campagne, douze ans plus tard, pour l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse».
Si l'on prend un brin de hauteur, il est vrai que tout semblait destiner le Zurichois — qui accuse ces derniers jours SRF Meteo de «propager la panique climatique pendant une année électorale» — à monter un à un les échelons du Parti libéral-radical (PLR). Mais Thomas Matter «a vite vu que l’UDC, en pleine ascension, serait son meilleur tremplin politique», raillaient des gorges chaudes alémaniques citées par le sérieux quotidien romand installé au bout du Léman. Presque une décennie plus tard, peu devraient encore oser lui faire le même reproche.