Tout ce que vous n'avez jamais compris
La Banque nationale suisse (BNS) pour les nuls en 10 questions de fond

C’est une équation à d’innombrables inconnues et à 1000 milliards de francs: comment fonctionne l’institution la plus puissante de Suisse? Qui détient le pouvoir? Qui surveille qui et quoi? Michaël Malquarti, expert genevois, nous éclaire sur (presque) tout.
Publié: 05.04.2024 à 11:33 heures
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Dernière mise à jour: 05.04.2024 à 19:02 heures
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La Banque nationale suisse (BNS) est la banque centrale la plus opaque au monde, selon une étude.
Photo: KEYSTONE
Christian Rappaz

Blick l’a révélé ce jeudi 4 avril: l’économiste et pamphlétaire franco-suisse Michel Santi, 61 ans, se porte candidat à la succession du démissionnaire Thomas Jordan, à la tête de la Banque nationale suisse (BNS). Une postulation qui fait l’effet d’une petite bombe dans le monde discret ascendant secret de l’institution la puissante du pays.

«Et la plus indépendante», ajoute Michaël Malquarti, auteur du livre «Pour un nouvel ordre monétaire» publié aux éditions Slatkine, pour qui notre banque centrale jouit d’une autogestion sans équivalence. «Son indépendance est de loin la plus forte de toutes nos institutions. Même le Ministère public de la Confédération subit par exemple beaucoup plus de pression», nous glisse le Genevois.

En un mot, la BNS a quasiment tous les droits pour faire ses devoirs. Ceux-ci se résument à: veiller à la stabilité des prix et du franc en gérant ses réserves monétaires et en adaptant son taux directeur, émettre les emprunts de la Confédération et gérer les comptes de cette dernière. Punkt schluss!

Comme elle n’a pratiquement de comptes à rendre à personne, on ne sait pas grand-chose de son fonctionnement. Une étude réalisée en 2022 citée par Swissinfo a même qualifié la BNS de banque centrale la plus opaque au monde.

Et pour cause, elle ne publie les procès-verbaux de ses réunions de politique monétaire que 30 ans après sa prise de décision. Par comparaison, la Banque d’Angleterre le fait immédiatement après la réunion et la BCE après quatre semaines. Autre service minimum, elle n’organise que quatre conférences de presse par année alors que la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne fournissent des informations sur leur politique monétaire huit fois par an.

«Il est vrai que sa structure de gouvernance n’est pas la plus claire et la plus simple qu’on puisse imaginer», commente avec un brin d’ironie le gestionnaire du bout du Léman, avant d’enfoncer le clou. «C’est en fait une SA cotée en bourse, soumise à une loi spéciale, dont les cantons, mais aussi des privés sont actionnaires, mais pas la Confédération, et qui est flanquée d’un Conseil de banque qui joue le rôle d’organe de surveillance dans une discrétion absolue. De manière générale, tout est complexe et opaque. Comme si tout était fait pour éviter de faire entrer un loup dans la bergerie.» Mais encore…? Michaël Malquarti, qui est aussi vice-président des Vert’libéraux genevois, répond aux 10 questions essentielles pour tenter d'y voir plus clair.

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Un étranger peut-il accéder à l’un des trois postes de la direction générale (DG)?

«Non, la loi spécifie que les membres de la DG doivent être de nationalité suisse.»

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Quel est le profil officiel idéal à posséder pour être membre de la DG

«Selon la loi, les membres de la direction générale doivent bénéficier d’une réputation irréprochable et avoir une expérience reconnue dans les domaines monétaire, bancaire et financier. Cela me parait effectivement de bons critères, mais j’ajouterais 'un esprit ouvert et curieux, de bonnes compétences de communication, une certaine sensibilité politique et un sens développé du bien commun'. Enfin, il s’agit aussi de construire une équipe diversifiée et donc chaque nouveau membre doit être complémentaire aux membres déjà en fonction.»

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Quel serait le profil idéal à vos yeux aujourd’hui?

«Je verrais une femme qui ne sort pas du sérail et qui possède une expérience dans le privé.»

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Et pour le président?

«Il n’y a pas de compétences supplémentaires à exiger. D’autant que généralement, on accède au poste dans l’ordre d’arrivée à la DG selon le cycle membre -> vice-président -> président, même si ce n’est pas toujours respecté, comme récemment avec Madame Andrea Maechler, qui n’a pas suivi ce cursus et a quitté la DG en 2023.»

Michaël Malquarti, directeur des risques au sein d’une société de gestion de fonds, vice-président des Vert’libéraux genevois et auteur d’un essai invitant à un nouvel ordre monétaire.
Photo: D.R.
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Seulement trois membres à la direction générale de la BNS, c'est un record du monde pour un directoire de banque centrale. Qui peut décider d'élargir cette direction?

«Le Parlement fédéral, en changeant la loi sur la BNS. Mais osera-t-il modifier cette loi sans la bénédiction, voire la recommandation de la BNS?»

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Comment et qui nomme le Conseil de banque?

«Il est composé de onze membres, censés représenter les milieux scientifiques, économiques et politiques du pays. La loi prévoit que cinq d’entre eux soient élus par l’Assemblée générale et six nommées par le Conseil fédéral, sur recommandation de la BNS selon des principes régis par une convention signée avec le Département des finances. Autant dire que tout cela repose sur un fonctionnement très circulaire.»

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Quel est son degré d’efficacité ?

«Pour être honnête, en pratique, je ne sais pas à quoi le Conseil de banque sert concrètement. Au mieux, il permet à la direction de sentir un peu le pouls du pays, mais pour cela, on pourrait se contenter d’un conseil consultatif. ».

8

Qui sont les actionnaires de la BNS ?

«Fin 2022, 51% des actions étaient en mains des cantons, des banques cantonales et d’autres collectivités et établissements de droit public. Les cantons de Berne, Zurich et Vaud détiennent ensemble un peu plus de 15% du capital. 49% est en main privée. Parmi eux, un professeur honoraire d'économie à l'Université de Munich, Theo Siegert, pointe au troisième rang des plus gros actionnaires avec 5% du capital. À noter toutefois que la loi restreint les droits de vote des actionnaires à l’équivalent de 100 actions, sauf pour les collectivités et les établissements suisses de droit public et les banques cantonales. En pratique donc, les actionnaires privés ont très peu de pouvoir.»

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Quel pouvoir ont les cantons ?

«Leur poids à l’Assemblée générale leur accorde un certain nombre de prérogatives importantes, mais en pratique, ils ne s’opposent jamais à la direction. C’est bien le problème auquel nous faisons face: les quelques contre-pouvoirs à la direction de la BNS ne jouent pas leur rôle comme la loi le prévoit. C’est à mon sens malsain. Tout pouvoir incontesté, aussi compétent soit-il, finit par commettre de lourdes erreurs.»

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Qui décide de la redistribution des bénéfices ?

«Formellement, c’est l’Assemblée générale qui approuve l’attribution du bénéfice, dans le cadre des contraintes constitutionnelles et légales. Mais en pratique, une convention lie la BNS et le Département fédéral des finances. C’est la direction de la BNS qui la négocie en consultant également les cantons. Mais ceux-ci sont timorés et peu engagés. Par conséquent, dans les faits, ces dernières années, la direction de la BNS a fait ce qu’elle a voulu. Cela pourrait changer un peu à l’avenir.»

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