Comme le Golfe d'Amérique
Pour la France, le lac Léman sera désormais le lac d'Evian (possible?)

Imaginez le bras de fer diplomatique, géographique et cartographique: et si d'un coup, comme Donald Trump avec son golfe de l'Amérique, Emmanuel Macron décidait de remplacer le lac Léman par le Lac d'Evian?
Publié: 10.02.2025 à 17:02 heures
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Dernière mise à jour: 07:35 heures
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D'un trait de plume, Emmanuel Macron pourrait décider de renommer le lac Léman, lac d'Evian.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ce sera, chaque année, le 9 février. Ce jour-là, les citoyens des Etats-Unis seront priés de célébrer leur nouveau «Golfe de l’Amérique». Adieu le Golfe du Mexique.

C’est Donald Trump qui persiste et signe, via un décret signé dans son avion. «Le 20 janvier 2025, j’ai signé le décret 14172 («Restaurer les noms qui honorent la grandeur de l’Amérique»). Entre autres mesures, ce décret exige du secrétaire à l’intérieur, agissant en vertu des articles 364 à 364f du 43 U.S.C., qu’il prenne toutes les mesures appropriées pour renommer «Golfe d’Amérique» la zone du plateau continental des États-Unis délimitée au nord-est, au nord et au nord-ouest par l’État du Texas, la Louisiane, le Mississippi, l’Alabama et la Floride et s’étendant jusqu’à la frontière maritime avec le Mexique et Cuba dans la zone anciennement dénommée Golfe du Mexique».

Et d’ajouter: «C’est pourquoi, moi, Donald J. Trump, président des États-Unis d’Amérique, en vertu de l’autorité qui m’est conférée par la Constitution et les lois des États-Unis, je proclame par la présente le 9 février 2025 Journée du Golfe d’Amérique. Je demande aux fonctionnaires et à tout le peuple des États-Unis de célébrer cette journée par des programmes, des cérémonies et des activités appropriés.»

Bye Bye le Léman

Imaginez donc la même scène, de l’autre côté de l’Atlantique, entre la France et la Suisse. Peu probable, avouons-le, que l’initiative vienne du Conseil fédéral, scrupuleusement attaché au respect du droit international. Mais en France, pourquoi pas? Le Chef de l’État français dispose, par la Constitution de 1958, de pouvoirs bien plus étendus dans son pays que le président américain. Emmanuel Macron pourrait donc prendre exemple sur le locataire de la Maison-Blanche et déclarer que le Lac Léman (tiré de l’expression latine Lemanus, «Léman» veut en fait dire lac) deviendra le Lac d’Evian. Après tout, les anglophones parlent, eux, du «lac de Genève». Sans aucun égard pour les autres cités lacustres…

Première question: est-ce possible? La réponse est oui. Mais il faudrait d’abord, pour cela, que la demande soit faite par les riverains du Léman, et plus probablement par les municipalités riveraines, à la préfecture française concernée, à savoir celle de Haute-Savoie. Pour rappel, c’est le conseil municipal d’une commune qui, chez notre voisin, a le pouvoir d’attribuer un nom aux rues, places, hameaux et lieux-dits de son territoire. Il en détient la compétence exclusive, sans que la loi ne le dispose expressément mais il doit communiquer sa décision à la Préfecture, en vue d’un contrôle de légalité, comme le précise le Code général des collectivités territoriales. 

Dans le cas du Léman, la décision reviendrait in fine à Emmanuel Macron. Elle ne concernerait – c’est important – que la partie française du lac. Lequel aurait alors deux noms différents sur les cartes et dans le système GPS.

Donald Trump et le Golfe d’Amérique

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Seconde question: la Suisse devrait-elle l’accepter? Légalement, rien ne permet à la Confédération, ou aux cantons voisins du lac Léman (Vaud, Genève, Valais) de s’opposer à une décision qui s’appliquerait seulement dans la partie française du plan d’eau de 580 kilomètres carrés. Berne pourrait en revanche exiger que l’appellation Lac Léman demeure dans tous les documents officiels entre les deux pays. 

Pour mémoire, depuis 1884, la gestion du lac Léman est assurée par la Suisse grâce à l’Acte intercantonal concernant la correction et la régularisation de l’écoulement des eaux du Léman. Mais un mandat de négociation a été adopté en août 2023 par le Conseil fédéral pour la conclusion d’un accord franco-suisse destiné à améliorer les échanges d’information. Il devrait remettre en cause ou intégrer, une fois conclu, l’accord franco-suisse de 1979 concernant la navigation sur le Léman.

Troisième question: peut-on, en droit français, changer d’un trait de plume le nom d’un lac? Ici, tout devient compliqué: l’article L. 711-4 (h) du Code français de la propriété intellectuelle dispose que «ne peut être adopté comme un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment […] au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale». 

Or la «marque Léman» est connue mondialement. Les communes françaises en désaccord avec cette initiative présidentielle pourraient donc faire recours. Un exception existe, en France, pour les régions de Bretagne et de Corse. Les deux ont obtenu que les noms des communes soient désormais indiqués en langue française et en langue régionale. En Bretagne, les appellations sont gérées par l’Office public de la langue bretonne.

Lac Gargantua?

Pas de panique donc, mais un peu d’histoire: outre le fait que des millions de personnes, Donald Trump inclus, parlent du «lac de Genève», celui-ci était aussi nommé lac de Lausanne à certaines époques. Des solutions existent peut-être pour mettre tout le monde d’accord: selon les récits populaires, le géant Gargantua serait passé par le Léman et le lac tirerait son nom de «la main» du géant né dans l’imagination de François Rabelais.

Alors, pourquoi pas le lac Gargantua? A coup sûr, cela donnerait des idées à l’ogre de Washington: un certain Donald Trump....

A lire: «Leman, Légendes d'un lac» de Isabelle Falconnier (Ed. Nevicata)

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