Onyx* m’observait depuis quelques minutes dans sa voiture de luxe à 60’000 francs. «Je voulais être sûre que t’étais pas un mec chelou.» Quand on propose des services sexuels contre rémunération sur des sites de petites annonces, on n’est pas à l’abri de croiser la route du mauvais gars. Je ne le sais pas encore, mais ce 11 mai, c’est moi qui finirai les poings liés. Oui, avec une vraie corde.
Je n’ai pas la dégaine de ses clients. Enfin, de ses «soumis», d’habitude «plutôt vieux, gros et pas très beaux». Elle ne porte pas son uniforme de travail, ses cuissardes de dominatrice et sa minijupe.
Jeans, pull blanc, baskets: sur ce parking d’une gare du canton de Vaud, je rencontre d’abord l’étudiante en sciences sociales qui n’a jamais eu besoin d’argent. Un peu moins de 25 ans, frêle, détendue, bonne vibe. «J’habite pas loin. On y va?»
«Ils lèchent mes crachats sur le sol»
«Si les gens me disent, 't’es une pute!' Je leur dis, 'ben, ouais, je suis une pute'. Mais, en vrai, je ne me considère pas comme une prostituée. La seule chose de vraiment sexuel que je fais, c’est des branlettes.» Eux n'ont pas le droit de la toucher.
«Ils doivent m’obéir, je suis leur domina. Ils aiment être baffés, insultés, attachés, frappés dans les couilles, être à mes pieds. Je les promène en laisse, ils lèchent mes crachats sur le sol.» L’appartement est moderne et spacieux. Ses chats veulent sauter du balcon, pas elle.
«On peut très bien faire ce taf sans y avoir été forcée et sans y avoir été poussée parce qu’on est dans le besoin. Je le vis bien.» Ses parents lui paient son loyer, ses frais de scolarité, ses assurances, son téléphone, sa voiture, mais pas l’essence, et lui transfèrent encore un peu moins de 1000 francs par mois: «Ils peuvent se permettre beaucoup, beaucoup de dépenses. Je ne serais pas obligée de travailler, mais je fais ce job pour maintenir le niveau de vie que j’avais quand j’habitais chez eux.»
28’000 francs gagnés en 2022
Loin, l’image de la jeune universitaire étranglée par la pandémie et l’inflation qui offre son cou aux bras tentaculaires de la prostitution. Ou qui hésite à tirer la queue du diable, comme la Lausannoise Lidia Jovanovic, qui témoignait dans Blick début mai.
Le phénomène serait en augmentation, à en croire les commentaires sur les réseaux sociaux. Mais il ne se vérifie pas vraiment sur les sites de petites annonces romands (lire encadré ci-dessous), où je me suis retrouvé nez à nez avec les pieds nus d’Onyx. Sur ses ongles, du vernis. De simples orteils, à mes yeux. Beaucoup d’oseille, pour elle.
Le commentaire est apparu sur la page Facebook de Blick, début mai. En moins de deux ans, les offres de services sexuels auraient explosé sur les sites de petites annonces en Suisse, et particulièrement du côté des femmes retraitées. Qu’en est-il vraiment?
Pour le savoir, j’ai contacté différentes plateformes. Ces trois dernières années, Anibis a accueilli environ 4000 annonces de prostituées et n’a pas observé de changement depuis 2020, me fait savoir une porte-parole. Qui me dévoile dans la foulée que la rubrique «érotique» disparaîtra dès fin juillet 2023. Ces offres ne correspondent plus aux valeurs de SMG Swiss Market Group, qui appartient notamment aux groupes de presse Ringier (qui édite Blick) et TX Group («24 heures» ou la «Tribune de Genève», entre autres).
Chez topannonces.ch, «on ne note pas sensiblement d’augmentation [...], mais on remarque de plus en plus d’annonces venant de personnes hors du milieu de la prostitution, surtout pour des ventes de photos et vidéos à caractères érotiques ou pornographiques via des applications dédiées». Les professionnelles «sont moins nombreuses» et le marché des «femmes mûres» n’a pas bougé.
«Beaucoup de faux profils»
Frédéric Monnard, directeur et fondateur de petitesannonces.ch, n’a pas relevé de hausse par rapport à la période pré-pandémie. «Un phénomène est plus présent: la vente de photos et de vidéos à caractère sexuelle ou de sous-vêtements usagés. Mais on voit qu’il y a beaucoup de faux profils dans ce domaine. Nous en supprimons beaucoup.» Autre constat: les «étudiantes» n’en sont souvent pas, mais se qualifient ainsi pour pouvoir facturer davantage.
Seule exception de la liste: fgirl.ch, spécialisé dans le travail du sexe, qui se targue d’une hausse de 50% depuis 2020. «Un domaine haussier qui s’explique par le fait que certaines demoiselles n’arrivent plus à payer leurs factures dans leur divers pays d’origine», écrit Brad, du support client. Au total, «en date du jour du 3 mai 2023, nous avons 1984 annonces érotiques en ligne sans compter les [...] transsexuels, dont le marché n'a pas évolué», complète-t-il.
Le commentaire est apparu sur la page Facebook de Blick, début mai. En moins de deux ans, les offres de services sexuels auraient explosé sur les sites de petites annonces en Suisse, et particulièrement du côté des femmes retraitées. Qu’en est-il vraiment?
Pour le savoir, j’ai contacté différentes plateformes. Ces trois dernières années, Anibis a accueilli environ 4000 annonces de prostituées et n’a pas observé de changement depuis 2020, me fait savoir une porte-parole. Qui me dévoile dans la foulée que la rubrique «érotique» disparaîtra dès fin juillet 2023. Ces offres ne correspondent plus aux valeurs de SMG Swiss Market Group, qui appartient notamment aux groupes de presse Ringier (qui édite Blick) et TX Group («24 heures» ou la «Tribune de Genève», entre autres).
Chez topannonces.ch, «on ne note pas sensiblement d’augmentation [...], mais on remarque de plus en plus d’annonces venant de personnes hors du milieu de la prostitution, surtout pour des ventes de photos et vidéos à caractères érotiques ou pornographiques via des applications dédiées». Les professionnelles «sont moins nombreuses» et le marché des «femmes mûres» n’a pas bougé.
«Beaucoup de faux profils»
Frédéric Monnard, directeur et fondateur de petitesannonces.ch, n’a pas relevé de hausse par rapport à la période pré-pandémie. «Un phénomène est plus présent: la vente de photos et de vidéos à caractère sexuelle ou de sous-vêtements usagés. Mais on voit qu’il y a beaucoup de faux profils dans ce domaine. Nous en supprimons beaucoup.» Autre constat: les «étudiantes» n’en sont souvent pas, mais se qualifient ainsi pour pouvoir facturer davantage.
Seule exception de la liste: fgirl.ch, spécialisé dans le travail du sexe, qui se targue d’une hausse de 50% depuis 2020. «Un domaine haussier qui s’explique par le fait que certaines demoiselles n’arrivent plus à payer leurs factures dans leur divers pays d’origine», écrit Brad, du support client. Au total, «en date du jour du 3 mai 2023, nous avons 1984 annonces érotiques en ligne sans compter les [...] transsexuels, dont le marché n'a pas évolué», complète-t-il.
En 2022, elle a amassé 28’000 francs. En 2021, c'était 20’000. En plus de l’argent de poche versée par ses vieux, ça fait un petit pactole. Pas déclaré.
Les yeux sur un fichier Excel où sont référencées toutes ses prestations, elle compte. «L’année dernière, j’ai eu 112 rendez-vous. Certains clients sont des réguliers. Entre l’organisation, la publication de photos sur mes réseaux privés et payants, le tri des demandes et les rencontres, je dirais que je bosse environ vingt heures par semaine. Ce n’est pas de l’argent facile.»
Au commencement, une amende inattendue
Ses tarifs? 150 francs pour 30 minutes, 200 pour trois quarts d’heure, 250 pour une heure. «Mais ça, c’est pour une seule pratique. S’il vient pour me masser les pieds et qu’il veut une douche dorée (ndlr: se faire uriner dessus) en plus, c’est 50 francs supplémentaires, par exemple. Ce que je fais le plus? Les branlettes.»
Pour Onyx, tout a commencé il y a quelques années: «En fait, j’avais reçu une amende inattendue pour un montant de 500 francs. Je suis allée me balader sur Anibis pour voir si je pouvais trouver un petit boulot pour l’été. J’ai cliqué sur la catégorie 'érotique' et j’ai vu qu’il y avait une demande pour les dominatrices. Je me suis fait un compte, et j’ai reçu un message d’un gars d’Yverdon.»
Un vrai «pigeon», rit-elle. «Je suis allée le voir. Il avait la trentaine. On a discuté deux heures. Il n’y a pas eu de contacts physiques. Je devais juste lui mettre un coup de cravache s’il me regardait dans les yeux ou me tutoyait. Il m’a donné 800 francs. Je ne connaissais rien au monde du sadomasochisme, j’ai appris sur le tas, en parlant avec mes clients.»
«J’ai initié pas mal de mes copines»
La deuxième fois arrive plusieurs mois plus tard. En gueule de bois avec des amies, Onyx leur propose de trouver un mec fan de pieds. Quelques heures plus tard, elles reçoivent 150 francs chacune. «J’ai initié pas mal de mes copines. Certaines ont essayé et ont arrêté, d’autres continuent. Ma coloc a un money slave.»
En d’autres termes, un «esclave» qui lui fait et paie ses courses, lui offre des bijoux et des chaussures après s’être fait copieusement insulter et dégrader par messages. Parce que ça le fait bander: «Je pense qu’il dépense environ 1000 francs par mois pour elle. Quand elle est en vacances, c’est moi qui en bénéficie et m’en occupe. Mais ça demande de l’énergie, il faut lui écrire souvent…»
Quelques mauvaises expériences
Des mauvaises expériences? Quelques-unes, mais pas de quoi fouetter un chat. Un mauvais payeur, des mains un peu trop baladeuses, ou des situations de stress, rien de plus: «Je suis prudente, je trie beaucoup. Je reçois chez moi, comme ça, je les vois arriver et, si jamais, je peux m’enfermer. Mais les soumis sont inoffensifs, par définition. Et ils sont respectueux.»
Du dégoût? «Deux ou trois fois, peut-être. Quand ils utilisent des mots crus, me disent qu’ils ont 'envie de lécher ma petite chatte'. Ces termes me rebutent parce que ça sexualise le truc. En temps normal, je ne perçois pas cet aspect-là. Mais, en général, comme on ne me touche pas, ça ne m’atteint pas psychologiquement. J’arrive à me mettre dans le truc, même quand, cinq minutes avant, je n’ai pas vraiment envie. Même si ça ne m’excite pas, je me suis découvert un petit côté sadique!»
«Tu veux que je t’attache?»
Outre les thunes, Onyx en tire de petits avantages: «Je rencontre tous types de gens, des mariés, des célibataires, des policiers, des médecins, des directeurs, des informaticiens. J’apprends plein de trucs. Et si j’ai besoin d’un certificat médical, je trouve facilement!»
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Plus tard, elle se voit travailler dans une association venant en aide aux travailleuses du sexe. Ou à la tête d’un donjon BDSM. Mais avant, il faudra boucler ce bachelor. Et cette séance photo. Bottes à talons en cuir, elle sort une cravache et un petit martinet de sa «boîte à outils». Clic, clac, c’est dans la poche.
«Tu veux que je t’attache? Allez, pour rire, tu montreras à tes collègues.» Allez, pour rire. Mais je reste habillé. Vous ne verrez jamais ce cliché. Je le garde pour les années de vaches maigres. Il pourrait valoir son pesant de cacahuètes sur Onlyfans.
*Prénom et nom connus de la rédaction