L'entrepreneur expert du secteur de l'érotisme Patrik Stöckli prend sa retraite à 65 ans. Le «roi du sexe» suisse tire sa révérence, notamment à cause d'un grave accident de vélo, il y a deux ans, lors duquel il s'est fracturé le bassin.
Patrik Stöckli souhaite désormais prendre du recul malgré la vivacité qui l'habite encore, comme a pu le constater Blick. Lors de l'entretien, il parle tantôt posément à voix basse, tantôt à voix haute, en gesticulant furieusement. Il s'emballe vraiment lorsqu'il parle des «banques». Celles-ci ne lui auraient jamais accordé un franc de crédit. Elles ne se croient pas liées au commerce du sexe. Un «mensonge» bien loin de la réalité, selon l'entrepreneur.
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La concurrence fait rage
Lorsqu'il s'agit de chiffres, son discours est parfaitement calculé. «Si le loyer d'un magasin représente plus de 10% de son chiffre d'affaires, on ferme», dit-il dans son bureau de Wollerau, à Schwytz. En 2017, il a déjà fermé six filiales érotiques pour cette raison. Même dans son propre bâtiment à Wollerau, il n'y a plus de magasin. On y trouve encore un grand entrepôt avec toutes sortes de sextoys ainsi que le siège de CNP Entertainment, dont Patrik Stöckli reste propriétaire. Il a cependant vendu les huit derniers magasins d'Erotik Markt à son concurrent Magic X.
Six sites estampillés Cruising World restent dans le portefeuille de CNP. Il s'agit de clubs échangistes et de saunas sans prostitution. Patrik Stöckli n'est néanmoins plus guère impliqué sur le plan opérationnel.
La vente d'Erotik Markt est-elle aussi liée à un manque de perspectives d'avenir? L'entrepreneur répond par la négative: «Les dernières filiales d'Erotik Markt encore existantes étaient toutes rentables.» Bien sûr, la pression de la concurrence est plus forte que par le passé, ajoute-t-il. A-t-il raté le coche du commerce électronique? C'est encore une fois non: «Nous y avons aussi participé et avons réalisé un très gros chiffre d'affaires, notamment pendant la pandémie de coronavirus.» Il admet cependant que ce n'est pas son domaine d'expertise.
Jusqu'à la fin, le chiffre d'affaires réalisé dans les magasins était supérieur à celui du e-commerce. Le concept de Patrik Stöckli repose simplement sur le fait que la vente d'articles érotiques ne doit pas être une activité «sordide». Ses magasins sont clairs et propres. Les couples font partie de sa clientèle. Il raconte avec un sourire la pression que peut exercer une femme sur son conjoint lorsqu'elle aime quelque chose dans le magasin.
Les débuts dans l'illégalité
À l'origine, Patrik Stöckli travaillait comme sculpteur à Hersiwil dans le canton de Soleure. En 1983, à l'âge de 24 ans, il se lance dans le commerce du sexe. Il s'inspire d'une photo ostentatoire de l'entrepreneuse sexuelle allemande Beate Uhse, parue dans le magazine «Stern» et intitulée «Das ist alles meins», «Tout cela est à moi» en français. Il flaire alors la bonne affaire.
Les articles pornographiques sont encore interdits en Suisse à cette époque. Il se procure donc des magazines, des films et des jouets à Wiesbaden, en Allemagne, et fait passer les produits en contrebande à la frontière. «Je me suis fait prendre plusieurs fois», avoue-t-il.
Il ne va cependant pas en prison. Il parvient même à envoyer légalement de petites quantités de marchandises en Suisse. Il fait passer des annonces dans Blick pour vendre ses produits. Un procédé qui ne lui permet cependant pas de gagner beaucoup d'argent, notamment parce que les articles sexuels en provenance d'Allemagne doivent payer la TVA. L'entrepreneur en herbe achète ensuite les droits de distribution de films pornographiques et crée une «rue des copies» à Wollerau: des centaines de magnétoscopes recopient des films à caractère sexuel sur des cassettes VHS vierges, que Patrik Stöckli vend ensuite illégalement partout en Suisse.
De la libéralisation à l'âge d'or
Le commerce des articles sexuels n'explose réellement qu'avec la libéralisation de ce secteur. Le 17 mai 1992, le peuple suisse vote pour que les contenus pornographiques soient autorisés et que seule la «pornographie dure» (avec des animaux ou des enfants par exemple) reste interdite.
À ce moment-là, Patrik Stöckli décide de mettre toutes les chances de son côté en organisant une foire du sexe à Niedergösgen, dans le canton de Soleure, le week-end même de la votation. L'affluence est énorme. «Si la votation s'était déroulée autrement, j'aurais fini en prison», dit-il en riant.
S'ensuit une période dorée. D'abord par correspondance, bientôt avec des magasins. Le premier commerce érotique à Wollerau est un succès immédiat. En 1994, une succursale de 2000 mètres carrés suit à Lyssach, dans le canton de Berne. Avant son ouverture, l'entrepreneur se heurte à une résistance acharnée des autorités communales. Il s'impose et continue à ouvrir des magasins. Au plus fort de son activité, au tournant du millénaire, il possède 21 sites.
«J'ai également gagné des millions avec les numéros de téléphone rose», explique Stöckli. Il arrive au zénith. Les magasins Erotik Markt organisent de grandes fêtes pour les clients avec des centaines d'invités. À un moment donné, il est même sur le point de racheter l'empire sexuel de Beate Uhse. Finalement, cela ne se fait pas. «Il y avait trop de contrats de location et pas assez de biens immobiliers dans l'offre», justifie-t-il. De plus, il ne trouve pas d'autres investisseurs.
Il loupe le coche du Womanizer
Lorsque Internet modifie la distribution des articles érotiques, Patrik Stöckli opte pour des actions marketing plutôt singulières. Ainsi, en 2017, il distribue un jour personnellement des billets de 20 francs à tous les clients qui entrent dans son magasin. «J'ai récupéré l'argent à 85% grâce aux ventes», souligne-t-il.
Il ne regrette encore aujourd'hui qu'une seule mauvaise décision: il aurait pu participer au brevet du vibromasseur Womanizer, mais il a exigé une majorité de 51%, faisant échouer l'accord. En tant que copropriétaire, l'entrepreneur aurait pu gagner nettement plus sur le futur succès commercial de ce produit.
Le «roi du sexe» est néanmoins fier de ce qu'il a accompli. Son plus grand mérite est d'avoir atteint des sommets sans l'aide des banques, dit-il encore une fois avec fierté, presque agressivement.
Et maintenant?
L'entrepreneur passera sûrement la fin de sa vie sur un terrain de golf. En Suisse ou dans sa résidence secondaire, à Ibiza en Espagne. Il veut également construire d'autres maisons («c'est un hobby pour moi») tout en économisant ses ressources.
Malgré le succès, il a gardé les pieds sur terre et son rire espiègle. Patrik Stöckli dit avoir abandonné le faste d'antan, lorsqu'il voyageait en Ferrari ou en hélicoptère privé. Sa dernière extravagance: une plaque d'immatriculation composée de plusieurs «sexen»*.
* Allusion au chiffre 6 en allemand (sechs)