Posez la question autour de vous, vous ne trouverez pas une seule utilisatrice d’Instagram (ou presque) qui ne reçoit pas ce genre de message. Cinq ou six fois par semaine, des jeunes femmes de Suisse romande, de France et de Navarre, sont approchées par des prétendus sugar daddies. Des profils d’hommes grisonnants, dont certains comptent plus de 1000 (faux?) followers, les approchent en leur envoyant un message, en anglais.
Judith*, lectrice de Blick souhaitant garder l’anonymat, a choisi d’entrer dans le jeu de l’un d’eux. «J’ai joué la naïve, j’ai posé beaucoup de questions, raconte-t-elle, un peu canaille, au bout du fil. Je voulais connaître la nature de l’arnaque. C’est comme ça que ma conversation avec Mr Teddy* a commencé.»
Comme tous les autres escrocs de son type, Mr Teddy — une photo, probablement volée, montre un homme souriant, grisonnant, joufflu, bien habillé, belle montre au poignet, béret vissé sur le crâne — offre de payer les factures de la pimpante trentenaire, en sus de lui verser une certaine somme chaque semaine. «Je lui ai demandé ce que je devais faire en échange. Il m’a dit que pour être son sugar baby, il fallait être loyale et digne de confiance. Il m’a aussi promis que ça n’impliquait rien de sexuel, mais qu’il attendait que je lui tienne compagnie, que je prie pour lui et le conseille quand il en aura besoin.» Blick a pu consulter toute la conversation.
«Il me dit qu’il est seul depuis la mort de son épouse»
Le filou lui assure être honnête et tenir parole. «Très vite, il me demande à combien s’élèvent mes factures. Je 'mytho' un peu, je dis que j’ai des dettes, que je dois rembourser 1500 balles chaque mois. J’avoue, il y a peut-être une partie de moi qui espérait que c’était vrai (rires). En retour, je l’interroge sur sa vie privée, il me dit qu’il est américain, seul depuis la mort de son épouse, qu’il a 50 ans, qu’il voyage pas mal grâce à son entreprise de construction, qu’il a beaucoup de sous, et qu’il a déjà 20 sugar babies.»
Au fil de la discussion, le soi-disant quinqua félicite Judith. «À un moment, il me dit, en gros, que j’ai passé le test et que je vais pouvoir toucher de l’argent, à condition de respecter quelques règles. Et là, c’était red flag sur red flag. Par exemple, il me demande de ne jamais douter de lui, de ne jamais le contredire… Mais j’accepte ses règles, parce que je veux savoir ce qui se passe ensuite.»
La fripouille lui promet un premier versement. «Et là, ça devient drôle! Je reçois un mail dont l’habillage imite celui de Paypal (ndlr: plateforme de paiement en ligne), qui me dit que j’ai reçu un montant de 7’838,82 dollars. Mais que, pour toucher cette somme, je dois faire un versement de 203 dollars alors que ce n’est pas le mode de fonctionnement de Paypal. D’autre part, l’adresse e-mail n’est pas liée à Paypal et il y a quelques problèmes avec les dates.»
«It’s bien fait pour toi, connard»
Notre témoin recontacte le truand. «Je ne 'bite' rien à sa justification. Il argumente que cette taxe est normale, qu’il faut que je me procure un bon via un autre site internet et que je dois payer en bitcoin.»
Arrivée à la fin de son enquête, Judith décide de s’amuser un peu. «J’ai sorti le grand jeu, et je lui ai écrit un message de drama queen. Je lui dis que j’ai compris qu’il essayait de me voler alors que je lui avais dit que j’avais des problèmes d’argent, que j’étais tellement déçue, qu’il était pathétique, que sa meuf n’était sûrement pas morte, mais que si c’était le cas, c’était bien fait pour lui…»
Dans le texte: «It’s bien fait pour toi, connard.» Et puis, plus loin, en guise de conclusion: «Je ne sais pas qui tu es, mais je vais te chercher, te trouver et te vomir dessus. BITCH.» Au téléphone, elle se marre. Mr Teddy n’a plus jamais donné signe de vie.
Une escroquerie de plus en plus fréquente
Les fraudes au sugar daddy semblent relativement récentes. La presse québécoise en a parlé pour la première fois durant l’été 2022. «Elle Australia» aussi. Contactée par Blick, la police cantonale vaudoise n'a pas été alertée au sujet de «ce mode opératoire particulier», mais a enregistré 160 plaintes relevant du phishing en 2022. Le phishing? «C’est-à-dire que les auteurs cherchent à obtenir les informations de leur carte de crédit via différents moyens en usurpant le nom de sociétés comme La Poste, Disney, Anibis, Netflix, DHL, Paypal, etc.», écrit Alexandre Bisenz, porte-parole, dans un courriel, ce lundi. L'Office fédéral de la statistique a répertorié 22'207 cas de cyber-escroquerie en 2022, dont seuls 30,1% ont été élucidés.
Ces escroqueries au sugar daddy sont «de plus en plus courantes» et peuvent prendre des formes différentes, avertit de site de l’entreprise Avast, qui en profite pour faire la promotion de son antivirus. Il se peut par exemple que le malfrat fasse un vrai virement à l’aide d’une carte de crédit sur le compte de la victime.
Le temps que celle-ci leur envoie la somme correspondant à la taxe demandée par le sugar daddy, le montant disparaît du compte de sa cible. En effet, une fois une carte de crédit déclarée comme volée, le dépôt peut être annulé par le fournisseur. Pire: le hors-la-loi peut aussi créer une carte de crédit au nom de sa proie et accumuler une énorme dette, note encore la firme.
Comment se prémunir?
Comment éviter de tomber dans le panneau? La société étasunienne lâche aussi quelques conseils:
- Ne répondez pas aux messages de personnes que vous ne connaissez pas. En cas de doute, consultez leur profil pour voir s’il n’y a rien de suspect.
- Ne tenez pas compte des messages qui promettent de l’argent facile. Si cela semble trop beau pour être vrai, c’est que c’est probablement le cas.
- Ne communiquez jamais d’informations personnelles à des inconnus. Vous ne le feriez pas en personne, alors ne le faites pas sur Internet.
- Faites vos propres recherches. Consultez des forums et des groupes de discussion en ligne pertinents pour en savoir plus sur les types d’arnaques dont vous pensez avoir été témoin.
Et puis, il y a différents éléments qui peuvent mettre la puce à l’oreille. Si le compte a peu d’abonnées et d’abonnés, si la personne refuse les conversations téléphoniques ou vidéo ou si elle demande de l’argent, c’est louche. Profitez-en pour signaler le compte au réseau social et le bloquer.
*Prénom d’emprunt, nom connu de la rédaction. Le pseudo de l’escroc a été changé.