Michelle Woringer a travaillé pendant 15 ans à 100%. Mais, depuis début mai, elle ne travaille plus que quatre jours par semaine, et cela pour le même revenu! «Notre employeur fait preuve de courage», déclare la conseillère d'Addvanto. Cette agence de marketing zurichoise a été l'une des premières entreprises suisses à introduire la semaine de quatre jours, et elle l'a fait comme il se doit: les 16 employés travaillent 34 heures par semaine, et reçoivent un salaire complet.
«En réalité, le Covid a donné un coup de pouce au monde du travail, déclare Stefan Planzer, CEO d'Addvanto. Le home office et les technologies numériques rendent de nouveaux modèles possibles.»
Depuis un mois, Michelle Woringer a donc congé tous les mercredis. Elle en a tout de suite ressenti l'effet: «Le jour de congé ralentit la semaine. Je peux faire plus de choses et j'ai, en outre, plus de temps pour moi. Cela donne de l'énergie! Désormais, je travaille de manière nettement plus productive!»
La productivité en bénéficie!
«Nous ne voulons pas réduire la performance, explique Stefan Planzer, mais travailler de manière plus efficace et plus concentrée. De plus, nous voulons nous développer et créer des emplois. Le calcul est donc juste.»
Ce calcul étant le suivant: si 20% du temps de travail traditionnel sont supprimés, les heures restantes sont utilisées de manière plus productive. Sinon, c'est le retour du bâton au niveau des comptes. Le patron en est conscient: «Nous avons ouvert un gouffre du jour au lendemain. Nous avons moins de ressources et des coûts plus élevés. Mais nous compensons cela par encore plus de clarté et d'efficacité.»
Ainsi, seuls les collaborateurs qui doivent vraiment être présents aux réunions y participent. Le déroulement des journées est allégé, et les interventions des équipes sont coordonnées de manière ciblée. Clou du spectacle: les clients ne ressentent en rien ce changement, «car l'entreprise fonctionne comme d'habitude, cinq jours par semaine, souligne Stefan Planzer, très confiant. Ce n'est pas un projet pilote. Nous voulons vraiment établir ce système sur le long terme.»
L'Espagne et la Nouvelle-Zélande sur le coup
Pionnière au niveau national, la boîte de marketing n'a cependant pas inventé la poudre. La semaine de quatre jours faisait déjà débat à travers le monde depuis quelques années. Les Islandais, par exemple, ont testé le modèle à grande échelle de 2016 à 2019. Le verdict est sans appel: les employés ont pu mieux concilier vie professionnelle et vie privée, et étaient par conséquent en meilleure santé physique et mentale. Le risque de burnout a alors massivement diminué. La productivité, quant à elle, n'a pas bougé – elle a même augmenté dans certains cas.
Aujourd'hui, bien que le pays nordique n'a pas (encore?) véritablement légiféré sur la chose, les leçons induites par l'expérience se pérennisent gentiment au sein de la société: neuf actifs islandais sur dix ont travaillent au moins cinq heures de moins qu'auparavant pour le même salaire.
En France, la semaine de 35 heures est en vigueur. La Belgique a récemment inscrit dans sa législation la semaine de quatre jours, et de 38 heures de travail. L'Espagne et la Nouvelle-Zélande ont lancé des projets test à grande échelle. Et la Grande-Bretagne prévoit une expérience à grande échelle pour 2022.
En Suisse, une douzaine d'entreprises ont entre-temps introduit ou annoncé la semaine de quatre jours. La majorité de ces précurseurs se contentent toutefois de répartir les heures de travail actuelles sur quatre jours au lieu de cinq.
Tamara Funiciello veut une semaine de 35 heures
La conseillère nationale socialiste Tamara Funiciello veut donner un coup d'accélérateur à ce nouveau phénomène socio-économique. La Bernoise a déposé, en décembre dernier, une motion pour demander la semaine de 35 heures dans toute la Suisse. Avec paiement intégral non impacté par ce changement garanti au moins pour les employés à bas et moyens revenus. Cela sur une période de transition de dix ans.
«D'autres pays ont prouvé depuis longtemps que cela fonctionne. La productivité augmente depuis des décennies. Mais, en Suisse, les employés reçoivent de moins en moins de parts du gâteau...»
Funiciello a aussi en tête la dimension sociale du projet: «Les femmes, en particulier, fournissent chaque année à notre pays un travail de care non rémunéré équivalant à une valeur de 248 milliards de francs. Cela leur coûte du temps de travail, raison pour laquelle elles sont en moyenne plus pauvres, et reçoivent des rente plus basses. Alors que si elles recevaient le même salaire qu'actuellement mais pour 35 heures hebdomadaires, ce travail de care pourrait être valorisé.»
Un traitement différencié selon le secteur?
Le Conseil fédéral rejette la motion: selon lui, il appartient aux branches de répartir les gains de productivité. Funiciello s'insurge contre une telle attitude: «Nous ne sommes tout de même plus à l'ère industrielle... Nous devons répartir les richesses de manière plus équitable!» Comme on dit: le temps, c'est de l'argent.
Bien évidemment, le président des employeurs suisses Valentin Vogt voit les choses différemment: «Ce n'est pas à l'État de fixer des règles aussi rigides. Mais nous ne faisons pas obstacle aux entreprises qui veulent proposer des modèles alternatifs. C'est justement une affaire qui les regarde.»
Car la semaine de 35 heures ne fonctionnerait pas dans toutes les branches, selon Valentin Vogt. «En particulier pour les emplois avec un temps de présence prédéfini, le calcul ne fonctionne pas pour les entreprises. Elles ne peuvent pas compenser 20% de main-d'œuvre en moins par 20% de productivité en plus».
Adrian Ritz, professeur d'économie d'entreprise à l'université de Berne, est également réticent à l'idée d'une loi. Mais il déclare aussi: «Pour les employés, la semaine de quatre jours présente sans aucun doute de nombreux avantages. En particulier pour les professions créatives et basées sur le savoir, ce modèle peut augmenter la productivité». L'expert suggère des tests à grande échelle, comme en Islande, qui permettraient de comparer différentes professions. Selon lui, le moment est propice: «La pandémie a accru le goût de l'expérimentation.»